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Non Judith Lussier, les Québécois ne sont pas «intolérants»!

J'aimerais répondre à la chronique de Judith Lussier publiée dansdu 13 juin et intitulée. Pour paraphraser le poète et ex-député péquiste Géralrd Godin: «J'en ai mon mon maudit tabarnac de voyage» qu'on traite les Québécois, en toutes circonstances, d'intolérants et de «racistes».
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J'aimerais prendre quelques minutes pour répondre à la chronique de Judith Lussier publiée dans Le Métro du 13 juin et intitulée L'intolérance n'est pas québécoise. Bien qu'on s'entendra sur le titre et que je crois aussi fortement que l'on taxe trop facilement les Québécois d'intolérance, nous divergeons, mais là pas à peu près, sur le contenu (sauf sur la question du maire de Saguenay, mais c'est pour une autre fois!).

Dans les faits, pour paraphraser le poète et ex-député péquiste Gérald Godin: «J'en ai mon maudit tabarnac de voyage» qu'on traite les Québécois, en toutes circonstances, d'intolérants et de «racistes».

Judith Lussier dit qu'elle a «super honte» de voir que la première ministre Marois appuie la Fédération québécoise de soccer dans son refus d'accepter le port du turban sur le terrain de jeu lors de matchs fédérés sous sa juridiction.

J'aimerais rappeler à Judith Lussier que cette question est plus complexe qu'il n'y paraît. En 2007, une requête émanant aussi du Canada et concernant le port du hidjab avait été formulée auprès de la FIFA afin que l'on accepte les filles et les femmes qui le portent sur le terrain de jeu. La question de la sécurité avait aussi été évoquée et jugée assez importante pour que l'équipe nationale iranienne soit exclue de tournois sanctionnés par la FIFA, car ses joueuses refusaient de prendre le terrain sans le hidjab, alors que la fédération internationale le jugeait toujours non conforme.

Après une série de tests et d'analyses, on a développé une espèce de «hidjab sportif» qui est toujours sous période de probation. On a étudié l'aspect sécuritaire, mais aussi l'impact que pouvait avoir cette pièce d'équipement sur le cours du jeu dans un sport où de 20 à 30 % des touches de balle se font de la tête. Si l'aspect sécuritaire semble mineur, et je le concède, on ne doit pas minimiser l'impact qu'un couvre-chef peut avoir dans la conduite du jeu d'un sport comme le soccer, même chez les jeunes. La FIFA analyse actuellement l'impact que peut avoir le port du turban ou le patka sur le jeu et sa position est ambigüe sur le sujet. On doit alors se fier aux diverses interprétations de l'article 4 de ses règlements. Je n'en suis pas certain moi-même...

Là où ce débat me titille un peu, même pas mal, c'est quand on taxe les Québécois d'intolérants sous l'angle de «l'accommodement religieux» de la chose. Je suis ici plutôt d'accord avec Pierre Foglia qui se demandait dans La Presse du 6 juin dernier si la tolérance était un sens unique finalement. Pourquoi ne regarderions-nous pas la contrepartie de cette problématique? L'intolérance ne peut-elle pas se mesurer aussi à l'aune de ceux qui refusent à leurs enfants d'enlever turbans et patkas pendant 45 ou 90 minutes? Ce débat a fait ressortir nombre de vidéos d'obscurs matchs de l'équipe Sikh en Indonésie ou en Australie afin de bien montrer que lors de compétitions internationales, des joueurs de clubs sikhs ne portaient pas de turban. Le sport peut aussi être un merveilleux espace d'intégration à la collectivité qui accueille.

D'ailleurs, on peut aussi se demander où étaient les gorges chaudes qui accusent les Québécois d'intolérance en mai 2012? Le journal The Gazette avait alors publié un article concernant la décision de la LaSalle minor soccer association selon laquelle il n'était pas permis de jouer avec un turban. On parle ici d'un jeune joueur d'origine sikh aussi, mais dont le cas avait peu ou pas été rapporté dans les médias francophones et peu aussi d'ailleurs dans la presse du ROC. Pour mettre le feu aux poudres, manquait-il l'élément déclencheur? Le méchant québécois francophone qui brime la liberté de l'autre? De la minorité? Maudite altérité.

Pour terminer, on peut aussi, par une rapide recherche, recenser des dizaines d'autres cas dans le monde où cette question a fait surface et où l'on s'est questionné légitimement sur la place des symboles religieux dans tout espace sportif. J'apporte à votre attention le cas de cet arbitre irlandais, car je le trouve particulièrement intéressant. Et non, il n'avait pas fait le tour du monde comme le cas relaté par The Gazette en mai 2012... Il s'agit pourtant de situations analogues...

Dans chaque cas, on n'a pas vu la FIFA trancher de façon claire et définitive et l'ambiguïté de sa règlementation est un peu responsable du fiasco que l'on constate au Québec depuis une semaine. Ce qui est inexcusable et très dommage cependant, c'est la déferlante de mépris envers le Québec que ce cas spécifique a déclenché. Et ce qui est encore plus inquiétant, comme le soulignait Joseph Facal chez Dutrizac mercredi, c'est que ça devient de plus en plus banal que cette «québécophobie», comme un rempart acceptable de la ségrégation. Heureusement, je crois qu'il ne s'agit vraiment que de la minorité la plus bruyante, mais quand même...

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Et il y a l'angle du multiculturalisme à tout crin que vous semblez défendre. J'oppose à cela la prémisse suivante, les enjeux inhérents à la doctrine du multiculturalisme à la sauce trudeauiste post 1982 sont très différents selon que l'on se place dans une perspective québécoise ou canadienne.

Est-il si mal que d'analyser le multiculturalisme à l'aune d'une société minorisée, d'un point de vue linguistique, social et culturel, sur un ensemble géographique immensément vaste où cette collectivité ne compose guère moins de la demi de un pourcent de la population? Évidemment que les enjeux de l'accueil de la population immigrante sont alors bien différents. Nous le constatons chaque jour au Québec. J'ai d'ailleurs évoqué récemment dans une autre chronique cet enjeu d'un point de vue démographique en me référant à La perspective démolinguistique 2001-2051, du démographe Marc Termote.

J'appelle aussi à votre attention un article de Charles Taylor, oui, oui, LE Charles Taylor de la commission du même nom où il analysait l'enjeu du multiculturalisme de la façon suivante:

«Qu'en est-il maintenant des groupes minoritaires qui vivent sur le territoire de la majorité culturelle? Auront-ils raison d'invoquer des blessures identitaires si l'État ne reconnaît pas la

valeur de leur culture? L'État serait-il alors coupable d'imposer sa propre culture? Le libéralisme, contrairement à une conception répandue, n'est pas un espace neutre dans lequel pourraient se rencontrer toutes les cultures.»

J'en comprends que la question est fort complexe et qu'il ne faut pas tomber dans le piège de l'acceptation intégrale des accommodements, comme il serait dangereux de les refuser tous. Les réactions de son ancien collègue Bouchard allait aussi dans ce sens lorsque questionné sur le fiasco du turban.

L'apanage du questionnement de la pertinence du multiculturalisme à tout crin n'est pas non plus uniquement Québécois comme le rappelle Simon Langlois dans son compte-rendu de lecture de Michael ADAMS, Unlikely Utopia. The Surprising Triumph of Canadian Multiculturalism,dans la revue Recherches sociographiques, vol. 50, n° 1, 2009, p. 196-199.

Il note: «Au Québec, beaucoup de gens ignorent qu'il existe d'importants courants d'opinion fort critiques du multiculturalisme au Canada anglais, accusé d'être la source d'une certaine apathie pour la chose publique («civic apathy»), soupçonné d'être à l'origine d'une crise identitaire canadienne, menaçant l'égalité entre les sexes, jusqu'à être la cause d'un racisme à l'envers (celui pratiqué par des groupements minoritaires à l'encontre de la majorité).»

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Les religions au Québec

De quelles religions sont les Québécois?

Pour ce qui est de l'intolérance supposée des Québécois, je n'y crois pas. J'en appelle à votre mémoire, suite au désastreux résultat du référendum de 1995, le pire scénario qui soit, une population divisée presque parfaitement en deux. Dans la quasi-totalité des pays du monde, un tel résultat aurait provoqué des heurts, des violences et qui sait, toutes autres formes de conflits sur la base de l'ethnicité ou de la langue. Il y en a tant dans ce monde.

Mais ce ne fut pas le cas. Et bien que je sois résolument souverainiste, ma plus grande fierté demeure que je puisse défendre mon point de vue, démocratiquement, pacifiquement, sans craindre d'être persécuté, attaqué. C'est aussi le cas pour mes concitoyens, fussent-ils d'une différente inclinaison politique que moi. Notre Assemblée nationale a parfois l'air d'une grange où l'on se crie des insultes, mais qui n'a pas vu ces images de parlements étrangers où l'on se garroche de trois rangées plus haut afin de se mettre ça plein la gueule! Nos politiciens cohabitent dans un respect relatif. Et il en est de la même chose de citoyens qui habitent le Québec.

Alors oui, on peut appuyer la position de la première ministre du Québec et refuser les prédicats du multiculturalisme à tout crin (ce débat n'a rien à voir avec le sport en fait), mais en défendre aussi les bienfaits au sein d'une intégration qui respecte les enjeux de la collectivité d'accueil. Et Dieu (!) sait que je les aime ces bienfaits! Que ce soit quand j'ai trop hâte de revoir Set Fire to Flames ou toute autre déclinaison de ses excellents musiciens au Black Sheep Inn de Wakefield, ou quand j'assiste, à chaque année, à la prestation de nombres de groupes traditionnels et de musique du monde d'ici et d'ailleurs au Festival Mémoire et Racines de Saint-Charles-Borromée, content des découvertes que nous y faisons.

Car la musique, comme le sport, est un merveilleux espace de tolérance... Mais ça vous le savez déjà!

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