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«Le sang de Michi» ou la misère dans tous ses états

Le propos de cette pièce présentée au thèâtre Prospero atteint une grande violence, sans doute sur le fond de l'histoire, mais encore plus par sa forme, ces fragments de dialogues qui ressemblent davantage à de vagues cris d'animaux qu'au langage humain et à sa force symbolique.
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Drame du quotidien, drame de l'amour, drame de la misère matérielle, sentimentale et intellectuelle, dans la courte pièce présentée ce mois d'octobre au Prospero, le spectateur est rendu voyeur et complice des petites perversités somme toute assez banales qu'on rencontre dans certains couples et qui mènent quelque fois à de vrais et terribles grands drames.

Le sang de Michi et Négresse sont les titres de deux pièces écrites par l'Allemand Franz Xaver Kroetz. Né à Munich en 1946, l'auteur dramatique a grandi en Bavière et donne à ses personnages le parler rustre de la classe sociale la plus pauvre et démunie de cette région. Parler grossier, brutal, sans éducation, phrases qui n'en sont pas, fragmentées, réduites à des onomatopées, des lieux communs, des expressions toutes faites au vocabulaire aussi misérable que le logis.

Traduites par Jean-Luc Denis et Marie-Elisabeth Morf, les deux pièces tissées serrées l'une avec l'autre pour n'en faire qu'une seule œuvre transportent le spectateur dans le milieu ouvrier québécois contemporain. Les deux pièces n'en forment qu'une, Négresse ajoutant un épisode intéressant au sang de Michi, appuyant l'effet de perversité de ce couple médiocre et totalement dysfonctionnel.

Marie et Karl vivent tout autant dans la misère matérielle que sentimentale. Un deuxième homme vient flirter et davantage avec Marie. Mais rien ne peut détruire le couple initial qui n'a rien à détruire puisqu'il ne possède rien que des ruines, des fragments de liens, pas même le plus élémentaire langage pour pouvoir les exprimer. Puis Marie apprend à Karl qu'elle est enceinte. Et avec le même dénuement, Marie accepte que Karl se charge de son avortement...

Le propos de la pièce atteint une grande violence, sans doute sur le fond de l'histoire, mais encore plus par sa forme, ces fragments de dialogues qui ressemblent davantage à de vagues cris d'animaux qu'au langage humain et à sa force symbolique. La mise en scène et les décors rendent le spectateur complice du drame qui dépasse largement celui de la violence conjugale. Les parois du logis misérable du couple sont dressées entre la scène et les fauteuils où prennent place les spectateurs. Impossible de voir tout ce qui se passe à l'intérieur. Difficile également de bien saisir tous les propos sans queue ni tête. Or le spectateur veut voir et comprendre ce qui se dit et ce qui se joue. La mise en scène le place en permanence en position de franchir presque par effraction l'intimité du couple ; un spectateur voyeur qui se plaît à assister sans être vu à la bassesse du couple dans ce qui ne regarde que lui, son intimité, ses rapports sexuels, sa guerre et sa misère sentimentale et matérielle.

Et pour frustrer davantage le spectateur et activer sa curiosité malsaine, les parois du logis se ferment par moments pour être remplacées par des projections vidéo en très gros plan de ce qui se passe en direct à l'intérieur. Le son aussi est amplifié, mais sans rendre les dialogues beaucoup plus intelligibles. Certaines scènes sont particulièrement riches en émotions. Le jeu des acteurs, sans nul doute difficile, est parfait. Souvent il s'agit plus d'une performance que d'un jeu théâtral. Et on atteint des sommets en matière de théâtre contemporain où différents médias sont associés, et où la narration par le texte devient presque accessoire.

L'œuvre proposée constitue une expérience inédite pour le spectateur. Une synthèse réussie des deux pièces et un moment d'émotion difficile, mais d'où une réflexion profonde s'ensuit.

Le sang de Michi(précédé de Négresse) de Franz-Xavier Kroetz, du 11 au 29 octobre 2016 au théâtre Prospero à Montréal

Cet article a aussi été publié sur info-culture.biz

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