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L'affaire de l'ex-juge Delisle: une conséquence de l'affaire Turcotte?

Quand je pense au verdict du juge Delisle le condamnant à perpétuité pour meurtre, je suis encore estomaquée. Déjà qu'on accuse cet homme d'avoir tué d'un coup de balle dans la tête sa femme à moitié paralysée à cause d'un AVC, c'était toute une histoire. Mais lorsque le jury a conclu que l'homme avait maquillé son meurtre en suicide, j'ai été, de même que plusieurs collègues juristes, renversée par la décision.
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Quand je pense au verdict du juge Delisle le condamnant à perpétuité pour meurtre, verdict maintenu par la Cour suprême vendredi dernier, je suis encore estomaquée. Déjà qu'on accuse cet homme d'avoir tué d'un coup de balle dans la tête sa femme à moitié paralysée à cause d'un AVC, c'était toute une histoire. Mais lorsque le jury a conclu que l'homme avait maquillé son meurtre en suicide, j'ai été, de même que plusieurs collègues juristes, renversée par la décision.

Ce n'est pas parce qu'il était un juge respecté, un citoyen exemplaire ou parce qu'il avait l'air de n'avoir rien à se reprocher que ce verdict m'a étonnée, mais bien parce que j'étais convaincue que la Couronne n'avait pas fait la preuve hors de tout doute raisonnable de son crime.

Voici quelques éléments qui, humblement selon moi, ont joué contre le juge Delisle.

D'abord, les procureurs de la poursuite ont été habiles. Ils ont relevé tous les éléments de preuve circonstanciels pour établir un mobile (une maîtresse et un désir d'éviter le divorce) et ils ont pris un expert venu dire que la femme n'avait pas pu se suicider étant donné son handicap et une tâche de poudre noire dans la main capable de manier une arme. La Couronne a raconté et étayé de manière crédible une histoire de meurtre alors qu'aucun proche du juge Delisle n'y croyait. Elle a réussi à convaincre le jury que Jacques Delisle était louche. Ça, c'était facile. Mais elle a fait plus que ça : elle l'a convaincu qu'il voulait tuer sa femme. Et ce même si l'ex-juge n'a pas témoigné devant eux et que plusieurs témoins ont parlé d'un homme bon et d'une femme suicidaire.

Parlons de la fameuse absence de témoignage de l'accusé, maintenant. L'homme n'a pas témoigné parce qu'il croyait, avec son avocat (et là, on s'entend qu'il s'agit des meilleurs juristes au pays), que la Couronne n'avait pas établi la preuve hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité. L'avocat disait, avec son expert, avoir présenté une preuve mathématique claire montrant que la preuve balistique de la Couronne était inadéquate. Le juge Jacques Delisle, alors que sa liberté était en jeu pour le reste de ses jours, a fait ce «call». S'il a pris cette décision, il ne devait pas être convaincu à peu près: toute sa vie en dépendait. De mon point de vue d'avocate, je respecte sa décision et celle de son avocat, et je ne suis pas certaine que s'il avait témoigné, l'issue de la cause aurait été différente.

C'est surtout le jury et la façon de le percevoir qui semble avoir été le maillon faible de la défense. On l'a sous-estimé en pensant qu'il ne serait pas capable de trouver sympathique un homme qui a une maîtresse et qui présente des incohérences dans sa version des faits. Mais aussi, on a peut-être surestimé le jury en s'appuyant sur sa compréhension de la notion de doute raisonnable. J'ai déjà eu le plaisir d'entendre plaider Me Larochelle. C'est du bonbon pour l'oreille avisée, mais peut-être que pour le jury, c'était l'équivalent d'une homélie incompréhensible à laquelle nul ne pouvait s'identifier.

Puis, la Cour d'appel et la Cour suprême ne peuvent rien faire contre un manque de compréhension de la part d'un jury. Alors, le combat de monsieur Delisle était perdu d'avance.

Finalement, il y a l'affaire Turcotte. Je sais que plusieurs s'écrieront: «C'est quoi le rapport?!» Mais je crois que le verdict dans cette affaire a pu avoir un impact sur le jury. On venait tout juste de laisser filer un médecin qui avait tué ses enfants à coups de couteau et tout le Québec en avait été traumatisé. Si j'avais été juré, peut-être me serais-je dit: «C'est pas vrai qu'on va laisser filer le juge à cause d'un doute sur la façon de manier une arme ou sur ses intentions...» Je ne connais pas leur raisonnement conscient ou inconscient, mais disons que je suis convaincue que l'aspect louche de certaines de ses déclarations et l'avis de l'expert de la Couronne ont eu plus de valeur à leurs yeux qu'ils n'en auraient eus si l'affaire Turcotte ne l'avait pas précédée. «Just saying», comme disent les anglophones.

Maintenant, même si je suis convaincue qu'on ne pouvait conclure hors de doute raisonnable à un meurtre et qu'il y a là, potentiellement, une grave injustice, j'ai confiance en notre système de justice.

Même s'il a été déclaré coupable, je ne saurai jamais si le juge a tué sa femme et dans quelles circonstances. Peut-être que ce n'est ni un meurtre, ni un suicide, mais un suicide assisté. Mystère. D'un côté, j'espère que le juge Delisle a bel et bien tué sa femme. Au moins, la justice immanente aura fait son œuvre... Sinon, cela veut dire que nous avons laissé croupir un innocent en prison. Et ça, pour moi, ce sera toujours pire que d'acquitter un coupable...

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