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La certitude de manquer au devoir d'être soi

Je vis ce qu'on appelle de nos jours « une dépression ».
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Stéphanie Grimard

Sometimes you realize you had a thing keeping you going, that might be a lie. When you actually understand that, that the whole thing might have been a lie the whole time, it's like you swallowed a stone. But, not recently. You swallowed it years ago.

Alyssa, The End of the F***ing world

Ces mots sont sortis d'une série que j'ai écoutée en deux soirs sur Netflix. C'est une manière très juste de décrire comment moi je vis ce qu'on appelle de nos jours « une dépression ». Certains des symptômes se rapprochent peut-être plus de ce qu'on appelait avant l' « hystérie »... Je crois avoir vu dans les descriptions de Charcot la paralysie, physique, comme effet de cette pathologie d'origine supposément utérine (le latin hystera signifie d'ailleurs matrice). Pour moi, c'est quelque chose ça, mais une paralysie de l'âme. Elle ne bouge plus. Si les émotions sont quelque chose comme l'âme qui se meut, c'est tout d'un coup comme le grand gel. Mais on est loin de l'ataraxie, a-taraxis, absence de trouble, paix de l'âme – non c'est paradoxalement un tourbillon qui fuit vers son centre et nous donne le vertige. C'est tout ça en même temps, et physiquement, dans mon cas, ça prend la forme de ce que j'ai toujours appelé la « boule dans la gorge ». Quand je la sens, que je la reconnais, que je la nomme et vais jusqu'à l'annoncer à quelqu'un, c'est que l'avertissement est donné : c'est parti, la suite je la connais, je sais que je n'y échapperai pas. Insomnie (TOTALE), perte d'appétit, doute absolu... ah non ce n'est pas vrai, il reste à travers tout ça une certitude (à part le fait que cet état ne me quittera pas pour les prochains mois) : j'ai gâché ma vie, ET il est trop tard pour y faire quoi que ce soit.

[C'est fou un ami m'a fait lire un courriel que je lui avais envoyé il y a 15 ans, j'avais 20 ans, et déjà je disais la même chose... Pourtant, à ce moment-là, je me trompais.]

Il y en a qui disent que dans de tels moments on sent qu'on ne vaut rien. Mais si seulement, si seulement je ne valais rien! Si seulement je pouvais m'avancer dans la mer sans me retourner et être certaine que le cours du monde n'en serait aucunement changé! Au contraire, je sais je sens qu'au fond de moi ya de l'humanité, une façon bien belle et bien à moi d'être humaine, femme et pensée, la vie me traverse d'une manière unique et j'ai le devoir de le manifester, de trouver ce qui défera l'embâcle et actualisera enfin la personne en puissance, le potentiel qui gronde en sourdine. Et c'est le fait d'être consciente de ça qui me fait disjoncter.

La certitude de manquer au devoir d'être soi.

C'est là, que la roche s'installe, le plus souvent : quand le tissu de sens de la dernière version du récit se met à s'effilocher.

Mais le pire, c'est quand on se sent coupable d'avoir cru que ça y était. C'est là, que la roche s'installe, le plus souvent : quand le tissu de sens de la dernière version du récit se met à s'effilocher. Ce n'est pas long qu'il ne reste plus rien – même, il reste encore moins d'espoir qu'avant. Juste parce que s'ajoute l'impression de s'être fait avoir, une autre fois, par la partie de nous qui y croit encore. Même si la dernière fois qu'on s'était laissé berner on s'était juré de plus croire aux faux-semblants. On a tellement soif du vrai qu'on arrange ce qui arrive pour qu'il lui ressemble.

C'est aussi souvent, vous vous en douterez, sous les charmes de « l'amour » que se présentent de telles contrefaçons.

Il faut donc trouver du sens ailleurs? En grec, le mot pharmakon veut dire à la fois poison, et remède. Je me console en tout cas en le cherchant du côté des choses dont je peux dire, comme le poète, qu'il va toujours y en avoir.

J'ai pensé à mon père qui serait fier juste de penser à moi en de ski de fond sur le lac, mais qui ne le dirait pas.

J'ai l'immense chance d'habiter près d'un lac. En hiver, il gèle de bord en bord et la trail de ski-doo qui le traverse est ouverte de décembre à mars. Hier, encore en pyjama et veste de laine j'ai mis ma soute et un vieux manteau de ma mère et je suis allée glisser dessus en ski de fond. Longtemps. Sans piste, dans une petite épaisseur de neige par dessus une croûte gelée. Sans y penser ni le vouloir, j'ai contourné l'île que je n'avais jamais vue d'aussi près. En passant devant l'église j'ai fait un « Je vous salue Marie », pourquoi pas. J'ai pensé à mon père qui serait fier juste de penser à moi en de ski de fond sur le lac, mais qui ne le dirait pas.

Par moment, je fonçais avec intensité, aidée par le vent dans mon dos; par moment j'enlignais avec constance les tout petits élans, en faisant semblant que le vent contre moi n'existait pas. Souvent, je m'arrêtais pour juste être là, à la surface, et trouver ça beau.

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