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Niqab: un enjeu de condition féminine dans la sphère publique

Sur le plan stratégique, la publicité du Bloc québécois réussit non seulement une attaque à gauche, mais également une prise de position à droite.
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En pleine campagne électorale, et suite au rejet de l'appel de la Cour suprême du Canada devant les demandes d'Ottawa, le Bloc québécois a lancé une publicité qui visait à attaquer le NPD en dévoilant ses positions sur deux enjeux (l'exploitation pétrolifère et l'ingérence des croyances religieuses dans les affaires de l'État) qui seraient contraires aux intérêts des (électeurs) Québécois.

Entendons-nous, il s'agit d'une publicité électorale qui, de par sa constitution historique, n'a rarement eu le luxe de la subtilité. Les deux enjeux, traités dans un même discours, visent un objectif stratégique-politique tendancieux de prise du pouvoir et non de développer un argumentaire en profondeur cohérent pour le bien des dits enjeux.

Ceci dit, évacuons tout d'abord la stratégie, afin de nous concentrer sur le politique, pour ultimement en arriver à ce dont il est réellement question (et qui semble incapable de frayer son chemin dans la conversation médiatique de part et d'autre).

Sur le plan stratégique, la publicité du Bloc québécois réussit avec brio non seulement une attaque à gauche sur son principal adversaire au Québec, mais également une prise de position plus à droite à l'endroit des quelques circonscriptions détenues par le Parti conservateur (parti au pouvoir) au Québec.

Se faisant, le Bloc québécois réaffirme surtout son mandat de défendre les intérêts du Québec à Ottawa, au-delà de la souveraineté, à l'intérieur du contexte fédéral où il peut également y partager des valeurs communes. Résultat: le Parti conservateur est forcé de prendre position politiquement en suspendant le jugement de la Cour suprême (afin de rassurer sa base votante) tout en donnant raison à la démarche du Bloc, qui prouve qu'il est possible d'influencer le pouvoir en faveur du Québec sans être techniquement au pouvoir.

Ainsi, le Parti libéral profite de l'occasion pour se positionner à l'opposé comme étant le défenseur de l'idéologie multiculturelle qui accepterait le jugement de la Cour sans contestation. Le NPD est donc contraint de maintenir sa position centriste, sa stratégie principale depuis le début de la campagne électorale.

La stratégie de la publicité du Bloc a donc su engranger une décision politique de la part du parti au pouvoir, et donner une raison (ou non) aux électeurs potentiels de voter pour un parti ou un autre. On pourrait être tenté de se rallier au résultat du prochain scrutin pour juger si l'intervention était supportée par une majorité de l'électorat (comme ce fut le cas lors de la récente élection québécoise et l'enjeu de la Charte des valeurs), or on ne peut nier l'influence directe qu'un événement médiatique de la sorte a pu avoir sur le (pouvoir) politique.

Et c'est principalement ce dont on accuse le Bloc québécois.

La réplique du NPD, conséquente avec son positionnement centriste, provient de la bouche du porte-parole Karl Bélanger, qui compare le Bloc Québécois au Front national (France). Toujours d'un point de vue stratégique, la manœuvre est bien ficelée, car elle permet au NPD de rester bien campé au centre en ayant recours à une attaque qui n'a rien à voir avec l'enjeu réel (sans dévoiler une mesure concrète sur le sujet, donc) et un positionnement sur l'axe gauche-droite, mais bien avec un recours au racisme et la xénophobie. Le Bloc Québécois doit désormais se justifier de ne pas être intolérant, et non débattre en profondeur du jugement de la Cour suprême.

Une stratégie qui n'a rien à voir avec le politique, mais davantage avec la politique négative néo-populiste de l'affirmation coup de poing (éclabousser le chef Gilles Duceppe, que la droite accuse d'être un ancien militant communiste, avec des accusations d'affiliation extrême-droite n'a aucun sens), qui a pour effet de convaincre la base militante du NPD.

Le soutient à la position du NPD s'exprime par de nombreux arguments qui fusent sur toutes les tribunes: «ce n'est qu'un wedge issue» (oubliant que la publicité se voulait en réponse au jugement du plus haut tribunal au pays); «on n'aborde pas les vrais sujets: l'environnement, l'économie, la justice sociale» (faisant fi que la veille du lancement de la publicité, les trois partis principaux débattaient sur ces différentes enjeux pour The Globe and Mail, sans compter que la campagne durera 78 jours - faut-il éviter de parler d'un jugement de la Cour suprême au profit des autres sujets?); «les femmes qui portent le niqab ne sont qu'une faible minorité, pourquoi faire du capital politique sur le dos de leur situation en attisant la peur des étrangers?».

Ce dernier argument apparaît le plus efficace de la part de la base militante du NPD, surtout d'un point de vue stratégique, car il est celui qui se situe le plus à l'opposé de l'essentiel politique que souhaitait adresser la stratégie du Bloc québécois.

Comment le Bloc québécois, qui souhaite défendre les intérêts des femmes, peut-il se faire accuser de xénophobie et de non-respect de la condition féminine lors d'une cérémonie de la citoyenneté qui se déroule à visage couvert?

Car c'est ce dont il est question: de condition féminine dans la sphère publique.

Prenons l'exemple de la violence conjugale. Il fut un temps où cela était accepté: autant dans la sphère publique que dans la sphère privée. Un homme pouvait violenter une femme en pleine rue et dans son foyer, sans que la société n'intervienne d'une manière ou d'une autre face au phénomène. Vint un instant où, collectivement, la violence d'un homme envers une femme fut décriée sur la place publique: il était mal vu, puis interdit, de frapper une femme sans conséquence sociale. Or, ce n'est que depuis peu que la mesure s'applique également dans le privé du foyer. Il ne faut pas remonter à une époque si lointaine pour que «ce qui se passe dans la maison d'un homme ne regarde que lui-même». Par contre, de multiples efforts (qui sont toujours développés aujourd'hui) interdisent formellement la violence conjugale, peu importe qu'elle soit véhiculée en public ou en privé.

Il est inutile de nos jours de rétroactivement se demander si on a questionné les femmes victimes de violence conjugale à savoir si elles souhaitaient se libérer du joug de l'oppression masculine. Il en va de même par rapport au respect de leur intégrité dans le privé de leur personne vis-à-vis leur présence dans la sphère publique.

Pourtant, malgré quelques malheureuses exceptions, une victime de violence conjugale peut se souvenir d'une période de sa vie où elle n'était pas victime de violence conjugale. Sans dire que la solution devait provenir d'elle-même, de sa propre libération du joug machiste, elle comprenait le choix qui se présentait à elle, sans être capable de résorber la solution par elle-même. Or, le contexte social a évolué (et continue toujours aujourd'hui) afin d'adresser politiquement cette question jusqu'à la criminaliser par l'apport du système judicaire.

Dans son essai Tolerance as an Ideological Category (2007), le philosophe Slavoj Zizek exprime comment une femme vivant sous le joug de croyances religieuses ne peut jouir de la même compréhension de son choix, c'est-à-dire de l'alternative à sa propre constitution.

"The liberal idea of a "free choice" - if the subject wants it, s/he can opt for the parochial way of the tradition into which s/he was born, but s/he has to be presented with alternatives and then make a free choice of it - always gets caught in a deadlock: while the Amish adolescents are formally given a free choice, the conditions they found themselves in while they are making the choice make the choice unfree. In order for them to have an effectively free choice, they would have to be properly informed on all the options, educated in them - however, the only way to do this would be to extract them from their embeddedness in the Amish community, i.e., to effectively render them "English." This also clearly demonstrates the limitations of the predominant liberal attitude towards the Muslim women wearing a veil: they can do it if it is their free choice and not an option imposed on them by their husbands or family. However, the moment women wear a choice as the result of their free individual choice (say, in order to realize their own spirituality), the meaning of wearing a veil changes completely: it is no longer a sign of their belonging to the Muslim community, but an expression of their idiosyncratic individuality; the difference is the same as the one between a Chinese farmer eating Chinese food because his village is doing it from times immemorial, and a citizen of a Western megalopolis deciding to go and have a diner at a local Chinese restaurant. The lesson of all this is that a choice is always a meta-choice, a choice of the modality of the choice itself: it is only the woman who does not choose to wear a veil that effectively chooses a choice. This is why, in our secular societies of choice, people who maintain a substantial religious belonging are in a subordinate position: even if they are allowed to maintain their belief, this belief is "tolerated" as their idiosyncratic personal choice/opinion; the moment they present it publicly as what it is for them (a matter of substantial belonging), they are accused of "fundamentalism." This is why the display of religious symbols and prayer in public schools are such a sensitive topic: their advocates open themselves to the reproach of blurring the line of separation between private and public, of staining the neutral frame of the public space. What this means is that the "subject of free choice" (in the Western "tolerant" multicultural sense) can only emerge as the result of an extremely violent process of being torn out of one's particular life-world, of being cut off from one's roots."

Dans le cas qui nous occupe présentement, il est donc plus que surprenant de constater qu'une femme victime de violence conjugale - qui peut saisir la notion de choix parce que sa situation n'est pas historiquement constitutive à sa personne - jouisse d'un traitement de société plus drastique et unilatéralement accepté, peu importe la sphère publique ou privée, qu'une femme vivant sous le joug d'une croyance religieuse de laquelle elle ne sait différencier son statut fondamental à l'intérieur d'un dispositif qui l'empêche de choisir librement.

Alors, sans prétendre dès maintenant s'attaquer à la sphère privée d'une femme potentiellement forcée de porter le niqab dans la sphère publique de par sa propre constitution, d'insister sur le dévoilement du visage (un petit pas dans une direction pourtant entreprise depuis longtemps soit la laïcité de l'État) lors d'une cérémonie de citoyenneté - moment où on expérimente pour la première fois l'ensemble du dispositif sociétal - n'est-il absolument pas xénophobe, mais bien au contraire le moment précis où une société communique le principe (et le souhait) fondamental de liberté et d'égalité entre les hommes et les femmes?

Grâce à une stratégie publicitaire, le Bloc québécois a exercé une influence politique qui visait ultimement à préserver le fondement égalitaire de la société canadienne (sphère publique), non pas contre les autres (dans le cas présent une femme religieusement pratiquante) mais bien pour la femme canadienne qu'elle est (sphère privée) et dont elle fait désormais officiellement et librement partie.

À l'inverse, en répondant d'une stratégie politique pure, le NPD qui accusait le Bloc québécois d'attitude semblable à l'extrême-droite, polarisait le politique pour ne servir que la joute politique de son propre positionnement électoral.

Pour paraphraser l'activiste politique John Jay Chapman, qui voyait dans le consensus occidental chrétien un héritage inévitable (multiculturel?) faussement authentique, profondément condescendant et fort possiblement aliénant: "The general cowardice of this age covers itself with the illusion of charity, and asks, in the name of Christ, that no one's feelings be hurt. "

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