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L'Égypte est-elle le bon arbitre pour Gaza?

Certes, les Égyptiens sont toujours sensibles au malheur des Palestiniens. Mais en ce qui concerne Gaza, cette solidarité est tempérée par une hostilité tenace envers les Frères musulmans, auxquels le Hamas est affilié.
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Depuis le début de l'offensive israélienne à Gaza, le 8 juillet dernier, l'Égypte est à la manœuvre. La capitale égyptienne est le cadre d'un intense ballet diplomatique et le 14 juillet, Le Caire a proposé une trêve, acceptée par Israël, mais rejetée par le Hamas.

La légitimité de l'Égypte à intervenir sur la question de Gaza repose sur un faisceau d'éléments. Géographiques tout d'abord, la bande jouxtant le territoire égyptien, à la limite du Sinaï. Historiques ensuite. De 1948 à 1967, à la suite de la première guerre israélo-arabe, Le Caire a administré l'enclave palestinienne.

Les services de renseignements égyptiens, qui connaissent parfaitement le terrain, y entretiennent de nombreux contacts. Politiques enfin: depuis Nasser, la solidarité envers la Palestine fait partie des figures obligées pour le régime égyptien. La cause palestinienne a longtemps fait vibrer les masses égyptiennes et empêché le traité de Camp David de déboucher sur autre chose qu'une "paix froide" entre Le Caire et Tel-Aviv.

Pour la diplomatie égyptienne, le dossier palestinien a longtemps constitué un intéressant faire-valoir. Premier pays à avoir conclu la paix avec Israël, mais réputée sensible aux intérêts palestiniens, l'Égypte faisait office de parfait médiateur. Pendant toutes les longues années où le conflit israélo-palestinien a été au cœur des tensions régionales, elle a ainsi pu s'affirmer comme un acteur incontournable, notamment aux yeux de l'allié américain.

La fin de la période Moubarak a cependant marqué une éclipse

Le centre de gravité des préoccupations s'est déplacé vers l'est (Afghanistan, Iran, Irak) et le conflit israélo-palestinien est entré dans une phase de faible intensité.

Les révoltes arabes de 2011, et la déstabilisation générale qui en a résulté, avec son cortège d'horreurs et de drames, ont achevé de détourner l'attention. En se rappelant au bon souvenir de la communauté internationale, la question palestinienne fournit au nouveau régime égyptien l'occasion de repositionner Le Caire sur l'échiquier régional. Mais le résultat est-il pour autant garanti, les beaux jours de la diplomatie égyptienne sont-ils de retour?

On l'a dit, la trêve proposée par l'Égypte a été refusée par le Hamas qui affirme n'avoir pas été directement associé à son élaboration et maintient un certain nombre d'exigences qui ne sont pas prises en compte dans le texte, notamment l'ouverture du terminal de Rafah et des libérations de prisonniers. Mais cette intransigeance du Hamas repose également sur la méfiance -pour ne pas dire plus- qui caractérise les relations entre les militaires égyptiens et les dirigeants du mouvement islamiste palestinien, émanation des Frères musulmans dont la branche mère égyptienne subit une féroce répression depuis la destitution du président Morsi en juillet 2013.

Par delà les acteurs de premier plan se profile également une lutte d'influence entre leurs mentors respectifs: l'Égypte, soutenue financièrement par l'Arabie saoudite et les Émirats, sert à contrecarrer les parrains du Hamas, -la Turquie et le Qatar- qui ont également proposé leur médiation. Le terrain palestinien devient ici l'arrière-cour des luttes intestines pour la domination du camp sunnite et entre les États du Golfe. La diplomatie égyptienne, hier actionnée par les États-Unis, prolonge aujourd'hui les intentions des poids lourds du Golfe, une évolution qui rend bien compte de la nouvelle donne géo stratégique.

Des intérêts divergents expliquent l'attitude des parties

Pour l'Égypte, il s'agit de mettre un terme à l'insécurité qui prévaut au Sinaï depuis plusieurs années, avec un sensible regain depuis la destitution de Mohamed Morsi. Les forces armées égyptiennes multiplient depuis plusieurs mois, apparemment avec un certain succès, les opérations dans la péninsule, mais leurs efforts seront réduits à néant si armes et activistes continuent de transiter par les fameux tunnels de Gaza.

Les militaires égyptiens s'emploient donc à leur destruction. Côté palestinien, en raison du blocus imposé par Israël, ces mêmes tunnels sont indispensables pour éviter l'asphyxie de Gaza, acheminer vivres, médicaments et matériels divers.

L'incompréhension, voire l'hostilité, s'installe donc entre les deux camps

Les réactions égyptiennes à l'offensive israélienne sont restées étonnamment mesurées pour un pays qui s'est longtemps présenté comme le champion de la cause palestinienne. Un premier convoi humanitaire a été bloqué, mais un second a pu gagner Gaza le 25 juillet. L'Égypte n'a ouvert que ponctuellement le terminal de Rafah pour permettre l'accès des blessés et accueillir les réfugiés. La préséance, voire la quasi-exclusivité, a été donnée aux ressortissants égyptiens.

La population égyptienne s'est peu insurgée contre cette attitude de ses dirigeants, les rassemblements sont restés modestes. Certes, les Égyptiens sont toujours sensibles au malheur des Palestiniens, mais en ce qui concerne Gaza, cette solidarité est tempérée par une hostilité tenace envers les Frères musulmans, auxquels le Hamas est affilié. L'opinion égyptienne adhère globalement au discours des médias qui font porter la responsabilité de la crise actuelle -et des morts de civils palestiniens- au Hamas.

En bornant son aide aux aspects humanitaires, dissociés de tout soutien politique, le régime gère habilement l'impact de la crise sur sa population. Le ressentiment envers le mouvement islamiste palestinien est d'autant plus fort qu'on lui prête également une responsabilité dans les atteintes à l'ordre public en Égypte même et dans les attaques terroristes, perpétrées depuis la chute de Mohamed Morsi.

L'interception de rockets Grad en provenance de Gaza conforte par ailleurs l'idée que le Hamas cherche à entraîner l'Égypte dans la confrontation avec Israël en préparant des opérations depuis son territoire. D'une manière générale, après les troubles qui ont suivi la "Révolution du 25 janvier", les préoccupations se sont recentrées sur les enjeux internes, notamment socio-économiques.

Enfin, la législation très restrictive sur les manifestations a un effet dissuasif sur les mobilisations.

Mais l'habileté des autorités égyptiennes à gérer l'impact interne de la crise à Gaza ne doit pas dissimuler la faiblesse de leur stratégie diplomatique. En marginalisant et diabolisant le Hamas, Le Caire sape sa capacité de médiation qui suppose un accès égal aux deux parties.

Le ressentiment contre les Égyptiens s'accroît du côté des Gazaouis

À vouloir faire chuter le Hamas, comme il cherche à éradiquer les Frères musulmans en Égypte, le régime égyptien fait un mauvais calcul. Si le Hamas se maintient, et la crise actuelle semble plutôt le renforcer, il faudra bien composer avec lui. Le dialogue s'amorcera alors dans de bien mauvaises conditions. Si les islamistes perdaient le contrôle de Gaza, ils risqueraient d'ailleurs de céder la place à des groupes jihadistes autrement agressifs. L'autre scénario, qui verrait l'Autorité palestinienne (AP) reprendre la main sur l'ensemble des territoires, n'a pas la faveur d'Israël qui préfère des territoires palestiniens divisés et cherche notamment, à travers l'actuelle offensive, à faire voler en éclats la récente réconciliation inter palestinienne entre le Hamas et l'AP.

Pour faire triompher des objectifs a priori incompatibles, les parties sont aujourd'hui engagées dans une épreuve de force. On sait pourtant que seul un accord politique, impliquant tous les acteurs, avec des concessions de part et d'autre, peut déboucher sur une solution durable. Que ce soit à l'échelle de Gaza, comme pour l'ensemble du conflit israélo-palestinien.

Et on ne répétera jamais assez que ce conflit, qu'on avait cru pouvoir oublier, reste la matrice originelle des maux du monde arabe. Quant à l'Égypte, si elle veut occuper la place qu'elle estime être la sienne, elle devrait bien méditer sur ces fondamentaux de la diplomatie.

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