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25 ans plus tard, nous sommes encore des «bitches»

Quand lem'a demandé d'écrire sur le sujet de la Polytechnique, je ne me sentais pas inspirée. Quoi dire de plus sur ce cauchemar horrible ? Je n'ai eu qu'à me rappeler que c'est la haine des femmes qui a entraîné cette tragédie et tant d'autres pour me donner envie d'écrire.
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Quand le Huffington Post m'a demandé d'écrire sur le sujet de la Polytechnique, je ne me sentais pas inspirée. Quoi dire de plus sur ce cauchemar horrible ? Je n'ai eu qu'à me rappeler que c'est la haine des femmes qui a entraîné cette tragédie et tant d'autres pour me donner envie d'écrire.

Il ne se passe pas une journée sans que quelque chose dans l'actualité ou dans ma vie soit lié à la haine des femmes, ou plutôt la peur, car souvent ce n'est pas de la haine, mais bien de la peur dont il s'agit, et ça me bouleverse.

Les formes que cette peur, ou cette haine peuvent prendre sont illimitées et si fréquentes. Ajoutez à cela l'ignorance ou l'indifférence face aux injustices nées de cette fameuse haine, et il ne se passe pas une seconde sans que la femme en prenne pour son rhume.

Parfois, c'est subtil, à la limite drôle pour certains. Comme cet extrait vidéo à la con où un gars tend un piège à un fille pour la traiter de « gold digger » et de « bitch ». Ou encore un autre extrait très « comique » qui explique que plus une fille est cute, plus elle a le droit d'être folle, sans oublier de mentionner qu'une fille cute et pas folle, c'est aussi fréquent qu'une licorne.

Parfois, ça ne peut être plus clair avec toutes ces nouvelles internationales qui nous rappellent chaque jour que dans certains endroits dans le monde les droits des femmes sont carrément inexistants et que seul le droit des hommes sur elles est légitime.

C'est il y a un mois où je me suis fait traiter de salope, de mère assassine et de conne parce que j'ai avoué publiquement à Denis Lévesque avoir pris un verre de vin de temps en temps quand j'étais enceinte et que je défendais le principe suivant lequel la femme est maître à 100 pour cent de son corps, enceinte ou pas.

C'était en février 2011 quand j'ai su, dans le cadre de son procès, que la première chose que Guy Turcotte a dite à l'hôpital après avoir tué ses enfants c'est «Laissez moi mourir. J'ai tué mes enfants... Vous savez pas ce qu'elle m'a fait enduré la bitche.» et que je savais qu'on allait le croire.

Chaque fois qu'on parle de « madame » Gaston et du « docteur » Turcotte, alors qu'Isabelle Gaston est un médecin spécialiste, une urgentologue compétente qui sauve des vies chaque jour.

Chaque fois que j'ai entendu « La Marois » lorsqu'on faisait référence à notre ex-première ministre Pauline Marois et que j'ai senti l'ardeur exagérée avec laquelle ses détracteurs la détestaient.

Cet automne, lorsqu'une victime de Bill Cosby s'est dite blessée parce qu'il a fallu qu'un homme, un humoriste, parle publiquement de l'affaire Cosby plusieurs années après sa dénonciation pour qu'enfin on commence à la prendre au sérieux.

Quand je réalise que des gars comme Ghomeshi, Cosby, DSK, se croyaient tout permis parce qu'aucune femme n'a été capable de les arrêter et qu'un nombre incalculable de gens ont joué aux ignorants pour ne pas être dérangés par ces faits troublants.

Le jour où j'ai su qu'un réseau a promu un journaliste qui avait commis un crime, mais qui a rétrogradé une fille qui avait mal prononcé un nom.

Quand j'apprends qu'on augmente les tarifs en garderie, mais pas le salaire de ma gardienne.

Quand il y a 15 ans, des collègues « gentils » m'ont dit que je m'étais probablement fait engager par un patron parce que j'avais de gros seins.

Quand, 13 ans plus tard, on m'a dit que j'avais probablement perdu un travail que j'adorais parce que je n'avais pas couché avec le patron.

La fois où, dans une réunion d'affaires, le gars en face de moi n'a jamais voulu s'adresser à moi directement, préférant s'adresser à mon subalterne; un homme.

Chaque fois qu'on dit d'une femme qui a du succès et du talent qu'elle ne pourra jamais se trouver un homme parce qu'elle gagne trop d'argent et leur fait peur.

Chaque fois que la religion fait en sorte qu'une femme a moins de chance qu'un homme. C'est triste ailleurs, mais encore plus dramatique quand c'est ici, tout près de nous, alors qu'on jongle maladroitement entre le respect de la culture des autres et le droit des petites filles à devenir des femmes libres.

Chaque fois que quelqu'un affirme, d'une manière ou d'une autre, qu'une fille qui couche est une pute et qu'un gars qui couche est un séducteur.

Chaque fois qu'une fille dit « je ne suis pas féministe ».

Juste là, il y a à peine 30 secondes, alors que je surfais sur Twitter, un twit a fait le tweet suivant : «Revenez-en de la Polytechnique !»

Eh bien non, on ne peut pas en revenir ! Parce que ça continue, bordel !

Je vais devoir arrêter mon billet ici, ça me met trop en colère.

Non, attendez, je vais essayer de penser à des choses positives.

Ah oui ! Lena Dunham, Tina Fey, Amy Poehler, et toutes ces artistes qui incarnent des personnages féminins forts et qui dans la vie ne se gênent pas pour affirmer leur féminisme m'inspirent. Toutes ces auteures qui ont transformé notre culture à contre-courant pour ouvrir les consciences et toutes nos femmes d'opinion, ici au Québec, qui malgré les trolls sur internet, osent encore penser haut et fort me rendent fière.

Il y a aussi nos grand-mères et nos mères qui ont bûché pour nous éduquer sans savoir jusqu'où le plein droit à l'épanouissement peut nous mener, et nos pères qui les ont appuyées.

Oui ! Je vais penser à ces hommes, ces courageux hommes qui ont la chance d'avoir suffisamment confiance en eux pour ne pas avoir peur des femmes, pour savoir les aimer en toute égalité.

Ces hommes participent à cette révolution qui nous mène tout droit vers l'évolution.

Ça ne paraît pas qu'ils ont les couilles plus grosses que les autres, parce que souvent, ce sont des discrets. Ils aident les femmes à changer le monde, quitte à perdre un peu de pouvoir, mais à faire gagner la société avec tout ce que la femme peut apporter à celle-ci.

Je vais aussi penser à l'effort d'éducation partout dans le monde. Car il n'y a pas un seul problème sur cette planète qui ne soit pas réglable par une bonne éducation. Tous ceux et celles qui y contribuent sont des héros.

Aujourd'hui, je vais juste penser à ça. Bon 6 décembre, à tous et toutes.

Geneviève Bergeron

Les victimes de l'École Polytechnique - 1989

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