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Le Québec en crise d'adolescence

Insomniaque, confuse, désorientée et lasse, mais d'un optimisme prudent malgré tout. Voilà quelques unes des émotions qui m'animent au lendemain d'une soirée électorale surréaliste, qui mettait un terme à un mois de campagne mouvementée. En premier lieu, les résultats sont tombés et ont prouvé, une fois de plus, que les sondages sont un pâle reflet des véritables intentions de vote. Rivés devant leurs écrans de télé, les Québécois ont vécu une surprise après l'autre.
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Insomniaque, confuse, désorientée et lasse, mais d'un optimisme prudent malgré tout. Voilà quelques unes des émotions qui m'animent au lendemain d'une soirée électorale surréaliste, qui mettait un terme à un mois de campagne mouvementée.

En premier lieu, les résultats sont tombés et ont prouvé, une fois de plus, que les sondages sont un pâle reflet des véritables intentions de vote. Rivés devant leurs écrans de télé, les Québécois ont vécu une surprise après l'autre.

Les Libéraux, dans leur défaite, ont paradoxalement remporté une grande victoire morale en raflant ou en conservant 50 sièges, après avoir été la cible toute désignée du mouvement étudiant.

Pour sa part, le Parti québécois a réussi de justesse son pari de former le prochain gouvernement. Malgré des positions assez tranchées en matière d'identité et de langue, bon nombre d'observateurs misaient sur une victoire éclatante de Pauline Marois et son équipe. Or le PQ a franchi le fil d'arrivée de manière faiblarde et dispose d'à peine 54 sièges, ce qui le place en position minoritaire. Les « purs et durs » devront composer avec une opposition de 71 sièges et la mise au rancart de l'idée de souveraineté. Les Québécois ont voté pour le changement, certes, mais ils n'appuient pas tout le programme du PQ pour autant. Cette élection n'a pas été remportée haut la main par Mme Marois. On pourrait même dire qu'elle a surtout été perdue par Jean Charest.

Le paysage politique, en ce lendemain d'élection, ne comporte ni grand gagnant, ni grand perdant. Les Québécois constatent que le climat empoisonné des derniers mois a produit un fruit amer. Aucun camp ne peut prétendre être satisfait. L'ordre établi est bouleversé, et les espoirs des partis traditionnels sont bien évidemment déçus.

Pendant ce temps, la panique s'est installée ailleurs au pays. Le « reste du Canada » (ROC) essaie maintenant de prédire ce que cette victoire minoritaire du PQ laisse présager en matière d'unité nationale. Bien entendu, les commentaires haineux qui émanent du ROC sont proférés par des gens incapables d'imaginer la réalité sur le terrain. À moins de vivre au Québec, il est difficile de comprendre les compromis délicats, parfois douloureux et presque toujours maladroits qu'il faut faire lorsque les tensions linguistiques refont surface.

Le grand nombre de journalistes et de commentateurs du ROC qui ont couvert cette élection témoigne à la fois du désir manifeste de comprendre la situation, et de l'incapacité à comprendre quoi que ce soit. Pour illustrer la confusion ambiante, l'acteur Steve Patterson a écrit à la blague sur Twitter que « les journalistes anglophones qui analysent les résultats électoraux du Québec sans y habiter font penser à des hommes âgés essayant de comprendre la série Twilight ».

Cela dit, il arrive que des journalistes anglophones et francophones établis au Québec manquent complètement la cible eux aussi. La perception subjective des événements peut brouiller la réalité chez les plus professionnels d'entre eux, ce qui donne lieu à des réactions à l'emporte-pièce. Voilà pourquoi une journée de décalage fait le plus grand bien.

Avec le recul, on se rend compte que les Québécois ont voté en très grand nombre. Ils ont voté pour le changement, mais aussi et surtout pour une collaboration forcée. Difficile de savoir si cela résulte d'une décision consciente ou non. Les Québécois ont rejeté le statu quo et la rhétorique des vieux partis. Ils ont élu un parti souverainiste, mais l'ont condamné du même coup à trouver un terrain d'entente avec deux partis fédéralistes.

Le Québec de la Révolution tranquille est chose du passé. La province est prête à se redéfinir. Le problème est que ses citoyens ne savent pas vraiment ce qu'ils veulent.

Pour paraphraser les Shakespeare, je dirais que nous avons vécu « l'été du mécontentement ». Les étudiants ont manifesté bruyamment avec leurs casseroles. Les contribuables excédés par la corruption ont investi les assemblées municipales. Les prises de position au sujet de la religion et de la langue ont pris une tournure mesquine. Et les politiciens ont utilisé ces petits et grands malaises comme autant d'opportunités de promouvoir leur camp, sans se préoccuper des conséquences que pouvait entraîner une telle dégradation du discours public.

Voilà qui nous mène aux coups de feu de mardi soir. Ce bref moment de suspense nous a en quelque sorte ramenés sur terre. S'il faut en tirer une leçon, c'est que la frontière est mince entre les démocrates que nous croyons être, et les fanatiques que nous pouvons aisément devenir.

Comme il fallait s'y attendre, cette bizarre tentative d'assassinat de Pauline Marois a fait les manchettes une bonne partie de la journée de mercredi. Personnellement, je ne tiens pas à spéculer sur le sens de cet événement. Il est normal (et peut-être même souhaitable) que le public s'interroge sur les liens entre une campagne électorale fortement polarisée, à la limite agressive, et la santé mentale du pauvre type qui se croyait justifié d'agir ainsi. Mais le danger est d'y voir un fil conducteur à tout prix, comme ceux qui croient que la musique rock et les vidéoclips fabriquent des tueurs en série. Il vaut mieux ne pas tomber dans ce piège et nous concentrer sur les véritables enjeux de l'élection.

Le Québec vit actuellement une crise existentielle. La province se rend compte qu'elle n'est pas le havre de tolérance et d'idées progressistes qu'elle croyait être. Ses habitants doivent résoudre des questions identitaires cruciales, mais souffrent d'un certain nombrilisme. La génération montante ne tient pas à porter le fardeau des peurs et des phobies du passé, mais elle trébuche encore sur la définition de son avenir.

Peut-être ne le sentez-vous pas encore, mais il y a un petit quelque chose de réconfortant à vivre dans le chaos. La société québécoise est dans une phase de transformation. Elle s'accroche aux vestiges du passé, tout en sachant que ces vestiges bloquent son développement naturel et qu'elle devra les laisser tomber.

La rhétorique enflammée et les attaques sournoises qui ont terni la dernière campagne électorale sont très représentatives de partis politiques anachroniques qui tentent par tous les moyens de demeurer pertinents. Une nouvelle vision de la collectivité, du bien commun et du respect mutuel est en train d'émerger, même si la division persiste encore dans l'arène politique. Bref, nous sommes dans une sorte de crise d'adolescence collective.

Selon l'auteure féministe Adrienne Rich, « Il est fascinant d'être en vie à un moment d'éveil de la conscience, mais cela peut être douloureux et déboussolant. » Il en va ainsi de l'évolution. Le progrès est parsemé d'embûches et d'échecs frustrants, voire de reculs violents imposés par ceux qui ne comprennent pas la situation. Mais la clé est l'acceptation du changement.

Pour la première fois de son histoire, le Québec est dirigé par une femme. Les médias ont peu souligné ce fait, comme s'il était parfaitement banal. À mon avis, cela démontre que la société a bien intégré le principe d'égalité. Une première ministre est parfaitement capable de faire la job.

Par ailleurs, nous avons changé de parti au pouvoir pour la première fois en près d'une décennie. La démocratie a besoin d'alternance. Quelques idées novatrices et un peu de sang neuf ne feront pas de tort.

Il n'y a plus un mais trois partis souverainistes dans l'arène. Cela démontre que la notion d'autodétermination n'est plus perçue de manière monolithique. Les jeunes tentent de se définir autrement que par un antagonisme stérile entre le « nous » et le « vous ».

Pour la première fois aussi, nous avons un rapport de forces qui obligera les partis à coopérer ou périr. Le gouvernement minoritaire du PQ ne survivra pas un an s'il ne met pas un peu d'eau dans son vin.

En fin de compte, il y a lieu d'être optimiste. Le climat social a pris une tournure inquiétante ces derniers mois, mais le revirement électoral dont nous sommes témoins a du bon et nous offre de nouvelles perspectives. Nous avons l'opportunité de créer un espace de dialogue à l'image du peuple que nous voulons être. Les propos injurieux, les campagnes de peur et les sujets trop polarisés doivent faire place à l'imagination. Il est temps de laisser tomber nos préjugés et de tenir un nouveau discours qui ne soit pas dicté par les pouvoirs établis.

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Attentat contre Pauline Marois

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