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Je suis un indécrottable nostalgique et la télé à sens unique me manque. Celle qui s'invitait dans mon salon non pas pour savoir ce que je dis, mais afin d'alimenter les discussions familiales ensuite.
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Je suis un nostalgique. Un indécrottable nostalgique même.

Ma télécommande reliée à ma télé à roulette d'un gros fil brun usé, aussi grosse que la table basse du sous-sol, me manque. Les «tac-tac» caractéristiques aux changements de chaînes -- l'amorce d'une découverte au bout des doigts.

L'âge d'or des télé-horaires papier aussi me manque. Ceux que l'on recevait chaque semaine via la poste, fripés par le parcours. Une lecture dominicale afin de prévoir sa semaine, d'une certaine façon. Anticiper les rencontres, les rendez-vous, les séances devant un meuble-écran en manque d'attention. L'écran cathodique - un souvenir flou pour plusieurs.

Un phénomène de plus en plus envahissant alimente mes élans nostalgiques à l'aube de la rentrée automnale : le twivage.

Contraction un peu maladroite de «Clavardage», «Twitter» et «Télé», le twivage est devenu essentiellement l'action de commenter ce que l'on voit à la télé, avec un nombre d'internautes qui partagent la même activité que nous. En utilisant le mot-clic approprié (les fameux Hashtags -- #), le téléspectateur transpose la conversation dans le cyberespace et elle devient, de ce fait, à la vue de tous.

Incluant celle du télédiffuseur qui, depuis quelques saisons déjà, utilise à son avantage cette nouvelle mode interactive. Pour le meilleur et pour le pire.

Parce que l'idée à la base est charmante : obtenir en temps réel les réactions de son public cible, une mine d'or d'informations pour les commanditaires et les réseaux. Cette incursion dans le salon de tout un chacun s'est imposée comme une utilisation inespérée d'un médium considéré marginal de prime abord. Twitter n'était pas sur le radar des diffuseurs avant de devenir un incontournable des usagers - et un revenu supplémentaire potentiel.

D'un laboratoire intéressant d'idées et d'opinions, le twivage est désormais un baromètre afin d'établir le succès d'une émission. C'est pourquoi la plupart des réseaux nous bombardent désormais de mots-clics en superposition au bas de l'écran, en plus de mentions fréquentes et vocales.

«Participez à la conversation», «partagez votre opinion», «votez pour votre candidat favori» ... j'en passe et les meilleurs.

Le nombre de mentions (via le mot-clic) se calcule et, surtout, se monnaye. Parce que l'interaction, même dans un environnement virtuel, demeure réelle. C'est le téléspectateur, le public cible, qui agrippe son téléphone intelligent, sa tablette ou son ordinateur afin d'exprimer son opinion directement aux têtes pensantes du produit à l'intérieur de sa boîte à images.

Le «commenteux» de salon, éternel insatisfait, possède désormais une tribune sur laquelle sa voix porte et on l'encourage dans sa démarche.

Jusque-là ça va. L'auditeur peut s'exprimer, le diffuseur en tire un certain profit et, au passage, peut rectifier le tir en fonction des appréciations du public. C'était une bonne relation, jusqu'à ce que les diffuseurs poussent un peu trop la note en sollicitant le public afin de créer du contenu.

De plus en plus, la portion consacrée au twivage se reflète à l'écran au cours de l'émission. Le commentaire n'est plus un accessoire de discussions et de réflexions, mais bel et bien un élément à part entière de la programmation. De ce fait, le public se retrouve confronté au problème de devoir commenter le commentaire. L'émission devient dépendante du commentaire imbriqué à même le contenu - et non plus l'inverse.

Désormais, les gens utilisent le twivage dans l'espoir de voir leur nom à l'écran. Alors que les diffuseurs monnayent toujours le nombre de mentions, ils doublent l'utilisation en meublant le contenu de ces mêmes mentions. L'outil d'appréciation devient l'outil de divertissement qui lui, en retour, s'amenuise de par son autoréférence.

Si une émission dure vingt-deux minutes (en excluant les publicités pour une case horaire de trente minutes) et que celle-ci comporte deux segments de trois à cinq minutes s'articulant autour du twivage, le téléspectateur se retrouve au final avec un produit qui ne dure qu'une quinzaine de minutes. Bien que l'expérience soit de plus en plus immersive en raison de l'interaction, elle se retrouve forcément appauvrie à la suite de la diminution du contenu.

Pour faire une équation simple : plus les réseaux récupèrent ce que les gens expriment sur Twitter, plus ils réduisent le contenu à commenter.

Un cercle qui devient dangereusement vicieux, particulièrement à l'ère de la télévision à la carte et des réseaux spécialisés. Supposant que les diffuseurs poursuivent la paresseuse habitude d'offrir une tribune à l'intérieur même de leur programmation, que restera-t-il pour le spectateur qui souhaite simplement visionner passivement sa programmation hebdomadaire?

N'oublions pas, après tout, qu'il représente la majorité. Si une émission populaire comme Tout le monde en parle génère 5 000 mentions sur Twitter lors d'une diffusion (nombre approximatif), elle demeure tout de même syntonisée par plus d'un million de personnes qui ne ressentent pas le besoin de s'exprimer.

Mitraillé par toutes ces allusions à Twitter et Facebook (autre grand coupable de cette nouvelle tendance), le spectateur passif, traditionnel, voit son offre de divertissement amputée - et c'est désolant.

Désolant de voir qu'une minorité monnayable influence à ce point le grand plaisir d'une majorité.

Je suis un indécrottable nostalgique et la télé à sens unique me manque. Celle qui donne sans rien demander en retour. Celle qui s'expose - la fenêtre ouverte sur le monde. Celle qui s'invitait dans mon salon non pas pour savoir ce que je dis, mais afin d'alimenter les discussions familiales ensuite.

Parce que commenter ce que l'on voit à la télé, c'est vieux comme le monde. Ma fille de trois ans ressent sans cesse le besoin de m'expliquer les aventures complexes de Dora l'exploratrice. Je cassais sans doute les oreilles de ma mère à l'époque pour les mêmes raisons.

Et c'était normal, souhaitable même.

La télé offre un divertissement qui par la suite est partagé avec son entourage - et non avec la télévision elle-même.

Désormais, je n'y comprends plus rien. L'auditeur devient l'émission, l'émission devient l'auditeur et bientôt, les chats seront des chiens.

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