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Lettre à Dieudonné: souvenirs d'Auschwitz-Birkenau

Dans la longue entrevue quelui a accordé, Dieudonné se révèle un triste sire. Lorsqu'on lui demande s'il croit à l'authenticité du génocide juif, il répond qu'il «n'est pas du tout spécialisé dans ces choses-là». L'appel au spécialiste, à l'expert, à la preuve relève toujours de la pire rhétorique et de la plus profonde mauvaise foi.
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Dans la longue entrevue que Causeur lui a accordé, Dieudonné se révèle un triste sire pour ne pas dire autre chose. Lorsqu'on lui demande s'il croit à l'authenticité du génocide juif, il répond qu'il «n'est pas du tout spécialisé dans ces choses-là».

L'appel au spécialiste, à l'expert, à la preuve relève toujours de la pire rhétorique et de la plus profonde mauvaise foi. Ce discours s'inscrit dans le sillage du négationnisme et de ce qui l'a précédé, le révisionnisme.

La liberté d'expression est un impératif indiscutable, mais cela ne doit pas pour autant conduire à un relativisme au nom duquel toutes les opinions seraient valables. Celles propagées par Dieudonné M'bala M'bala reposent, répétons-le, sur les propos antisémites les plus éculés. Pourtant, le négationnisme ne peut être réduit au rang d'une aberration idéologique défendue par un tout petit groupe: «il faut en combattre la toxicité en raison de son influence croissante dans la société», nous disait le journal Le Monde.

La meilleure manière est de le faire. D'écrire, de se souvenir. De témoigner de ce qui est inimaginable. Il n'y a pas plusieurs lectures, il y a en qu'une seule.

Nul besoin d'experts qui détiennent une des vérités en la matière, douteuse. La haine se comprend aisément et demeure intolérable. «Le racisme, c'est l'avenir», aurait dit Dieudonné à Elie Semoun. Trêve d'humour, Monsieur Dieudonné.

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Trop tôt, ce vol W8961. Trop tôt à mes yeux pour se lever à 4h30 un dimanche matin. Je maugrée contre le manque de sommeil. En plus, la douche est froide. Je peste.

Pourtant mon égoïsme intérieur n'arrive pas pleinement à s'exprimer. Une culpabilité bouscule inconsciemment mes réactions d'homme attaché à ses petites habitudes. Déjà, je pense à la journée et j'ai peur des conséquences qu'elle aura sur moi. Est-ce pour cela que je me suis levé du pied gauche ?

Dans l'avion, je laisse mes pensées se noyer dans des vapeurs blanches et grises 7000 mètres plus bas. Je saisis au vol, presque par inadvertance, une phrase derrière moi: «Je suis vraiment heureux d'avoir pu enterrer mes parents dans le ghetto à Varsovie. Je n'aurais pas voulu qu'ils partent par la cheminée», dit Mr Jo Wajsblatt à deux jeunes filles. Ancien déporté, il nous emmène à Auschwitz et Birkenau.

Nous sommes trois autocars au départ que Cracovie, Juifs et non-Juifs, Français, Américains, Canadiens, Belges... Les gens échangent. Un léger brouhaha essaie comme il le peut de s'accorder avec le bruit du moteur.

Simon Drucker, ancien déporté «passé» par Auschwitz lève la main... Le silence, d'un coup, pèse. Même le moteur se fait plus silencieux. Un silence religieux tend l'oreille.

Simon n'a pas ce sourire ravageur d'un guide touristique mexicain. Après un bonjour étriqué et un «C'est toujours pareil, excusez-moi... », il nous parle les yeux embués, des coups, des SS, de la «chance» d'en être revenu.

Et sa culpabilité, comment s'expliquer être vivant, la difficulté de vivre: «Comment apprécier la beauté d'une rose après cela?», nous dit-il.

Le silence est froid comme pour augmenter l'impact de cette journée sur notre conscience. Il fait très froid et il neige. Ce silence est de glace. Il pénètre mes os, ma chair pour commencer. Et puis après les paroles (que l'on peut de mauvaise foi, mettre en doute), il y a les faits.

Lugubre et effrayant devant nous le portail de Birkenau. Et ces rails... Ces deux traits noirs où sont passés 1 400 000 hommes et femmes. Même la neige... Un rien plus loin, plus horrible dans son indifférence, l'aiguillage. La neige n'est pas blanche, elle ne peut rien.

-«Ici,...il pointe du doigt et soupire... les femmes... et ici... les enfants, là... les hommes, ... nus, les pieds dans la neige», nous murmure-t-il. Mon regard parcourt le camp... C'est immense, je frissonne davantage, cette usine de la mort conçue et imaginée comme telle, est... J'en ai la chair de poule.

Imaginez un stade de soccer, tous les deux jours. Des hommes, des femmes et puis des enfants. Imaginez le nombre de trains, imaginez des ambulances avec la croix rassurante et puis... Cette musique de bienvenue... Insinuer le doute. Jusqu'à la douche. En silence. En ordre.

Lentement, pas à pas.

La neige gémit sous nos pas, entre les baraquements en bois, d'anciennes écuries où on ne comptait que 52 chevaux, ils seront de 500 à 1000...

Une lumière fétide pénètre par les seules fenêtres du dessus. Répartis à droite et à gauche,

ces «lits superposés sur trois étages» sont des châlits rectangulaires où «dormaient» les détenus. Simon regarde. Il me regarde dans les yeux, j'ai baissé les miens. Je ne sais pourquoi, peut-être par respect, par gêne?

Comment font-ils pour revenir?

Pour nous, c'est le silence du plus grand cimetière de l'humanité.

Pas une tombe, Birkenau est une tombe.

Pour lui, tout résonne de cris, de coups, d'aboiements, de «Schnell, Rauss, bite, untermenschen» (sous-hommes) ou encore «Stuk» (pièce). Il s'est arrêté devant les «lits».

À mi-voix, Jo dit: «Les meilleures places étaient celles du haut. On prenait moins de coups... Et puis... on ne recevait pas la...(Il s'arrête et dit tout bas) la... chiasse, des autres du dessus. Tous, on avait la dysenterie. Comme pour devancer une question, il continue sur le même ton où il faut tendre l'oreille pour entendre: «Aller aux toilettes la nuit ...impossible. Nous..., nous n'aurions jamais pu..., à temps, et puis... Alors, on faisait sur place.»

Aller aux toilettes? Quelles toilettes? Des trous dans une chape de béton, au centre du baraquement, où..., le matin.

«Je ne me souviens plus avec quoi je m'essuyais, murmure-t-il encore. Ce dont je me souviens, c'est qu'il fallait être propre et que si on en avait sur les mains... Il fallait être propre. C'était impossible. La moindre chose, la moindre excuse... On était envoyé là-bas... à la cheminée... Les toilettes étaient vidées à la main... immonde... et la puanteur, oui... la puanteur, mais paradoxalement cela représentait une chance pour ceux qui le faisaient.»

Cette odeur, oui, en quelque sorte, elle les protégeait. Les SS les approchaient moins, ils avaient un «travail» et cela signifiait qu'ils avaient une petite, une toute petite lueur d'espoir...Mais au moindre signe d'un kapo ou d'un SS...

«Dès notre arrivée, continue Jo, nous apprenions tous immédiatement ce qu'il se passait ici. J'ai eu la chance d'être très vite envoyé en camp de travail parce que j'étais jeune. Un détenu m'a dit qu'il fallait que je sois envoyé ailleurs. On disait qu'on ne quittait Birkenau que par la cheminée. Je me demande, tous les jours... Pourquoi j'ai eu la chance de partir par la porte? Je me le demande, tous les jours... Comment cela a-t-il pu arriver? Ici, nous n'avons aucune réponse. Juste des faits. Il n'y a aucune réponse à cela. J'avais 17 ans et demi», ajoute Jo Wajsblatt.

On avance en silence vers les chambres à gaz et le crématoire. Devant le mémorial, un silence couleur de stèle. Ici, plus de nationalité, plus de religion qui divisent..., non Juifs et Juifs, rabins et catholiques... Une prière.

Un chant monte vers le ciel. Les flocons redoublent.

À côté de moi, un homme, me murmure dans un sanglot qu'il a perdu toute sa famille ici.

Il pleure...

Je n'ai eu ni parents, ni grands-parents, ni cousins éloignés, ni même une connaissance

disparue, ici...

Simon nous montre sa ceinture et son tour de taille, taille 10 ans: «Tendez vos mains et faites toucher les deux index et les deux pouces, cela vous donnera une idée».

De la main droite, son uniforme d'un gris bleu rayé, comme dans les films. Ce n'est pas un film. De la main gauche, une petite boîte. Du savon sur lequel est gravé Pure graisse naturelle de juifs. Ce n'est pas une rumeur macabre. Mon estomac se tord, là encore... Aussi, en pensant à des Hitler, Himmler, à des Pinochet, et des Le Pen, à ces négationnistes, à ces fous et à ce dont ils sont coupables d'être capables.

C'était une initiative de ma femme, je ne dirais pas que le mérite lui revient (ce n'est pas le bon mot), juste une conscience que l'on partage dont je ne fais jamais référence. Excepté cette fois... Un soir, au repas, elle m'a lâché entre deux bouchées, alors qu'on abordait le sujet: «Un jour, ils seront morts et ce ne sera plus possible de savoir. Les pierres ne parlent pas. Et, ils sont de moins en moins... Qu'en penses-tu?»

C'est ce qui m'a décidé.

5 mars 2000

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Aujourd'hui, après des années, je vous repropose avec toute la précaution et la pudeur dont je suis capable ce reportage et ces photographies destinés à Amnesty International Belgique, dans le cadre d'une opération contre le négationnisme. Du bout des doigts, du bout d'une écriture. Il est de notre devoir de témoigner de perpétuer ce que Jo Wajsblatt nous a montré et démontré. Nul ne peut le nier.

Ce billet s'ajoute au documentaire Killing Kasztner de Gaylen Ross, il s'ajoute au nom de Rezso Kasztner assassiné par les siens (la stupidité n'a pas de nationalité) alors qu'il avait sauvé 1 884 personnes de la déportation, à Oskar Schindler qui serait demeuré un inconnu sans Steven Spielberg.

Ce papier est une pensée pour Anne Frank, et un signe de respect à Kressman Taylor pour son ouvrage Inconnu à cette adresse et pour tous les autres...

L'humanité, elle, n'a toujours pas de mémoire, laissons-la alors avec sa conscience. Car ceux qui ont le plus besoin qu'on se souvienne d'eux, ce sont eux...

Pour se souvenir, une certitude mémorable, seuls les écrits restent.

Devoir de mémoire à Auschwitz et Birkenau

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