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Le «féminarcat» comme idéologie

Si on veut s'unir derrière la cause féministe, il faudrait d'abord que les féministes radicales militantes parviennent à transcender leur colère et à canaliser leur énergie vers un véritable dialogue de façon à nourrir un débat constructif.
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Sur Facebook, j'aime partager les bonnes nouvelles qui témoignent de l'avancement des droits des femmes, mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi les féministes radicales observent un pesant silence radio lorsque, par exemple, la GRC et la SQ annoncent qu'elle vont rouvrir des dossiers de plaintes pour agressions sexuelles qui ont déjà été jugés non fondés ou lorsque l'Université de Sherbrooke propose de sanctionner les comportements inappropriés.

Elles se gardent bien de se réjouir publiquement, au contraire. J'avais décelé cette attitude à l'annonce qu'une femme apparaîtrait bientôt sur un billet de banque, une demande bien documentée des groupes de femmes. « C'est juste un fucking bonbon! » m'avait répondu une féministe. Pourtant, ailleurs dans le monde, on célèbre chacune de ces petites victoires. Mais au Québec, le mot d'ordre semble être : nier le progrès et ne pas en parler.

C'est à l'image de la propagande des pétrolières qui diffusent des études vantant les bienfaits de son industrie, mais qui balaient sous le tapis tout argument desservant leur objectif de nous enfoncer des pipelines dans la gorge. Car c'est ce que fait la tranche radicale du féminisme d'ici: pousser une doctrine, en taisant sciemment les progrès qui risqueraient de diluer leurs revendications.

Cette pensée qui est au cœur de l'action féministe radicale ne prône visiblement pas l'égalité, la parité ou le rapprochement, elle semble plutôt viser une forme de prédominance que j'appellerai le «féminarcat».

Les féministes radicales

Ma définition du «féminarcat» tient à trois principes : le déni de tout progrès féministe, l'entretien du statut de victime et le refus d'en discuter. Sur les médias sociaux, à l'instar des meilleurs trolls, les militantes radicales cèdent rapidement à la violence verbale, la condescendance et le mépris, non seulement envers les hommes, mais aussi envers les féministes modérées qui ont le malheur de ne pas leur emboîter le pas inconditionnellement.

Le «féminarcat impose une vision plutôt que de participer au dialogue et s'insérer dans le débat social. Un immuable appel à la lutte (« 5000 ans d'oppression! »). Un discours accusateur pour déchirer la courtepointe de l'opinion.

On a vu récemment un exemple de «féminarcat» lorsque la journaliste Michèle Ouimet a rouvert la discussion sur le sens de l'expression « culture du viol ». Des féministes radicales se sont rapidement inscrites en faux, certaines allant jusqu'à l'accuser de trahison. La Presse+ a publié le 24 février la réplique de l'architecte et féministe Éloise Choquette, selon laquelle on vivrait au Québec dans un climat de « dénigrement de la féminité » et dans « l'affirmation violente de l'infériorité du féminin et la glorification des comportements masculins toxiques. » La « glorification », vraiment? Où ça?

À en croire ces propos, la femme québécoise ne peut pas sortir de chez elle, utiliser les transports en commun, travailler, avoir une vie sociale, sans courir à tout moment le risque d'être agressée. Est-ce que ceci reflète vraiment la réalité? Je ne crois pas. C'est professer la victimisation en entretenant une posture qui sous-entend de façon pernicieuse que les hommes constituent un bloc d'agresseurs indistinct, ce qui est beaucoup plus proche d'une paranoïa savamment entretenue que de la réalité.

Il faut aussi déplorer cette façon de s'abstenir de se dissocier de certaines féministes, que l'on retrouve dans le texte de Martine Delvaux proposant une lecture pour le moins saugrenue du film Arrival, dans les propos publics dénigrants et sexistes de l'avocate Anne-France Goldwater ou dans le plus récent spectacle de Claudine Mercier qui passe une partie de la soirée à dire que les gars sont nonos. Un sexisme inversé - et, semble-t-il, socialement acceptable - comme le soulignait Sophie Durocher : « Une fille qui parle de sexe de façon décomplexée (comme Mariana Mazza, par exemple) est perçue comme une femme libre, qui s'assume. Mais un humoriste masculin qui parle de cul est perçu comme un macho cochon aussi primaire que le pire homme des cavernes. »

Bref, comme le disait la fille dans un sketch de Like-moi : « je peux pas être sexiste, j'suis une femme! ».

Ce qui est dommage, c'est qu'il existe une majorité de femmes qui ne se reconnaissent pas dans le combat et le langage des féministes radicales. Mais les tenantes de ce «féminarcat» mènent en public une fronde qui polarise la société, comme les référendums sur la souveraineté l'ont fait dans le passé.

Rassembler plutôt que polariser

« Patriarcat » et « culture du viol » sont devenus des leitmotivs sans définition propre, des mots passe-partout servant à claironner une pensée sans compromis. Le «féminarcat» comme mode de pensée est animé par la colère noire, celle qui aveugle. Dans les médias sociaux, à l'instar du point Godwin, on trouve rapidement une féministe radicale qui va ajouter le nom de Trump dans la discussion. Quand ce n'est pas ce qu'on pourrait appeler « le point Turcotte », un autre argument prêt-à-porter que l'on balance à défaut d'une saine rhétorique. Allez répondre qu'il y a aussi une certaine Sonia Blanchette qui a assassiné ses trois enfants et l'on vous ramassera assez vite en disant que cela est sans rapport. « Women can't be wrong ».

Lise Ravary et Sophie Durocher se font aussi troller depuis des années sans pour autant poser en victime sur la place publique.

Cette semaine, la chroniqueuse Judith Lussier a accédé au panthéon des icônEs intouchables. On a lu un peu partout qu'elle a dû démissionner parce qu'elle est une femme - un raccourci. Lise Ravary et Sophie Durocher se font aussi troller depuis des années sans pour autant poser en victime sur la place publique. Et nombre de chroniqueurs masculins se font aussi troller, par des hommes et même des femmes. Il est vrai que les insultes qu'on leur adresse n'évoquent pas l'inexcusable violence sexuelle des commentaires adressés à Lussier.

En tant que « mâle blanc privilégié » je marche déjà sur des œufs, mais signalons que Simon Jodoin a le courage d'évoquer cet aspect des choses : « Combien de fois ai-je quitté une conversation sur les médias sociaux parce que, bon, voilà, je suis un « mascu », que si j'avance une hypothèse, je donne systématiquement dans le mansplaining. Ces trolls portaient des noms enragés, comme les « Hyènes en jupon » et autres appellations sportives peu invitantes. Ces territoires dangereux, aussi, étaient même parfois peuplés des chroniqueuses. »

Lussier ne voit le monde qui l'entoure qu'à travers sa lorgnette militante, a surtout commis l'erreur de confondre chronique d'opinion et propagande militante. Un billet de Steve Proulx le résume bien : « Croire qu'être chroniqueur dans un média, c'est devoir défendre ses convictions pour faire avancer une cause... c'est se mettre dans une posture difficile à tenir à long terme. »

Si on veut s'unir derrière la cause féministe, il faudrait d'abord que les féministes radicales militantes parviennent à transcender leur colère et à canaliser leur énergie vers un véritable dialogue de façon à nourrir un débat constructif. Il est déplorable de les voir entretenir un braquage intellectuel qui sous-entend trop souvent une haine des hommes et une forme de dédain à l'égard de toutes les autres femmes qui sont féministes, sans pour autant être radicales.

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