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Pourquoi une loi sur le prix des livres?

Le prix unique du livre est une politique économique et culturelle veillant à protéger la bibliodiversité. Que les ventes de livres aient baissé de 18% entre 2009 et 2012, qu'on lise peu au Québec, cela est vrai. Mais si on lit peu, on achète aussi déjà peu. Le fera-t-on encore moins parce que, dans 11% des occasions d'achat, le livre sera un rien plus cher? L'impact ne saurait être aussi grand que le craignent les détracteurs de cette réglementation.
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Les arguments des opposants à une réglementation sur le prix du livre peuvent se résumer à trois affirmations.

Une première réaction repose sur l'aversion à l'idée que le gouvernement exerce un contrôle sur le libre marché, limitant les rabais accessibles aux consommateurs. À ceux-là, il faut répondre qu'il est préférable que ce soit le gouvernement qui le fasse plutôt qu'Amazon ou Costco. Il se pourrait bien en effet que les rabais proposés par ces deux géants ne soient qu'un miroir aux alouettes. L'opération cacherait, pour Amazon, la possibilité future d'augmenter les prix à sa guise, une fois la compétition éliminée. Certaines de leurs stratégies de dumping avaient certainement cet objectif en vue. Et c'est bien sur cette pente savonneuse que semble s'être engagé le marché des livres aux États-Unis. Sans parler de la possibilité, bien réelle, que la compagnie en vienne à se substituer aux éditeurs, en exigeant un certain type de littérature, plus susceptible d'être populaire auprès du public.

Le deuxième argument avancé concerne l'augmentation du prix des livres qui résulterait d'une telle politique. Rappelons que 11% des ventes de livres sont effectuées dans les grandes surfaces. C'est donc sur ces 11% que s'exercera cette hausse des prix, qui est en fait une limitation aux rabais consentis par ceux qui sont en meilleure position pour le faire. Les réductions offertes par ces entreprises peuvent aller jusqu'à 30%. La nouvelle politique limiterait cette aubaine à 10%.

Mais force est d'admettre que la situation demeurerait donc inchangée pour les 89% de ventes réalisées dans les libraires. De l'aveu même de Costco, l'achat de livres chez eux est un acte impulsif, non planifié. On ne va pas dans un magasin Costco pour acheter un livre; on le fait parce qu'il est là, disponible. 75% de leurs clients disent d'ailleurs qu'ils continueraient à y acheter des livres si une réglementation entrait en vigueur. On se demande alors pourquoi ils s'y opposent? Les libraires, quant à eux, enragent de voir des clients venir chez eux magasiner et voir ce qui est enfin paru pour ensuite aller se procurer un ouvrage dans un magasin à grande surface. Y aura-t-il un tel mouvement de détournement de clientèle que cela stabilisera la situation financière de plusieurs librairies? Cela reste à voir! Mais c'est sur cette hypothèse, fort valable, que repose une part des arguments justifiant la position des promoteurs d'une réglementation.

D'autres évoquent, en troisième lieu, l'effet négatif d'une telle réglementation sur les pratiques de lecture des Québécois. En effet, on lit peu au Québec, moins qu'ailleurs, et la littératie des Québécois est faible. Ainsi, la décision d'y aller d'une mesure menant à une hausse du prix des livres repose sur une drôle de politique sociale, selon Alain Dubuc (dans sa chronique du 4 décembre publiée dans La Presse). C'est que, justement, ce n'en est pas une. C'est une politique économique et culturelle, veillant à protéger la bibliodiversité par une aide destinée à assurer la diversité des points de vente et, du coup, de l'offre. Que les ventes de livres aient baissé de 18% entre 2009 et 2012, qu'on lise peu au Québec, cela est vrai. Mais si on lit peu, on achète aussi déjà peu. Le fera-t-on encore moins parce que, dans 11% des occasions d'achat, le livre sera un rien plus cher? L'impact ne saurait être aussi grand que le craignent les détracteurs de cette réglementation.

Tout cela constitue d'ailleurs l'aval du problème. À la base, en amont, il y a cette absence d'intérêt pour la lecture. Le peu de considération qu'accorde notre système d'enseignement à la fréquentation d'œuvres de notre répertoire y est certes pour quelque chose. La lecture devient alors, non plus une fréquentation d'œuvres marquantes, non plus une expérience de vie, mais un loisir parmi tant d'autres, moins distrayant somme toute, plus demandant et plus mobilisant que le cinéma ou le réseau social, dans un monde où l'attention apportée à une activité culturelle doit être brève.

Une véritable politique sociale devrait en être une qui soit d'abord éducative.

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On savait la CAQ opposée à une législation portant sur une réglementation du prix du livre. À la fin de la commission parlementaire, Nathalie Roy avait répété cette position. Christine Saint-Pierre, à la même occasion, avait demandé une séance de travail supplémentaire. Cette dernière et le ministre Kotto ont-ils profité de cette séance en plus pour en arriver à une entente qui a semblé suffisamment solide à Maka Kotto pour qu'il se décide à annoncer qu'un projet de loi serait présenté à l'Assemblée nationale? Mme Saint-Pierre a-t-elle rencontré, au sein de son parti, plus de résistances qu'elle ne l'avait escompté? Ou bien est-ce un coup politique? Mais de qui? Du ministre désireux de montrer où campe son gouvernement et d'arriver en élection avec la réputation de preux défenseurs de la culture? Du Parti libéral qui voit bien que la réglementation ne fait pas l'unanimité au sein de la population? Et si le ministre savait la manœuvre périlleuse, pourquoi risquer le coup d'épée dans l'eau? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre.

Une chose est certaine: c'est la culture qui pourrait bien en souffrir, à long terme.

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