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Couvrez ce Saint que je ne saurais voir

Si le New York Daily News et Al Jazeera décident de brouiller les caricatures du prophète Mahomet au sein de leur couverture médiatique, est-ce qu'ils informent davantage le grand public que la CBC qui, par exemple, refuse tout simplement de montrer les caricatures?
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« Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. » − Molière

Au-delà de la tuerie dans les bureaux de Charlie Hebdo, l'introspection médiatique est complète : comment peut-on pleinement soutenir des collègues journalistes (et donc la liberté de presse), tout en refusant de publier les caricatures dudit magazine justement attaqué pour son contenu controversé?

Est-ce donc de la censure (ou tout simplement de l'hypocrisie) que de couvrir une nouvelle tout en refusant de communiquer au grand public une partie de l'information disponible?

La couverture de la présente nouvelle nous offre possiblement une partie de la réponse.

En effet, alors que la non-publication, par quelques médias, de caricatures (pouvant offenser la sensibilité de certains) soulève les questionnements, il semble accepté de manière quasi unanime, par la communauté médiatique traditionnelle, qu'une partie de la vidéo de la tuerie soit amputée de l'assassinat en pleine rue d'un policier par l'un des assaillants présumés.

Cette pratique est courante; alors que dans le cas contraire, les médias font habituellement appel à la sensibilité du grand public face à ce qu'ils s'apprêtent à consommer comme contenu potentiellement offensant.

Par contre, personne n'est leurré par le stratagème (de part et d'autre) : ce qui se déroule derrière les images cachées n'est pas inconnu. On sait ce qui s'y déroule, mais on accepte de ne pas voir.

Est-ce que cela entrave à la pleine compréhension de l'événement?

Difficile de répondre.

Et si on avait décidé de tout de même montrer la mort du policier, mais en brouillant l'image (et possiblement le son), serait-on davantage informé? Oui.

Or, serait-on mieux informé?

Ici, réside l'essentiel du questionnement.

Si le New York Daily News et Al Jazeera décident de brouiller les caricatures du prophète Mahomet au sein de leur couverture médiatique, est-ce qu'ils informent davantage le grand public que la CBC qui, par exemple, refuse tout simplement de montrer les caricatures?

Oui, mais est-ce mieux?

Et serait-ce mieux s'il était rendu possible de tout voir?

Existe-t-il donc une corrélation entre être davantage informé et être mieux informé?

Par exemple, est-ce que la diffusion intégrale d'une vidéo qui présente la mort sanglante d'une protestante iranienne change la pleine perspective d'une nouvelle destinée à informer? À l'inverse, comprend-on plus ou moins l'insubordination d'un majeur porté bien haut s'il est brouillé?

Ainsi, peu importe la sensibilité, car au final elle sera toujours variable : il y aura toujours des âmes blessées, comme l'écrivait Molière.

Doit-on protéger ces potentielles âmes blessées au nom de l'intégrité journalistique alors que l'Internet offre ce que les médias traditionnels refusent de diffuser?

Est-ce que les radicaux attaqueront l'Internet et/ou est-ce que l'Internet est responsable de la radicalisation?

Poser la question, c'est y répondre (c.-à-d. la radicalisation est responsable de la radicalisation) et n'était-ce pas là précisément ce que souhaitait nous illustrer Charlie Hebdo : une satire de notre réalité?

L'hypocrisie est fort possiblement plus adéquate (et efficace) que la censure lorsqu'on prend des décisions au nom du grand public afin de protéger ses propres intérêts, soit de détenir l'information.

Que penserait donc Molière de ces décisions journalistiques (mais certainement éthiques) de ne pas publier certaines caricatures au nom de la rigueur journalistique, protecteur des sensibilités variables? Il répondrait peut-être quelque chose comme : « Il n'importe : sortez, je vous prie, un moment, et partout, là dehors, voyez exactement. »

Enfin, il en serait du grand public de porter la responsabilité de ressentir de coupables pensées.

Et ce avec violence, ou non.

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