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«The Ventroloquists Convention» ou le théâtre extrême de Gisèle Vienne

Il y a la marionnette rock star désabusée qui se suicide sur scène, la marionnette centenaire restaurée à grands frais et qui conserve son aspect de gamin, la mante religieuse qui a eu une relation sexuelle avec le coussin exposé sur un pied, façon sculpture de Brancusi, et qui accouche sur scène...
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Chaque année au Kentucky, a bien lieu sur cinq jours cette grande rencontre internationale de ventriloques (Vent Haven ConVENTion), avec spectacles, conférences, tables rondes et autres échanges de spécialistes.

Entre théâtre documentaire et fictionnel, Gisèle Vienne reconstitue ce symposium étrange qui réunit presque autant de personnes vivantes que de marionnettes de toutes formes - anthropomorphes ou animales, charmantes ou inquiétantes, voire éloignées du monde du vivant comme peuvent l'être un aérosol ou un coussin -, mais dont le point commun est qu'elles sont toutes douées de la parole (et du geste) et qu'elles ne s'en privent pas.

À sa manière, la créatrice franco-autrichienne, en association avec Dennis Cooper et le Puppentheater Halle, déplie les nombreuses couches de sens et place le spectateur devant toutes les mises en abyme possibles que cet art du pantin parlant peut déployer entre les artistes et leurs différentes marionnettes animées.

Sur la scène, les chaises alignées en rang d'une grande salle de conférence, des personnes ou des mannequins qui attendent sagement l'arrivée du conférencier, d'autres qui fument et qui discutent devant la table où sont installés la machine à café et les gobelets destinés aux participants. Un homme est assis au premier rang avec sa marionnette qui semble être fatiguée d'attendre: le visage d'un vieillard avec quelques cheveux sur la tête, elle bâille, regarde la salle, se retourne vers l'homme qui la tient, semble lui chuchoter quelque chose, bâille de nouveau, s'impatiente, se querelle avec lui... Le conférencier vedette arrive enfin. À l'américaine, il expose ses succès d'artiste ventriloque à destination autant des participants du congrès qu'à ceux de la salle où sont assis les spectateurs.

Petit à petit, se révèlent les différentes histoires de vie des neuf acteurs sur scène - à la fois acteurs de la pièce et actant de leurs marionnettes - et du couple qu'ils forment avec leurs pantins respectifs. Mais les relations se compliquent par les rencontres et les liens des acteurs entre eux, par ceux que les marionnettes tissent les unes avec les autres ou avec les manipulateurs d'autres pantins qu'eux-mêmes, et même par les rencontres que chacune de ces différentes personnalités ont avec elles-mêmes, ce qu'elles pensent en secret et ce que dans leur vie elles ont pu découvrir qu'elles étaient vraiment.

Ainsi Jonathan Capdevielle, participant français à la conférence, accompagné de sa marionnette en forme de mante religieuse, est-il travesti en femme - il est en fait Jessica - et raconte à l'occasion la découverte de son homosexualité quand il était enfant, et sa relation privilégiée avec une marionnette similaire à celle que son adolescent de fils qui l'accompagne manipule. Il y a aussi Ines, sorte de travailleuse sociale très perturbée par la mort d'enfants dans les hôpitaux où elle présente sa marionnette sanguinolente. Ou encore Olson, artiste excellent, mais oublié qui manipule le mordant Lutz et qui n'a pas fait de spectacle depuis six longues années.

Il y a la marionnette rock star désabusée qui se suicide sur scène, la marionnette centenaire restaurée à grands frais et qui conserve son aspect de gamin, mais dont les réflexes sont parfois ceux d'un adulte lubrique. La mante religieuse qui a eu une relation sexuelle avec le coussin exposé sur un pied, façon sculpture de Brancusi, et qui accouche sur scène... À la différence des êtres humains, les marionnettes sont totalement désinhibées comme le sont les jeunes enfants, mais possèdent les désirs et les obsessions des adultes qui les manipulent.

Tout un tissage savant de relations croisées apparaît dans cette œuvre drôle par moment, mais aussi et surtout à l'évidente inquiétante familiarité du double. Les acteurs et leurs marionnettes forment un groupe très hétérogène et dissonant mis en présence à l'occasion de cette rencontre internationale où toutes les langues se font entendre, qui dégénère par moments et offre au spectateur une expérience artistique extrême avec changements de codes et changements de perspectives, et qui franchit toutes les limites.

Gisèle Vienne possède entre autres une formation de marionnettiste. Elle s'est associée au Puppentheater Halle dont les artistes ont dû passer par un long apprentissage pour acquérir aussi la compétence de ventriloques. Les textes ont été improvisés par les acteurs eux-mêmes et mis ensemble puis complétés par Dennis Cooper. Tout un processus de création qui ajoute à la sensation de vertige incroyable que produit ce spectacle confondant et des plus marquants. Pour le spectateur, une réflexion étourdissante sur le langage et le double, et sur l'humanité.

The Ventroloquists Convention les 30 et 31 mai 2016 à l'Usine C à Montréal.

Cet article a aussi été publié sur info-culture.biz

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