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Journée Internationale du Cancer: réconcilier Science et Humanité

Le 4 février 2013 a été déclaré 'Journée Internationale de la lutte contre le Cancer'. Nul ne saurait contester l'importance d'une telle manifestation face à ce fléau dont l'importance ne cesse de croître en France comme partout dans le monde. En effet, bien loin de rester une maladie des sujets âgés des pays riches, le cancer devient un des problèmes majeurs de santé publique des pays émergents, et sera en 2025 la première cause de mortalité dans le monde...
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Le 4 février 2013 a été déclaré 'Journée Internationale de la lutte contre le Cancer'. Nul ne saurait contester l'importance d'une telle manifestation face à ce fléau dont l'importance ne cesse de croître en France comme partout dans le monde. En effet, bien loin de rester une maladie des sujets âgés des pays riches, le cancer devient un des problèmes majeurs de santé publique des pays émergents, et sera en 2025 la première cause de mortalité dans le monde, en particulier au sein de la population "active" des sujets de 30 à 65 ans.

Cette journée devrait permettre de rappeler quelques messages utiles de prévention, notamment en matière de lutte contre le tabac, et d' insister sur l'importance de politiques publiques résolues et surtout continues au long des années, sans aller-retour, ni fluctuations liées à des considérations pseudo-économiques ou politiciennes, pour ne pas dire électoralistes. Surtout, pour avoir un impact tangible, ces quelques messages raisonnables de prévention devraient se limiter aux risques réels, majeurs, déjà largement prouvés, et pour lesquels il est démontré qu'existent des stratégies efficaces permettant effectivement une réduction significative de la mortalité par cancer (tabac, amiante). Il est tout-à-fait contreproductif que ces messages simples de prévention se trouvent en permanence dilués par un 'zapping' et un 'à peu prês' médiatiques, évoquant une infinité d'autres 'pseudo-risques' environnementaux (téléphonie mobile, OGM, ondes à hautes fréquence) et par des 'lanceurs d'alerte' plus ou moins bien informés et intentionnés.

De même, il sera utile de rappeler l'importance d'un diagnostic précoce et l'existence de campagnes de dépistages systématiques des cancers du col utérin et du sein chez la femme, et depuis peu du cancer du colon. Dans plusieurs pays, ces campagnes ont globalement fait la preuve de leur utilité et de leur efficacité, là encore quand elles sont poursuivies avec rigueur sur des dizaines d'années, et qu'elles concernent effectivement la majeure partie de la population. Ces stratégies de dépistage doivent donc innover pour atteindre et toucher les populations de femmes que leurs conditions socio-économiques précaires, ou leur niveau éducatif exclut de fait du dépistage organisé et en théorie systématique dans notre pays. Ainsi s'expliquent les chiffres faibles et décevants atteints en France par ces campagnes (60% des femmes au maximum) et ainsi leurs effets marginaux sur la mortalité par cancer.

On peut cependant craindre que cette Journée voit surtout fleurir les discours, tantôt larmoyants sur le sang et les larmes, tantôt triomphalistes sur les lendemains qui chantent, exaltant les indiscutables progrès réalisés au cours des dernières années, et les promesses de notre recherche. Il est frappant de constater que ces deux types de discours-a-priori opposés-sont cependant souvent tenus, simultanément ou alternativement, par les mêmes leaders d'opinion auto-proclamés, dont les accomplissements personnels réels dans les progrès de la Cancérologie restent plus que modestes aux yeux de la communauté scientifique française et internationale.

Espérons que les messages qui seront délivrés le 4 février pour la Journée International du Cancer ne soient pas confus et contradictoires Au contraire, ils devraient éclairer les malades français et leurs familles sur l'état réel de la Cancérologie dans notre pays. Loin de s'en tenir à un discours effrayant et décourageant devant l'ampleur et la complexité des tâches qui restent à accomplir, cette journée doit porter un message mobilisateur et témoignant d'une vision stratégique claire et partagée vers ce que devrait être la Cancérologie de demain.

Rappelons que deux Présidents de la République ont fait élaborer des 'Plans Cancers', sur le modèle de ce qui existe dans plusieurs pays développés. Le simple fait que ces Plans Cancers existent, et que les politiques osent enfin parler globalement du Cancer sont des éléments nouveaux et indiscutablement positifs. Le problème du cancer est suffisamment lourd et complexe car intriquant des facteurs humains, sociaux, scientifiques, médicaux, industriels et économiques, pour qu'il justifie une approche globale pluridisciplinaire, et la définition d'objectifs clairs, plutôt qu'une série de mesurettes catégorielles. Grande découverte scientifique : les politiques français ont pris ces dernières années conscience que les cancéreux pouvaient aussi voter. Certains indices auraient pu permettre de le soupçonner plus tôt. Espérons surtout qu'ils ne l'oublieront plus lors des prochaines échéances électorales.

Le premier Plan Cancer de 1993 a eu indiscutablement plusieurs mérites : il a, nous l'avons vu, marqué une rupture de ton et fait entrer le Cancer dans le champ du discours politique, en insistant sur la nécessité d'une prise en charge globale. Il a permis de souligner l'immense retard de notre pays en matière de Santé Publique, et introduit des éléments de culture de dépistage, de prévention et de suivi à long terme qui, s'ils sont encore bien imparfaits, manquaient auparavant cruellement.

Surtout, il a tiré les leçons de la prise de parole des malades atteints de cancer, à l'occasion des Etats Généraux des Malades, organisés depuis 1997 par la Ligue Nationale Française contre le Cancer, et qui ont permis de prendre conscience de la détresse des patients cancéreux, trop souvent livrés à eux-mêmes et subissant des traitements fort pénibles et lourds, sans qu'on leur ait souvent expliqué clairement de quoi ils étaient atteints et quel était leur probable devenir. S'il n'est pas encore vraiment parvenu à mettre réellement partout le malade 'au centre de notre dispositif de soins', il a enfin reconnu et proclamé son statut d'individu unique, d'être humain et de citoyen, que la maladie et la lourdeur des traitements ne doivent pas lui faire perdre.

Le second Plan cancer de 2007 a insisté sur l'après-cancer et sur les infinis problèmes de réinsertion sociale, familiale et professionnelle des patients ayant été traité pour cancer. Le regard que la société pose sur eux, l'exclusion sociale dont ils sont encore trop souvent les victimes doivent changer. Il suffit de rappeler les difficultés persistantes que rencontrent encore trop souvent ces anciens malades pour contracter une assurance ou un prêt bancaire, voire pour retrouver leur emploi et un statut social équivalent, pour mesurer la longueur et la difficulté du chemin qui nous reste à parcourir sur le plan réglementaire, mais surtout dans les mentalités et le regard social, même si le Plan Cancer II a ouvert la voie et tracé le chemin..

Enfin, il nous faut reconnaitre que ces deux plans cancer successifs n'ont que peu modifié la situation française dans deux domaines majeurs, celui de l'équité dans l'accès à des soins de qualité dès l'entrée dans la maladie, et celui de l'élaboration d'une grande stratégie nationale de recherche mobilisatrice et préparant notre pays à ce que devrait être la Cancérologie de demain. Il faut espérer que le nouveau Plan Cancer annoncé récemment par François Hollande saura aborder de front ces enjeux cruciaux.

Disons d'emblée que si, au-delà des vœux pieux et des incantations, ces deux domaines sont si peu approfondis dans les plans précédents, ceci est peut-être en grande partie lié à l'aspect curieusement franco-français des réflexions menées jusqu'ici. Et pourtant, le combat contre le cancer transcende clairement les frontières, les expériences menées dans des pays proches (Grande-Bretagne, Allemagne, pays scandinaves, Hollande, Canada) auraient dû servir de modèles et nourrir notre réflexion. S'il y a des domaines où l'échelle d'une région ou même d'un pays est insuffisante pour élaborer des stratégies innovantes et efficaces, ce sont bien celui de l'organisation des soins en cancérologie, et celui de la stratégie de la recherche. A notre époque où la crise économique nous fait discuter à perte de vue sur l'importance de l'Europe de l'économie ou de la défense, la dimension européenne s'impose d'évidence dans les domaines de la connaissance, de la technologie et de la recherche.

Le terme d'équité dans l'accès aux soins est ambigu, car il peut laisser croire que la guérison du cancer est au coin de la rue, ce qui reste malheureusement fort éloigné de la réalité. C'est en termes d'accès rapide et précoce à des structures de soins de haute qualité, dès la prise en charge initiale, que se joue souvent la vie ou la mort des patients. En cancérologie plus qu'ailleurs, la qualité des soins se mesure à l'aune de l'expérience, de la masse critique de médecins et de personnels infirmiers et techniques bien formés, hautement compétents et surtout entrainés à la pratique quotidienne de la multidisciplinarité, c'est-à-dire au partage permanent des savoirs, des techniques et des compétences au service de chaque malade. Le drame récent des malades victimes pendant des années de surdosage d'irradiations dans le service de radiothérapie d'Epinal vient de nous rappeler tragiquement cette réalité. La pluridisciplinarité est maintenant reconnue comme une pratique nécessaire pour une prise en charge optimale du cancer, et les plans cancer l'ont même rendu 'obligatoire' en formalisant les traitements initiaux de tous les patients au sein d'une 'réunion de concertation pluridisciplinaire' (RCP).

Mais il y a loin d'une multidisciplinarité de papier à une pratique réelle forgée par des années de contacts et d'échanges quotidiens entre un nombre suffisant de spécialistes. Une telle refonte des pratiques hospitalières ne se décrète pas, mais se construit patiemment et doit être périodiquement évaluée avec rigueur.

De plus, la situation française se caractérise par sa fragmentation, sa complexité et son illisibilité, tant pour les patients que pour les praticiens. Tous se mêlent peu ou prou de soigner les cancers, chirurgiens généralistes, spécialistes d'organes, CHU, Centres de lutte contre le cancer, hôpitaux généraux et une multitude de cliniques privées. Quel Français n'a-t-il pas été confronté pour lui-même ou pour un membre de sa famille, à la question de savoir où il faut aller se faire traiter pour un cancer ? Bien souvent, c'est le premier médecin consulté qui orientera le patient, quand ce ne sont pas les conseils d'un ami ou d'une relation. Le choix initial se fera trop souvent sur des critères de connaissance (ou de connivence) personnelle, en privilégiant la proximité et l'aspect 'humain' de petites structures, et le recours aux grands centres pluridisciplinaires ne se fera qu'après l'échec des traitements initiaux. Cette illisibilité du système de soins reste une grande caractéristique de la cancérologie à la française et le parcours des malades est encore trop souvent à la fois une loterie et un parcours du combattant (ou de la combattante). L'établissement et la labellisation de filières de soins éprouvées et évaluées, dans chaque région et pour chaque type de tumeurs, doivent être un enjeu prioritaire et l'une des grandes missions du prochain Plan cancer.

Enfin, il nous faut parler de la recherche et de l'innovation. Ce sont bien des grands thèmes des deux plans cancer précédents, et il est de fait aujourd'hui plus facile à une équipe de recherche de qualité travaillant sur le cancer de recevoir des fonds sur des projets ponctuels. Mais il s'agit toujours d'un saupoudrage, privilégiant les projets de court terme, et reposant sur de jeunes chercheurs dont l'emploi reste de plus en plus précaire et les carrières bien aléatoires.

Surtout, au-delà de déclarations rituelles et incantatoires sur l'importance de la recherche, sa compétitivité et sa place dans les classements de type 'Shanghai', la France, à la différence de la plupart des grands pays européens, a fait l'impasse d'une vraie réflexion stratégique de grande ampleur sur la cancérologie de demain, prenant en compte tout à la fois la nouvelle classification des tumeurs, et les énormes progrès des biotechnologies et de la recherche de nouveaux médicaments.

Les scientifiques ont compris que les grands ensembles que nous appelons 'cancer du sein' ou 'cancer des bronches' sont en fait un ensemble de nombreuses maladies différentes, où les anomalies génétiques et moléculaires sont différentes. C'est bien parce qu'ils sont porteurs de maladies différentes que, soumis aux mêmes traitements, certains malades guèrissent et d'autres récidivent et meurent. Les progrès rapides des techniques de séquençage du génome des cellules tumorales, et en parallèle l'effondrement de leur coût, devraient permettre à chaque malade une classification bien plus précise de sa propre tumeur, et, bientôt l'accès à des traitements adaptés aux anomalies génétiques qu'elle présente.

Cette transition vers une médecine personnalisée, qui sera peut-être longue mais inéluctable, doit être organisée et planifiée au plan national, pour accélérer l'histoire, et aussi pour éviter qu'à l'heure du génome à 1000$, se crée dans notre pays une médecine à deux vitesses, livrée aux seules lois des industriels.

Enfin, médecine personnalisée signifie bien traitement personnalisé de chaque malade, mais bien aussi humanité, bienveillance et accompagnement adaptés à chaque cas individuel. Il est donc vain d'opposer les 'grosses structures', compétentes, mais que l'on imagine encore trop souvent comme des 'usines à cancer' froides, impersonnelles et où les patients sont considérés comme des cobayes plus que comme des individus. Or, là encore, humanité et solidarité humaines ne se décrètent pas, et d'ailleurs ne sont pas simplement affaires de générosité et de compassion individuelles. Parler à un malade cancéreux, répondre à ses angoisses et à celle de sa famille, l'encourager et l'aider dans ses épreuves, font l'objet de véritables savoirs et nécessitent des outils que devraient apporter les sciences humaines et sociales. Or, la psychologie, la sociologie, l'anthropologie, et même l'économie de la santé, dans un sens plus noble que celui de la simple gestion comptable, restent les grands absents de l'hôpital français. Les plans cancer successifs n'ont pas su créer la dynamique nécessaire et offrir des perspectives attractives aux trop rares chercheurs en sciences humaines et sociales pour qu'ils investissent massivement le champ du cancer, où pourtant la tâche reste immense et largement inexplorée. Voilà bien un autre enjeu-clé du nouveau plan cancer de François Hollande.

C'est à ce prix que la cancérologie française pourra enfin réconcilier Science et Humanité, pour le bénéfice de chaque malade .

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