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Michaëlle Jean n'a pas pour mission de représenter Haïti

Michaëlle Jean ne va pas prioriser un pays membre pour la seule et unique raison que c'est son pays, d'adoption ou d'origine. Je sais que beaucoup d'Haïtiens le voient ainsi, comme beaucoup de Noirs l'ont pensé pour Obama. Cela ne fera pas d'elle une traîtresse, comme beaucoup le pensent aujourd'hui pour Obama.
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Michaëlle Jean n'a pas pour mandat de représenter Haïti, pas plus qu'Obama ne l'a pour les Afro-Américains...

La candidature à la tête de l'Organisation internationale de la Francophonie de Mme Jean brouillait les lignes. Ancienne gouverneure générale du Canada. Première femme à la tête de la communauté francophone. La dame vient d'Haïti, elle est Canadienne, Québécoise. Elle représente le Nord et le Sud. Déjà ça fait trop pour certains en Haïti, comme ailleurs, qui ont une vision figée et sclérosée de l'identité. Dans le récent texte sur Michaëlle Jean du journaliste haïtien Nelson Deshommes dans le réseau Mondoblog de Radio France Internationale, il y a au moins un paragraphe adressé au peuple haïtien, que j'aimerais commenter, je cite :

« Mais si vous croyez qu'elle va pouvoir panser toutes les plaies de son pays natal, ne l'applaudissez pas si vite. Je vous le dis très clairement, inutile de vous leurrer, elle ne sera pas à ce poste pour défendre uniquement les intérêts d'Haïti. Pas si simple que cela. Dois-je vous rappeler quand même que la francophonie compte désormais 80 États membres, dont 23 pays observateurs. Michaëlle Jean ne peut porter tous les fardeaux d'Haïti sur ses épaules. »

Selon la Charte de la Francophonie, adoptée en 1997: « Le statut du secrétaire général a un caractère international. Le secrétaire général ne demande ni ne reçoit d'instructions ou d'émoluments d'aucun gouvernement ni d'aucune autorité extérieure. » C'est en pansant les plaies de tous les pays francophones que Michaëlle Jean parviendra à panser celles de son Haïti natal. Mme Jean est d'origine haïtienne, oui, mais elle n'a pas un mandat pour Haïti. D'ailleurs elle n'est pas et ne pourra jamais être élue présidente d'Haïti, même si elle l'avait voulu, la Constitution haïtienne adoptée en 1987, à la suite de la chute de la dictature des Duvalier (1957-1986) ne l'autoriserait pas. L'article 15 de la Constitution haïtienne précise que « La double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise dans aucun cas. »

Trouvons l'erreur...

Même si récemment, une version amendée de ladite Constitution a été promulguée par le président Michel Martelly permettant à des Haïtiens vivant dans la diaspora, de rester citoyens d'Haïti, mais jusque-là ils ne peuvent exercer aucun pouvoir politique en Haïti. Le document a été ensuite revu et corrigé de concert avec les autres pouvoirs, législatif et judiciaire, en raison de nombreuses erreurs découvertes dans le texte. L'État haïtien fait peu de cas des expertises de la diaspora, qui représente une source de richesse potentielle pour le pays. La diaspora haïtienne regorge d'experts, de cadres, de professionnels et des gens avec de très bonnes implications sociales dans les pays d'accueil, pas besoin d'en citer.

Cette diaspora-là n'est utile que sous d'autres cieux. Selon une information de Radio-Canada, les transferts financiers de la diaspora haïtienne sont estimés à plus de 1,8 milliard de dollars américains seulement pour l'année 2008, soit 20 % du PIB. Mais le nationalisme dominateur ne donne aucune chance ni aucun pouvoir à cette diaspora, constituée de près de quatre millions d'Haïtiens. Par contre, il y a l'image mignonne de l'Haïtien qui fait rayonner son pays à l'étranger que tout le monde adore, parce que ça tape fort sur le nerf de la fierté.

Et le Gouvernement haïtien dans tout ça ?

Selon le Journal Haïti Liberté (contenu téléchargeable ici), je cite : « C'est à la pelle que le président Martelly, ancien chanteur, est en train de vider l'argent du trésor national au bénéfice de sa famille et de ses amis dans de coûteux voyages à l'étranger, location d'aéronefs, acquisitions de véhicules, et retraits irréguliers de la Banque centrale d'Haïti. » À la page 4, le sénateur du département du Nord, Moïse Jean-Charles dénonce le président Martelly. Opposant du régime en place, ce sénateur a été humilié et gazé de lacrymogène par la police haïtienne le mois passé lors d'une manifestation.

« Dans le passé, quand un président haïtien voyageait à l'étranger, l'Etat lui versait 5000 $ US par jour pour ses frais », a dit le sénateur Jean-Charles à Haïti Liberté. « Aujourd'hui, le président Martelly a quadruplé ce per diem à 20 000 $ US par jour. Quand sa femme voyage avec lui, elle obtient 10 000 $ par jour; si ses enfants sont de la partie, ils obtiennent 7.500 $ par jour, chacun, et les autres personnes de son entourage obtiennent 4000 $ par jour »

Mais le président haïtien et son premier ministre, connus pour leurs voyages hors d'Haïti pour être présents dans des activités qui ne sont pas essentielles à la survie du pays, n'étaient pas présents au sommet de la Francophonie ce 30 novembre pour soutenir l'Haïtienne d'origine. Ils ont choisi d'envoyer des représentants à leur place. Ces hommes sont tout, sauf sérieux... Et l'Histoire retiendra que ce sont les premiers ministres du Canada et du Québec : Stephen Harper et Philippe Couillard qui avaient fait le déplacement jusqu'à Dakar, dans un seul front commun pour appuyer la candidature de Mme Jean.

Michaëlle Jean élue pour quatre ans à la tête de l'OIF

Mme Jean est élue pour quatre ans à la tête de la Francophonie, pour continuer le travail qu'a bien mené M. Diouf. Démissionnaire de son poste d'envoyée spéciale de l'UNESCO pour Haïti, poste qu'elle a bien occupé après le séisme. Maintenant, elle est à l'OIF pour signer des accords internationaux. Sans conflit d'intérêts, elle peut nommer son personnel, ordonner les dépenses au bénéfice de toute la Francophonie, pas d'un pays ou d'un peuple en particulier. Être secrétaire générale de la Francophonie signifie avant tout qu'elle doit être au service de tous les pays membres avec équité, en cela j'ai une très bonne confiance en Mme Jean, pour l'impartialité et le sens de l'éthique dont elle a fait preuve comme journaliste et présentatrice de nouvelles à Radio-Canada.

Michaëlle Jean ne va pas prioriser un pays membre pour la seule et unique raison que c'est son pays, d'adoption ou d'origine. Je sais que beaucoup d'Haïtiens le voient ainsi, comme beaucoup de Noirs l'ont pensé pour Obama. Cela ne fera pas d'elle une traîtresse, comme beaucoup le pensent aujourd'hui pour Obama. Ils disent qu'il n'a rien fait pour les Noirs. Le secrétaire général de la Francophonie est là pour présider le Conseil de coopération et diriger l'organisation. Le monde de la Francophonie c'est en tout 80 États et gouvernements (57 membres et 23 observateurs), Mme Jean est au service de tout ce monde-là, des hommes et des femmes dans lesquels sont inclus les Haïtiens.

Barack Obama, président des États-Unis ou des Afro-descendants ?

Parlons maintenant de Barack Obama, puisque Nelson Deshommes veut en parler en citant, Serge Katembera, un chroniqueur rempli de talent avec qui j'aime bien discuter, d'abord pour son intelligence et ensuite parce qu'il n'a aucun problème avec les idées mêmes les plus divergentes, donc ça fait foisonner quelquefois nos pensées. Mon dernier souvenir remonte. Je lui ai répondu Non, les Noirs ne sont pas des cons à son texte Désolé, mais les Noirs sont des cons. Nelson Deshommes a aussi mentionné le ras-le-bol de notre ami Serge qui se disait aussi déçu après avoir été fan d'Obama à 22 ans dont je cite un extrait :

«beaucoup d'Afro-Américains étaient en liesse pensant que le premier président noir des États-Unis d'Amérique allait travailler pour le bien-être de sa race.»

Maintenant le président Obama fait face à un examen inexploré, pour un homme qui était le chouchou des électeurs quand il a remporté l'élection en 2008. Aujourd'hui les critiques continuent à pleuvoir sur les contributions du président à la communauté noire. Depuis l'époque de sa première élection, il a toujours été question de l'importance d'Obama pour les Afro-Américains et sa volonté de répondre aux préoccupations de l'Amérique noire. Même en Afrique, tout comme en Haïti, certains attendaient leur part du gâteau, tout simplement sur la base que Barack était d'ascendance africaine. Mais au moment où le président affirmait son ordre du jour par une variété d'enjeux pour tous les Américains, des critiques commençaient à pleuvoir. Malgré tout, aujourd'hui, son impact sur la communauté noire est encore puissant bien que les critiques affirment qu'il n'a pas fait assez.

Au cours de son mandat, le président Obama a nommé 287 personnes, dont 55 Afro-Américains et 30 Latinos, ce qui dépasse de loin ses prédécesseurs, éclipsant l'ancien président George W. Bush de 10 points de pourcentage, et même le président Bill Clinton, toujours aimé par la communauté noire; il l'a battu de deux points. Son travail ne s'arrête pas là. La vice-amirale Michelle Howard, qui a été confirmée en tant que nouvelle vice-chef des opérations navales de la Marine, a également été la première femme noire à être nommée à ce poste par le président Obama. Une fois de plus, le président a diversifié ses rendez-vous, montrant ainsi une volonté de tirer de l'ombre l'expertise noire. Mais nous devons aussi comprendre que beaucoup de travail reste à faire pour améliorer les relations entre les Américains noirs et l'application de la loi. Il y a seulement 59 ans que Rosa Parks a changé le cours de l'histoire aux États-Unis.

Dans le cadre du projet de loi de réforme de 2010 sur les soins de santé. Obama a signé les mesures mettant fin à la pratique de gaspillage qui vise à subventionner les banques. Depuis juillet 2010, tous les étudiants ont commencé à obtenir leurs prêts étudiants fédéraux directement du gouvernement fédéral, leur permettant d'économiser 67 milliards de dollars sur dix ans, 36 milliards de cette somme iront à l'expansion du Pell Grant Program, pour les étudiants à faible revenu qui veulent payer leur scolarité. Cela permet aussi à de jeunes Noirs américains issus de familles à faible revenu de profiter vivement. Ils pourront faire la même route qu'Obama lui-même a faite pour arriver là où ils veulent. En 2009, Obama est le président américain qui a signé la loi sur la prévention des crimes haineux, incluant les crimes fondés sur l'orientation sexuelle, la race et la religion.

Il est Noir comme on dit, mais il n'est pas que le président de la race noire, heureusement. De toute façon, pour moi il n'y a pas de race. Car pour que cesse le racisme, il faut constater sa sordide stupidité, le sortir de nous. Il faut croire qu'il n'y a pas de race blanche ou de race noire, ni de race rouge ou de race jaune, que nous sommes tous de la même race. La race humaine. Dire qu'un individu appartient à un groupe par la seule couleur de sa peau, pour moi, c'est la définition même du racisme.

Barack Obama n'est pas un président de doublure. Il a été élu à la tête des États-Unis, non pas à la tête d'une association de Noirs. Il a réussi à mettre les États-Unis sur les rails, économiquement à ce qu'il paraît, c'est aux Américains d'en profiter, quelle que soit la couleur de leur peau. Tout n'est pas aussi simple en politique, pas aussi simple qu'on le croit. Prenons par exemple la recrudescence des actes anti-Noirs, cela ne vise qu'un objectif, le piéger. Et Barack Obama a eu la bonne réaction pour Ferguson, tout comme dans le procès de Zimmerman par exemple, où il qualifiait l'événement de tragique, en disant : « Si j'avais un fils, il ressemblerait à Trayvon ». J'avais écrit un petit texte là-dessus : Barack Obama aurait pu être Trayvon Martin il y a trois décennies. C'est humiliant d'être un suspect dans un magasin en raison de la couleur de sa peau, disait Obama - chose certainement vécue - puisqu'il a été lui-même, il y a quelques années, une victime de suspicion. Mais est-ce là un problème d'Obama ? Ses pourfendeurs le critiquent aussi pour sa politique de drones et d'attaques ciblées contre l'ennemi. Mais moi j'ai une question : quelles armes démocratiques peut-il utiliser pour se défendre face à toutes les menaces qu'on sait?

Je pense qu'il faut analyser et connaître les faits avant de juger ou de diffuser certaines pensées. Je ne suis pas fan d'Obama, pas du tout. Je ne fais qu'analyser, et j'ai un gros problème avec l'absence d'objectivité dans les analyses. Selon les faits, Barack Obama a fait ce que d'autres n'ont pas fait. Est-il lui-même victime de ses propres réalisations? Élu dans un contexte économique difficile, au moment de la crise des subprimes qui touchait le secteur des prêts hypothécaires à risque et la crise bancaire et financière de l'automne 2008, deux phénomènes qui ont déclenché la crise financière et la crise économique mondiale des années 2008 et suivantes, Obama arrive à faire sa réforme financière, une gestion de l'économie, une réforme de l'assurance-maladie (faut-il le rappeler ? la loi sur les soins abordables visait à mettre fin à la disparité des soins de santé chez les Afro-Américains et d'autres gens de couleur). L'administration Obama estime que plus de 8 millions d'Afro-Américains bénéficieront grandement de cette loi, et le ministère de la Santé a été actif ces derniers temps pour expliquer les nuances de la loi à ce groupe.

La politique environnementale de l'Administration Obama pourrait rester dans les annales si elle aboutit aux réformes voulues. Ce sont des réformes majeures, si elles sont menées à terme, même si elles sont imparfaites. Elles sont des achèvements concrets et des caps bien choisis, comme la réforme de l'immigration, contre vents et marées politiques. Cela fait d'Obama le plus grand réformateur américain des 50 dernières années, selon le spécialiste des États-Unis François Durpaire. Pas moins de 55 chiffres emblématiques prouvent l'immense travail de l'actuel locataire de la Maison-Blanche. Le plus parlant : la baisse du taux de chômage, passé de 10 % environ en 2008-2009 à 5 % en 2014. Ce n'est pas de la propagande, ce sont des faits. Lire cet article du Rolling Stone du 8 octobre 2014 de Paul Krugman, économiste lauréat du prix Nobel, connu comme l'un des critiques d'Obama.

Non, Obama n'est pas le président des Noirs, mais de tous les Américains, incluant les Noirs. Michaëlle Jean n'est pas la secrétaire générale d'Haïti, mais la secrétaire générale de toute la communauté francophone incluant Haïti. Imaginez-vous une seule seconde à quoi le monde pourrait ressembler, si chaque président américain élu décidait de diriger ce pays en fonction de sa race ?

N'espérons pas l'impossible

Haïtiens, n'espérons pas plus de ce que Michaëlle Jean peut nous offrir, évitons d'espérer l'impossible comme beaucoup de Noirs des États-Unis et du monde lors de l'élection de Barack Obama. Car désormais elle n'est plus envoyée spéciale de l'UNESCO pour Haïti. Michaëlle Jean est l'ambassadrice émérite de toute la communauté francophone maintenant. Ce n'est pas à elle de faire le travail que Martelly n'est pas capable de faire. Si Michel Martelly refuse d'organiser des élections législatives libres, honnêtes et démocratiques dans son pays pour le faire avancer sur le chemin du développement durable. S'il essaie par tout les moyens de violer la Constitution pour diriger Haïti par décrets afin de mieux patauger dans la corruption avec sa fine équipe à Port-au-Prince, ce n'est pas le problème de la nouvelle secrétaire de l'OIF. Insurgeons-nous plutôt contre ce pouvoir malhonnête qui bafoue notre dignité et notre fierté.

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