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«L'Orangeraie»: attentat-suicide sur scène

Une famille élargie, le père, la mère, les deux fils jumeaux et les deux grands-parents paternels vivent dans une orangeraie paisible. Mais voilà qu'au petit matin, un obus s'abat sur la maison des grands-parents...
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Bruxelles en Belgique (31 morts), Istanbul en Turquie (4 morts), Maiduguri au Nigeria (25 morts), Bagdad en Irak (47 morts), Shabqadar au Pakistan (17 morts), Benghazi en Libye (5 morts), Asadabad en Afghanistan (25 morts), Alger en Algérie (attentat-suicide déjoué le 23 mars)... Des centaines de blessés à chaque fois. On peut dire que les attentats-suicides font parler d'eux dans les actualités de ces tous derniers jours. C'est aussi à ce sujet que s'attaque la pièce L'Orangeraie issue du roman du même nom de Larry Tremblay et présentée au théâtre Denise-Pelletier à Montréal.

Une famille élargie, le père, la mère, les deux fils jumeaux et les deux grands-parents paternels vivent dans une orangeraie paisible. Mais voilà qu'au petit matin, un obus s'abat sur la maison des grands-parents, tue le grand-père dans son lit et la grand-mère dans sa cuisine. Le pays est en guerre. Laquelle? La maison a-t-elle été visée? Et, si oui, par qui? Le récit ne répond pas à ces questions. Mais ce drame appelle la vengeance. On ne sait trop pourquoi, la famille doit décider lequel des deux jumeaux Amed ou Aziz (âgés de 9 ans), revêtira une ceinture d'explosifs pour soi-disant détruire la base militaire située de l'autre côté de la colline et d'où proviendrait l'obus meurtrier.

Dans un beau décor sobre et dépouillé et une excellente mise en scène signée Claude Poissant, qui comme souvent use de différents procédés lumineux, vidéo, musicaux, scéniques... pour offrir des tableaux et une atmosphère d'une très haute qualité esthétique, neuf acteurs irréprochables tentent de sensibiliser les spectateurs à la logique assez obscure selon moi qui sous-tend l'intrigue de l'histoire.

Lequel des deux jumeaux ira-t-il se faire exploser? Ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau, sinon que l'un est malade et, selon les pronostics du médecin, condamné à mourir.

En assistant à la pièce, j'ai pensé au roman signé William Styron et au film qui en a été fait Sophie's Choice, pour constater à quel point, derrière une structure en apparence semblable, le contexte et les détails étaient bien différents. Dans ce dernier cas, le système le plus pervers qui ait jamais existé et qui oblige une mère à choisir lequel de ses deux enfants sera simplement assassiné avec des millions d'autres. Ils le seront tous les deux, de toute façon.

Dans celui de la pièce, une demande perverse aussi, mais à laquelle il y aurait bien des moyens d'échapper et que l'on accepte - dans un certain dilemme sans doute - mais avec une totale soumission, sans même le contester, comme si c'était normal et indispensable, et sans que les parents responsables de leurs fils se demandent si par hasard d'autres innocents ne seront pas atteints à cette occasion... En bref, un système totalement insensé pour qui l'observe de l'extérieur, mais probablement plein de sens selon une certaine idéologie mortifère partagée par toute la famille et son entourage dans l'histoire présentée.

Sur ce plan essentiel, l'œuvre selon moi manque totalement son coup. Non pas que ce genre de situation n'existe pas. L'actualité nous le prouve chaque jour. Mais la question même de l'attentat-suicide n'est nullement questionnée et la pièce en pâtit grandement.

Dans un retournement salutaire, vers le deuxième tiers de la pièce, l'action se retrouve au Québec des années après le drame. Là, le jumeau survivant des deux devient acteur dans une troupe de théâtre et participe à l'élaboration d'une pièce sur le thème de la guerre et des enfants soldats.

L'idée était bonne de permettre au spectateur d'apprendre les dessous de l'histoire dans une scène de théâtre préparée dans un Québec loin de l'action initiale. Malheureusement, ramener tout à l'idée que «la guerre, c'est mal» ou quelque chose du genre, ou bien, qu'«il existe des manipulateurs qui lavent le cerveau de ceux qui passent à l'acte» me semble vraiment trop faible, voire simpliste, au regard de ce à quoi on assiste chaque jour et qui se joue sur de vraies scènes relayées par nos médias.

Les attentats-suicides fascinent par leur perversité. Tuer l'autre en se donnant soi-même la mort semble - en apparence seulement - en justifier automatiquement la cause. Or ce n'est pas le cas et il semble que ce soit très difficile à penser lorsque, par bonheur, on privilégie la vie sur la mort. L'opacité face à ce phénomène demeure toutefois entière, et cette pièce oblige à le constater encore.

L'Orangeraie , au Théâtre Denise-Pelletier à Montréal du 23 mars au 16 avril 2016.

Cet article a aussi été publié sur info-culture.biz

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