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Facebook et le ménage du printemps

Jusqu'à tout récemment, Facebook, c'était mon salon rempli de ce monde qu'on appelle «de la belle visite». C'est de moins en moins le cas. On dirait que la visite a un peu bu.
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Quelques minutes avant que mon cadran sonne à l'heure prévue, l'autre matin, je me suis fait réveiller abruptement par une cacophonie assourdissante qui semblait venir de mon salon. Alarmé, je m'y suis rendu au pas de course pour découvrir la source du dérangement : mon ordinateur. Sur mon mur Facebook, un ami avait partagé une photo de Kim Kardashian, flambant nue, comme toujours. Elle était en train de s'engueuler avec la photo d'une femme portant un niqab, mise juste en dessous par une autre de mes connaissances.

Quand je pense que j'aurais pu dormir encore un peu. Bon, j'ai le choix : je peux retourner me coucher ou admirer encore un peu le fessier étrangement luisant de Kim K.

Tant qu'à être debout, voyons plutôt les autres nouvelles importantes qui se sont retrouvées sur mon mur au cours des quelques dernières heures.

• Tiens, j'apprends que le maire de Dorval est un héros. Oui, oui, l'homme fort aurait triomphé après s'être tenu debout devant les méchants musulmans qui voulaient faire abolir le porc dans les cafétérias des écoles de sa ville. Monsieur le maire est littéralement dans une classe à porc.

• Regardez donc ça si c'est gentil, mon amie Nancy m'invite à jouer à un jeu.

• Alerte! Le gouvernement donne des permis de conduire gratos aux réfugiés syriens. Un autre écart de conduite de nos élus.

• Un article du Journal de Mourréal raconte que les hommes de science d'Arabie saoudite ont découvert que les femmes sont bien des mammifères, mais pas des êtres humains. Les commentaires sous cet article démontrent que beaucoup d'hommes se découvrent soudainement des tendances féministes. Trop de bonne heure pour savoir si je suis déprimé par le fait que tant de mes amis croient à l'article dur comme fer, ou si je suis encouragé par la réaction que ce même article suscite chez mes chums de gars.

• Devinez qui est passée au «niveau Or» de son jeu et m'invite encore à jouer?

• Si c'est cuuuute. Ma tante Lucille a partagé la photo d'un beau ti-chien-chien avec une belle phrase profonde qui ne vient pas d'elle. Ému aux larmes, je vous dis.

• En un rien de temps, Nancy a atteint le «niveau Argent» à son jeu. - Longue pause. - Elle m'invite encore à jouer.

• On m'avise que les réfugiés font près de trois fois plus d'argent sur le BS qu'un aîné au teint plus pâle peut en faire à sa pension. Elle doit être vraie, celle-là, parce que ça fait soixante-quatre fois qu'elle aboutit sur mon mur. Avec tout cet argent et les économies faites sur leurs permis de conduire, ces réfugiés vont au moins pouvoir encourager l'économie locale et acheter un peu de porc.

• Nancy est en feu! Elle a maintenant atteint le «niveau Diamant» à son @#$% de jeu. - Pause plus longue avec visage renfrogné. - Elle m'invite encore à jouer.

• Ah! Mon amie Josianne, retrouvée il y a quelques semaines grâce à Facebook mais que je n'ai pas vue en personne depuis vingt-quatre ans, vient de péter sa troisième coche en six jours. Elle nous offre cette fois un long paragraphe «avec presse que pas d'erreures» dans lequel elle trouve le moyen de varloper simultanément son ancien chum, son garagiste et son gynécologue. Attendez, je pense qu'elle parle du même gars. Non, non. On ne le saura jamais ; j'ai complètement perdu le fil au milieu de la cinquième ligne.

• Quelqu'un vient juste de partager l'annonce d'une offre d'emploi qui semble pas mal intéressante. Je devrais mettre ça sur le mur de Nancy.

Tiens, c'est le printemps. Je fais le ménage!

Jusqu'à tout récemment, Facebook était «mon» lieu de réunion avec «mon» monde. Je pouvais savoir où en étaient rendus dans leurs vies les gens que je considérais comme étant les plus importants dans la mienne. J'ai entre autres retrouvé une amie d'enfance qui vit maintenant aux États-Unis et un ancien coloc devenu connu grâce à son immense talent. Je suis tellement fier de lui.

Facebook, donc, c'était mon salon rempli de ce monde qu'on appelle «de la belle visite».

Je parle au passé parce que c'est de moins en moins le cas. On dirait que la visite a un peu bu. On dirait qu'elle commence à renverser ses drinks et à déparler. Les insignifiances de plus en plus nombreuses qui se retrouvent sur mon fil rendent difficile de faire le tri et d'apprécier seulement les messages qui me rejoignent.

Que faire? Flusher ceux qui causent cet inconfort? Les «amis» qu'on laisse tomber sur Facebook n'en sont pas informés, mais éventuellement, ils s'en rendent compte et, oh misère, ils refont une demande de connexion. Et puis il y a le fait que, si on a assez de discernement pour être désolés par les lectures qui nous frappent comme étant stupides, on en a aussi justement assez pour être désolés à l'idée de froisser ceux qui les portent à notre attention.

Parce qu'on était amis en sixième année, est-ce que ça veut dire qu'on doit absolument être amis maintenant? À dix ans, on a du plaisir à côtoyer presque tout le monde. On ne sait pas encore si un membre du groupe est séparatisss ou fédéralisss ou qu'il pense que tous les islamisss sont des terrorisss.

Trente ans plus tard, on retrouve tout ce beau monde en ligne et on se surprend un bon matin en train de lire un paquet d'articles bidons qui nous font rougir de honte ou de découragement, et à regarder des vidéos de chats qui n'en finissent plus de se casser la gueule en sautant d'une étagère.

On parle bien sûr d'une minorité de gens. Je n'ai pas beaucoup d'amis sur Facebook ; un peu moins de 200, au moment d'écrire ces lignes. Reste que cette minorité est tout de même assez visible pour casser le party.

Non. C'est mon salon. Et si tu dis quelque chose que je n'aime pas dans mon salon, c'est moi qui suis froissé. Tu peux retourner chez-vous et tu reviendras, si je le décide, quand tu auras dégrisé. Un petit clic et tu prends la porte. Un autre petit clic et je préviens ton retour si jamais tu viens sonner chez nous à nouveau.

J'ai repris le contrôle de ma demeure! Ce soir je vais pouvoir dormir à tête reposée en pensant à la photo de Kim K du ti-chien-chien avec la phrase profonde qui ne vient pas de ma tante Lucille.

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