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L'acte sexuel est-il divin?

Un paradoxe apparaît d'emblée: le plaisir sexuel est si «bon» qu'il a pu être perçu comme divin d'une part, démoniaque d'autre part.
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Le philosophe cherche la vérité pour bien agir, le philosophe du cul cherche la vérité sexuelle pour atteindre le bonheur au lit. Qu'est-ce que «bien» agir en sexualité? On peut espérer qu'une enquête auprès des prophètes et autres sages d'Orient permette de répondre à cette question.

Un paradoxe apparaît d'emblée: le plaisir sexuel est si «bon» qu'il a pu être perçu comme divin d'une part, démoniaque d'autre part. D'un côté, le mariage entre l'homme et la femme est sacré, en tant qu'image de l'amour entre Dieu et les hommes. Mais de l'autre, le désir de la «chair» en dehors de ce cadre représente une vile tentation (de violer les lois divines).

Plus précisément, la Bible et le Coran contiennent une foule d'interdits sur telle et telle pratique sexuelle, révélés par Dieu aux prophètes (à l'exception de Jésus, qui ne semble guère loquace sur la question, à moins que ses propos n'aient été filtrés). En voici quelques exemples (pour une liste complète et référencée, voir le livre au chapitre 3). Dans l'Ancien testament, l'adultère, la prostitution, l'homosexualité, la sodomie et la «bestialité» (zoophilie) sont proscrits. Mahomet condamnait quant à lui le coït durant les menstruations, l'introduction du pénis dans tout autre orifice que le vagin et la prostitution des esclaves. Il limitait les possibilités d'inceste aux seuls cousins. Il imposait encore la pudeur aux femmes qui sortent de la maison.

De ces nombreux interdits résulte sans doute une gêne générale et confuse autour du cul. Bien que strictement parlant il ne soit interdit qu'en dehors d'un cadre précis, un certain malaise semble traverser toute la civilisation monothéiste, qui concerne tout de même aujourd'hui trois milliards et demi de personnes, la moitié de l'humanité.

Au moins, avec les deux livres sacrés, a-t-on des prescriptions sexuelles, des règles de droit qui dépassent les simples faits de la nature (voir article "Le désir est-il naturel?", chapitre 2). De nombreux problèmes surgissent néanmoins.

Les prophètes, alors qu'ils se réfèrent tous au même dieu unique, présentent une fâcheuse tendance à se contredire les uns les autres. Peut-on divorcer, comme l'autorisaient Moïse et Mahomet, ou non, comme le préconisait Jésus? Doit-on se limiter à une seule épouse, comme le requéraient Moïse et Jésus, ou à quatre, comme le stipulait Mahomet?

Ensuite, bien qu'ils se soient donnés eux-mêmes en exemple à suivre, les prophètes ne respectaient pas leurs propres lois ! Mahomet se permit d'épouser treize femmes. Le cas Jésus est plus incertain. Il défendait les prostituées, et semblait libre avec les lois de son temps, dans la mesure où il les détournait à l'occasion ou en proposait d'autres.

Plus généralement, le cadre proposé par les religions monothéistes implique de nombreuses croyances fondamentales, dès le livre de la Genèse. Les croyants présupposent que l'homme est distinct du règne animal, et supérieur, que l'âme est distincte du corps, et supérieure, que l'homme est supérieur à la femme, que l'univers a été créé dans un «but», ou encore que la sexualité a un «but», nommément la reproduction. La distinction de l'âme et du corps a été remise en question par toute une tradition philosophique, qui comprend au moins des philosophes comme Spinoza, Schopenhauer, Marx, Nietzsche et Freud. La supériorité de l'âme elle-même est bousculée par Nietzsche, au nom du corps, et Freud, au nom de l'inconscient. La croyance dans la supériorité de l'homme sur la femme prête à rire aujourd'hui.

La distinction entre l'homme et l'animal est mise à mal depuis Darwin au moins, et les primatologues contemporains ne cessent de détruire un à un les supposés critères qui devraient nous séparer des autres êtres vivants. La façon même d'interpréter l'univers a changé, avec la science moderne issue de Galilée, Descartes et Newton: il ne s'explique plus en termes de «buts», mais en termes de «causes». Dans cette nouvelle perspective, les activités sexuelles ne peuvent plus se réduire à un supposé but que serait la reproduction. Leur existence doit s'expliquer en termes de «causes», ce qui complique considérablement la tâche (nous verrons l'explication de la sexualité par la théorie synthétique de l'évolution dans un billet ultérieur).

Enfin, dans notre Europe contemporaine où non seulement la croyance religieuse baisse, mais plus important encore le nombre de pratiquants, il faut envisager les prescriptions religieuses d'un point de vue athée.

Si Dieu n'existe pas, comment fonder les règles données par les prophètes? Sur quoi se fondent le «bien» et le «mal»? Ces derniers pourraient bien être issus de choix libres et relatifs en réponse à un problème ponctuel, dans un cadre particulier, puis d'un oubli de l'origine de ces choix, ainsi que leur relativité. Sans doute le porc a-t-il été interdit à cause du ténia, à une époque où les conditions d'hygiène engendraient des risques sanitaires. Entre temps, ces conditions se sont améliorées, ainsi que la médecine, mais l'interdit demeure, coupé de ses origines, et «absolutisé», sous couvert de Dieu. Aujourd'hui, à quoi bon se priver de porc?

De la même façon, sans doute les règles limitant la pratique sexuelle eurent-elles une utilité. Il s'agissait vraisemblablement d'assurer une perpétuation de l'espèce, de contrôler la population, d'être certain que le père est bien le père et d'éviter les bâtards, les orphelins ou les abandons d'enfants. Mais aujourd'hui que la paternité est facile à prouver, que la survie de l'espèce est assurée, que la sexualité est découplée de la reproduction grâce à une contraception efficace, que des règles de droit protègent femmes et enfants, à quoi bon se priver des plaisirs sexuels en dehors du cadre reproductif et marital?

Précisément, Bouddha a exploré une tout autre voie, moins binaire, sans termes tranchés de «bien» et de «mal», et sans Dieu unique. Il ne condamne pas telle ou telle pratique sexuelle de manière absolue.

Il souhaite nous éviter la souffrance en remontant à sa source : le désir. Il s'agit d'éteindre le désir, en ne s'attachant pas excessivement (à nos objets de désir), en se vidant des pensées (qui nomment des objets), en suivant la voie du milieu (ne rien faire en excès, ni trop ni trop peu), etc.

Nous pourrions détourner ses conseils vers le cul en suggérant par exemple : de ne plus penser durant l'amour (pour mieux sentir le moment présent) ; de ne pas s'attacher excessivement à de belles personnes (dont nous serions jaloux ou qui nous refuseraient leurs avances) ; de ne s'interdire a priori aucune activité sexuelle de façon absolue (et envisager de les pratiquer modérément).

Mais Bouddha n'aurait sans doute pas apprécié cette interprétation. Il était un homme extrême, qui a suivi une voie escarpée. Sans doute a-t-il atteint un état de bonheur, mais à un prix qui paraît hors de portée du grand nombre. Par exemple, il aurait fait ceinture une cinquantaine d'années (de son éveil spirituel à sa mort). Nous pensons que d'autres voies, plus accessibles, demeurent ouvertes, dont le sexe fait partie. Bouddha désirait éteindre le désir, ce qui est contradictoire. Éteindre la souffrance nous paraît également vain, tant notre système nerveux ne peut découpler plaisir et douleur. Comme dit la sagesse populaire, craindre d'aimer par peur de souffrir revient à refuser de vivre par crainte de mourir. Prôner la modération quand on agit de manière extrême relève également du paradoxe.

Finalement, les justifications religieuses d'une limitation des activités sexuelles nous paraissent infondées, voire illusoires. Contre un paradis imaginaire, d'ailleurs empli de belles jeunes femmes d'après Mahomet, nous prônons la quête de ce bonheur bien terrestre qu'est le plaisir sexuel. Mais si nous ne pouvons nous appuyer ni sur les faits naturels ni sur les principes religieux, où trouver un critère pour choisir nos pratiques sexuelles?

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Je pense donc je jouis, La philosophie du cul, ed. Max Milo

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