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Que valent les normes culturelles en sexualité?

Toujours en quête d'un critère pour savoir ce que nous devrions faire au lit, nous avons vu que la nature ne peut nous servir de guide, ni le bien religieux, ni notre genre sexuel, ni même la norme médicale. Notre idéal de civilisation peut-il faire mieux et nous offrir enfin un critère absolu?
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Toujours en quête d'un critère pour savoir ce que nous devrions faire au lit, nous avons vu dans nos précédents billets que la nature ne peut nous servir de guide, ni le bien religieux, ni notre genre sexuel, ni même la norme médicale. Notre idéal de civilisation peut-il faire mieux et nous offrir enfin un critère absolu?

Deux types de réponses s'affrontent à ce sujet.

  • D'un côté, certains pensent que chaque civilisation est bien libre de développer les us culturels qui lui conviennent. Chacune détient sa vérité, sa norme de fonctionnement, et nous devons toutes les respecter en tant que telles. Sous-entendu: toutes les normes se valent.
  • D'un autre côté, certains pensent qu'il n'existe qu'une vérité. Autrement dit, une seule civilisation détient le critère légitime des « bonnes » pratiques sexuelles, les autres se trompent. Sous-entendu: il existe une norme meilleure que les autres.

Examinons leurs arguments respectifs, d'autant plus sensibles à l'heure de la mondialisation

C'est bien connu, « chacun voit midi à sa porte ». Si vous êtes une femme de la cruelle société amazonienne des Yanomamo, vous serez amenée à vous plaindre d'un manque d'amour quand votre mari ne vous battra pas suffisamment. Là-bas, on se glorifie de ses cicatrices conjugales.

Dans le Pacifique occidental, si vous êtes un jeune pubère, vous vous réjouirez avec tout le village de la cérémonie qui vous fera devenir adulte et fils symbolique du chef de tribu, en recevant son sperme dans votre bouche. Dans une autre ethnie du Pacifique, un homme qui entre dans un jardin que les femmes sont en train de délimiter sera maltraité et violé par elles.

Les relativistes tirent argument de ce que ces us sont parfaitement ac-ceptés dans ces ethnies. Leurs protagonistes en tirent des plaisirs réels et ne songent pas à les remettre en question. Le joyeux Romain regarde avec effarement son compagnon qui ne vient pas avec lui à l'orgie chez Messaline; le jeune et bel Alcibiade reste bouche bée que Socrate dorme à ses côtés sans lui grimper dessus; le riche Arabe se moque de son pauvre voisin qui n'a que deux femmes; et l'Indien cultivé de l'époque du Kama-Sutra craint d'être jugé pervers à ne plus pouvoir pratiquer plus d'une dizaine d'acrobaties au lit pour cause d'arthrose.

Les relativistes en tirent la conclusion que la douleur elle-même est relative à une norme

Ils ajoutent l'argument de la tolérance: chacun fait bien ce qu'il veut chez soi, nous devons respecter ses choix.

Un premier problème surgit avec le fait que cette conception relativiste est autocontradictoire. La conviction « à chacun sa vérité » se présente elle-même dans sa forme comme une vérité absolue. Et si toutes les normes se valent, comment concilier leurs prescriptions contradictoires?

En outre, notre sensibilité, même formatée par notre propre civilisation, nous contraint obscurément à reconnaître un problème à voir les talibanes cloîtrées sous leur burqa, privées d'école et de musique, ou les jeunes filles d'Afrique subsaharienne notamment, excisées dès le plus jeune âge, c'est-à-dire privées par d'autres et à vie de leur principale source d'orgasme.

D'un autre côté, les héritiers de Platon affirment qu'il n'existe qu'une seule vérité, la même pour tous. Ainsi nous paraît-il évident que la femme et l'homme sont égaux. Il est donc plus que normal que les femmes revendiquent leur orgasme : c'est absolument légitime, partout et de tout temps, quelles que soient les pratiques de fait. Inversement, le sexisme de certaines civilisations, qui par exemple refusent la liberté de choix amoureux aux femmes, serait universellement condamnable. Les Nord-Américains n'avaient-ils pas absolument raison de venir libérer l'Europe de la barbarie nazie?

Cette conception pose un premier problème, à savoir qu'il est pour le moins étonnant que ses défenseurs pensent également que leur propre civilisation détient la vérité, comme par hasard. Leur norme est la meilleure. L'Occident chrétien tient la monogamie pour évidente, et nourrit toujours plus ou moins l'arrière-pensée prosélyte de l'imposer aux autres. C'est très gênant dans la mesure où, dans le même temps, les autres civilisations songent à faire de même, comme l'islam et sa polygamie. C'est toujours l'autre le barbare. Mêmes laïcs et pacifiques, nous conservons l'envie de « convertir » les autres, « puisque » nous avons absolument raison. Il en résulte une crispation sur sa propre vérité, qui est la pente glissante vers l'absolutisme politique, auquel Platon n'a pas échappé.

En plus, une même civilisation se contredit elle-même dans le temps. Le divorce, l'avortement, l'homosexualité, etc. nous paraissaient très négatifs il y a encore quelques décennies. L'homosexualité actuellement défendue par l'Occident moderne fait horreur à l'islam. L'Occident avait-il absolument tort quand il le condamnait aussi?

Croit-on toujours avoir raison dans le présent et ne reconnaît-on ses erreurs qu'au passé?

Pour sortir de cette impasse, nous proposons l'hypothèse du « métarelativisme ». Nos critères de jugements sont relatifs à une norme, certes, qui n'est pas absolument certaine, certes encore, mais qui évolue dans un sens fléché, vers la vérité absolue. Cette norme en évolution intègre au fur et à mesure des conditions de plus en plus universelles et tient de plus en plus compte de la réalité de la nature humaine, que nous découvrons petit à petit.

Voici quelques conditions que cette norme en évolution requiert:

Son application doit être compatible avec la survie de la communauté. L'homosexualité valorisée par les anciens Grecs représente une possibilité autorisée à condition de ne pas l'imposer exclusivement. Sans doute est-ce le sens du mythe de Sodome et Gomorrhe

  • Les droits ouverts par une civilisation doivent tendre à l'universalité. Par exemple, le couple monogame judéo-chrétien reste valable à condition de ne pas être imposé par le droit ou déséquilibré entre les sexes par le code Napoléon.
  • La polygamie musulmane demeure tout aussi valable, à condition d'accorder le droit réciproque aux femmes avec la polyandrie.
  • La liberté des individus doit être respectée. Une personne a bien le droit d'uriner dans la bouche de son partenaire, à condition que cela amuse ce dernier.
  • Le droit au couple hétérosexuel traditionnel lui-même ne doit pas être transformé en devoir pour tous, il n'amuse pas tout le monde.

Chaque civilisation, en expérimentant telles et telles pratiques sexuelles, tâche de prendre conscience de ses présupposés, en vue d'agir un jour en toute conscience, notamment par le jeu éclairant des comparaisons avec les autres civilisations

L'action doit autant que possible être effectuée en toute connaissance de cause, en l'état du savoir disponible dans le monde. L'excision des jeunes filles déroge à ce réquisit. En plus, sa justification (religieuse) est erronée, en attribuant l'existence du clitoris au diable (« puisque » cet organe ne sert pas la reproduction). Inversement, un adulte conserve le droit de (faire) mutiler son propre sexe ou de se castrer, si cela l'amuse... mais en toute connaissance de cause.

Certes, le philosophe exigeant fera remarquer qu'on ne connaît jamais tous les tenants et aboutissants de notre action. L'humanité est loin de tout savoir (de la sexualité). C'est bien la raison pour laquelle la norme évolue. Celle-ci demeure relative à l'état des connaissances humaines, mais les vérités d'hier sont absolument réfutées aujourd'hui. Nous savons ce qui est faux, pas encore ce qui est vrai.

Nous échappons ainsi à un absolutisme, définitif et dangereux, comme à un relativisme, qui ne sait plus juger à force de contradictions culturelles, au profit d'un « métarelativisme » en constante évolution. La démocratie, la philosophie-science et l'exploration sexuelle ont ceci de commun qu'elles cherchent constamment de meilleures lois pour agir ensemble et dans la nature.

Notre enquête progresse. L'humanité s'approche d'une norme qui convienne à tous. Nous présenterons dans nos prochains billets le fondement biologique de cette immense liberté sexuelle, et proposerons quelques pistes pour mettre en œuvre une société sortie de l'âge infantile des restrictions infondées.

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Je pense donc je jouis, La philosophie du cul, ed. Max Milo

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