Aux seuls véritables hommes
et femmes d'Haïti...
Toi qui te dresses comme un mur devant la vague.
Ayiti Toma Terre interdite,
Ayiti Toma Terre d'une absence
Ayiti Toma Terre de contrastes
et déjà sans achèvement
- essence d'une mère.
Dans ton ventre tiède se cache pourtant la Vie,
l'immanente Vie à l'affût,
rôdant autour d'une autonomie inconsciente.
Et comme elle perd son tranchant,
comme elle devient lisse
et chaude et ronde
la Vie dans le tunnel de ton ventre
Comme il transcende en eau profonde
l'eau de tes yeux,
et comme il ride
à fleur de lèvre ton sourire,
un souffle vital, pour l'emporter
hors de ces dents étranges et entrouvertes
Ton sourire est un vol de cendres
Des cendres de ce jour qui nous rappelle un devenir.
Le flèche décochée dans la Savane-Désolée,
La flèche sans combat,
sans cible et sans destin,
ne traverse pas l'air
comme toi tu le fends,
Terre sans pesanteur,
corps dressé
vers le haut, tantôt vers le bas
L'air bleu n'a pas cette pureté que le tien possède.
Tu t'avances au long d'un chemin, non tracé
Comme une flèche qui sous le soleil passe
sans rayonnement
Qu'aucune main de vivant ne happe,
qu'aucune œil humain ne suit
du regard,
Et vers qui ne s'ouvre aucune poitrine.
Tu es la flèche seule dans l'espace
Ton chemin qui tremble
se meut devant toi,
et par ce chemin tu iras tout droit.
Rien ne viendra de toi.
Comme rien n'est venu
de la Montagne,
et la Montagne est belle.
Tu ne seras pas le chemin d'un instant
qui apporte au monde un peu plus de tristesse ;
et tu ne poseras pas ta main
pour sur un monde
qui ne t'aimes pas.
Tu laisseras la fange de l'étoile, l'étoile
l'Unité parfaite
qui n'a nul besoin
de se reproduire,
à l'instar
du ciel
du vent
ou de la mer.
Parfois une ombre,
un rêve
agitent la tendresse
restée stagnante
- sans lit - dans le sous-sol
de ton âme.
Le sédiment remué,
brassé,
de cette sourde tendresse
qui passe
alors comme vague
de sang sur ton visage et que vire soudain
pour remonter le fleuve
de ton sang jusqu'à la racine de ce fleuve.
Et qui est poudre de soleil tamisée
par la masse
des nerfs
de sang
Une aurore intime et fugitive
Un feu du dedans qui illumine
scelle ta chair inaccessible.
Contre l'instinct qui se cramponne,
obstiné à ton flanc,
Contre l'instinct aveugle,
muet,
manchot,
cherchant des bras,
des yeux,
des dents,
Toi contre l'ardente, nébuleuse des âmes,
contre l'obscur, misérable
désir d'être forme,
corps vivant, endurant
des règles faites
pour l'obéissance du viol - Toi, rien que toi.
Terre qui ne pourrait même pas se taire,
Mais n'es-tu pas toi-même
l'étoile qui replie ses branches ?
La rose qui ne va plus loin que son parfum ?
(Une étoile qui dans l'étoile se consume,
une fleur qui demeure dans la fleur...)
Mère d'un rêve qui toujours étend ses bras.
Terre fragile, toute soie,
L'amour te brûle mais ne réchauffe
tes mains froides
Lente, la vie, lentement
te brûle mais sans que tu flambes
Tu marches mais tes pas te portent nulle part
Tu marches mais restes clouée
à ta croix,
Terre délicate et meurtrie,
Mère aux yeux obliques
par où fuit
l'Éternel éternellement.
Terre-Mère des hommes, Terre de personne
Quel prisme inversé te projette là-dedans ?
Quel fleuve flue et afflue en toi ?
Quelle lune te dissocie de ta mer pour
te replonger dans la mer ?
En toi commence
et se résout la spirale
tragique du rêve
Rien n'a pu sortir de toi: ni le Bien,
ni le Mal, ni l'Amour,
ni les mots d'amour, ni l'amertume
versée en toi siècle après siècle
L'amertume qui t'a remplie jusqu'au plus haut
sans se déborder,
Car ce qui est tombé en toi est tombé dans un puits.
Il n'est de hache pour t'ouvrir un soleil dans l'obscurité de la forêt
Ni de miroir qui te copie sans se briser
- avec toi dans sa glace -
où tu te verrais morte en te penchant sur elle
Tu es onde au repos : une eau transie d'étang,
gélatine sensible,
talc blessé de lumière fugace où
dort un paysage vague et inconnu :
un paysage de 27 750 km2 qu'il ne faut pas réveiller.
Et Dieu pourrisse la langue de qui l'animera
contre toi, qu'à un mur, inexorablement,
il cloue les bras de qui osera te signaler ;
la main obscure de caverne
qui versera un peu plus de vinaigre sur ta soif !
Ceux qui te veulent le perpétuel, l'asservissement
à quoi servent
les autres Mères
ne savent pas que tu es
Ève
Ève douloureuse
Sans la malédiction,
Tes tresses cousent les déboires de l'humanité
Dans ta perle des tropiques, un bois de parfum
Ils ne savent pas que tu détiens la clef de la Vie.
Ils ne savent pas que tu es Mère
frémissante de l'enfant qui te hèle depuis le soleil
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