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L'affaire Snyder vs Couillard: une injustice qui nous concerne tous

Quand un gouvernement discrimine une personne en raison de son statut conjugal pour des raisons politiques, ça nous concerne. Et quand on nous prive d'un des meilleurs producteurs que le Québec n'ait jamais connu, ça nous concerne en tant que citoyens et téléspectateurs soucieux d'avoir une télévision de qualité.
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Si je vous disais que vous n'avez pas droit au crédit d'impôt pour les rénovations de votre maison parce votre conjoint est récemment devenu propriétaire d'une compagnie de construction avec qui vous faites affaire depuis toujours. Que diriez-vous ? Vous diriez que c'est injuste. Que vous soyez riche ou pauvre, ça ne changerait rien à l'équation.

Le cas de Julie Snyder est tout aussi clair, tout aussi injuste, sauf qu'il a des impacts sur des dizaines de personnes qui perdent leur emploi, de nombreux fournisseurs, de partenaires de l'industrie et sur des millions de téléspectateurs.

Voici un exemple hypothétique pour illustrer cette injustice. Alors que tous les producteurs auraient droit de débourser pour leur production 800 000$, on demande à Productions J de payer 1 000 000 $. N'importe quel entrepreneur intelligent dans cette situation n'aurait d'autre choix que d'abandonner la production télévisuelle. Pour Madame Snyder, c'est son unique solution en pareilles circonstances.

Voyons maintenant les arguments de ceux qui refusent d'appuyer Julie Snyder et les Productions J.

1. « Il n'est pas question d'aider une multimillionnaire pour qu'elle s'en mette plein les poches! »

Ah! Ce fameux préjugé rétrograde contre les méchants riches! On est encore pris là-dedans et c'est probablement ce qui nous empêche d'avancer comme peuple.

D'abord, je sais de source sûre que Madame Snyder n'est pas multimillionnaire. Au contraire, elle a toujours mis la qualité de ses productions au-dessus de ses propres intérêts financiers. L'argent est investi dans le produit livré aux téléspectateurs et non dans ses poches!

Mais même si l'argent lui sortait par les oreilles, il faut que ce soit clair : ce ne serait pas à cause du crédit d'impôt. Ayons la sagesse de reconnaître que les crédits d'impôt ne servent pas à remplir les poches du producteur, mais bien à stimuler l'emploi en finançant une partie des salaires des gens de la production et par ricochet en stimulant l'économie.

Le programme des crédits d'impôt vise à promouvoir l'emploi dans le secteur créatif et ainsi améliorer la qualité des productions et l'industrie culturelle qui a énormément de retombées économiques. Tous les producteurs indépendants y ont droit et en ont besoin pour survivre en tant qu'entreprises culturelles. Les Productions J ne font pas exception.

2. «Oui, mais c'était comme ça avant que Pauline Marois ne change les règles.»

Jusqu'en 2008, Productions J n'était pas pénalisée. Le gouvernement Charest a déjà reconnu l'indépendance de Productions J. Et entre 2008 et 2012, bien que cela ne faisait pas l'objet de débats publics, Productions J était en négociation pour réparer cette injustice, ce qui a été fait par l'ex-ministre des Finances Nicolas Marceau qui maintient sa position à cet égard: c'est à dire qu'une femme et son entreprise ne devraient pas subir de préjudice ou de discrimination en raison de ce qui se passe dans sa chambre à coucher.

3. « Ce n'est pas juste de donner des crédits d'impôt à Julie Snyder, car elle n'est pas une productrice indépendante. Elle dépendait de TVA et PKP. »

30 ans de carrière télévisuelle, des méga succès en termes de cotes d'écoute, une relation privilégiée avec TVA, et ce bien avant que Quebecor ne fasse l'acquisition de TVA et encore plus longtemps avant sa rencontre avec PKP, ne vous convainquent pas que Julie Snyder est une productrice indépendante ? Eh bien j'espère que l'association même des producteurs qui la considère indépendante vous convaincra ! En effet, l'Association québécoise de production médiatique reconnaît que Productions J est un producteur indépendant.

Ce n'est certes pas à cause de PKP que Productions J a développé une relation de confiance avec TVA puisque c'était déjà le cas alors que la famille Chagnon était propriétaire de la chaîne. Est-ce que quelqu'un a besoin d'être convaincu que demain matin Radio-Canada et les autres diffuseurs ouvriraient leurs portes à des producteurs aussi talentueux qu'elle? Ce n'est pas seulement moi et l'AQPM qui le disons, mais aussi l'ancien patron de la SODEC (Pierre Lampron) et le producteur indépendant Rober Frappier.

4. « Cette annonce de Julie Snyder est un coup politique pour faire mal aux libéraux! »

Et si le retrait des crédits d'impôt à Productions J était plutôt un coup politique des libéraux contre l'ancien gouvernement péquiste et celle qui s'affiche ouvertement péquiste? Ils ont promis de revoir les crédits d'impôt. Ils ne l'ont pas fait sauf pour une seule compagnie: Les Productions J. Philippe Couillard, Carlos Leitao et Hélène David semblent carrément mentir en disant qu'ils rétablissent une mesure qui déséquilibrait le marché à la suite de pressions à l'effet que Productions J était favorisée injustement.

L'association même qui représente les producteurs indépendants confirme n'avoir jamais fait de pressions à cet effet et accorde le statut de producteur indépendant aux Productions J. De quelles pressions est-il question alors ? Pourquoi le gouvernement considère Productions J dépendante alors que l'AQPM la considère indépendante ?

Bref, la réponse ne peut être que, politiquement, c'était plus facile et payant de s'attaquer à madame Snyder que de revoir la politique des crédits d'impôt au complet tel que promis auparavant. Quand la ministre David parle de rétablir une politique de 2003, il faut se rappeler les intentions de départ de cette politique. À l'époque, la question de retirer des crédits d'impôt aux producteurs dépendants de diffuseurs visait les compagnies détenues par les diffuseurs tels que Productions TVA et pour favoriser toutes les autres compagnies de productions et l'industrie créative.

Cette mesure n'a certes pas été conçue pour déposséder une femme d'affaires qui a travaillé d'arrache-pied pendant des décennies sans l'aide de son conjoint à monter une entreprise avec ses associés et employés au service des téléspectateurs québécois.

5. « En quoi ça nous concerne ? »

Quand un gouvernement discrimine une personne en raison de son statut conjugal pour des raisons politiques, ça nous concerne. Et quand on nous prive d'un des meilleurs producteurs que le Québec n'ait jamais connu, ça nous concerne en tant que citoyens et téléspectateurs soucieux d'avoir une télévision de qualité. En ne l'appuyant pas aujourd'hui, c'est nous tous que nous pénalisons.

Julie Snyder a eu le courage de renoncer à son salaire plus d'une fois pour nous présenter des émissions de facture comparable aux plus grosses émissions françaises et américaines avec un centième de leurs budgets.

Si nous pouvons nous vanter d'avoir une télévision d'envergure qui ne se nourrit pas seulement de reprises américaines, c'est en partie grâce à sa fougue, sa persévérance, son dévouement, et aussi, oui, à sa folie et son obsession des choses bien faites malgré nos petits moyens.

Aujourd'hui, la qualité et la diffusion de ces émissions qui rassemblent des millions de Québécois sont en péril, car aucun producteur ne pourra remplacer la générosité de celle qui a toujours osé en donner plus pour le plaisir des téléspectateurs, et ce, souvent à son détriment personnel. Et tout ça, parce qu'elle a dit oui à l'homme de sa vie qui n'a rien à voir avec son talent et le courage qu'il lui a fallu pour créer une entreprise remplie de gens créatifs, talentueux qui ne sont pas en politique et qui ont tout simplement à cœur de divertir le mieux possible les Québécois.

J'ai malheureusement l'impression que si c'était le contraire, que si c'était un producteur masculin qui était lié à un représentant féminin du diffuseur, ça ne se passerait pas comme ça. Encore moins dans un contexte où il s'agirait d'amis libéraux. C'est en ce sens que cette injustice nous concerne tous. La loi devrait s'appliquer de manière juste et équitable pour tous, sans égard à la politique. Mais c'est tellement plus facile dans ce cas-ci de penser petit et de s'attaquer aux individus, surtout quand ils sont perçus comme des "riches" à qui on devrait retirer tous les privilèges existants du seul fait qu'ils soient "riches".

Ah, misère! Non pas celle des riches, mais bien celles des ignorants.

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