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Le départ de Jean-François Fortin est révélateur d'un tout autre malaise au Bloc québécois. Il démontre que le premier défi de Mario Beaulieu, avant même de convaincre les Québécois de sortir du carcan provincial, est de re-légitimer la posture indépendantiste auprès des souverainistes.
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Au moment de rédiger ces lignes, le député de Haute-Gaspésie -Le Mitis-Matane-Matapédia vient d'annoncer son départ du Bloc québécois en avouant avoir songé à fonder un nouveau parti sur la scène canadienne. Comme c'est le cas depuis la victoire de Mario Beaulieu à la direction du parti, les militants sont à nouveau polarisés. On peut dire sans trop hésiter que le procédé du démissionnaire est à mille lieues - en termes de ridicule - du pathétisme de Maria Mourani à la fin de l'année 2013. Si la crise autour du calcul opportuniste de Mourani, en plein débat sur la laïcité, exposait l'ébranlement de l'édifice du souverainisme en ne pouvant envisager le dépassement d'une identité nationale canadianisée, le départ de Fortin est révélateur d'un tout autre malaise.

L'événement est fascinant non pas comme fait isolé, mais comme épiphénomène.

Jean-François Fortin le dit aujourd'hui, il s'est joint à un parti qui unissait «tous les nationalistes qui avaient à cœur de faire avancer le Québec». Il a également raison d'affirmer que «le Bloc québécois de Mario Beaulieu n'est pas celui auquel [il a] adhéré».

«La souveraineté ne se fera pas à Ottawa, mais à Québec» et «tant que les Québécois paieront des impôts à Ottawa, il faudra qu'ils y soient correctement représentés» ont fait office de mantras chez les élites bloquistes, qui esquissaient la question fondamentale: quelles sont les actions que le Bloc peut entreprendre pour contribuer à pousser le régime canadien dans ses retranchements? Dès la création du Bloc, après quelques réflexions internes sur le rôle de la formation, celle-ci s'est rapidement inscrite dans la logique du mal nommé «étapisme»: son rôle serait de défendre les intérêts et les «valeurs» du Québec à Ottawa en attendant la «souveraineté», seul mot désormais accepté. D'ici là, il devait se comporter comme une «loyale opposition de Sa Majesté» disciplinée et respectueuse du parlementarisme canadien.

Après avoir été décimé en 2011, la posture de la critique politicienne plutôt que celle du procès du régime canadien méritait d'être soumise à un véritable débat. Pourtant, dans les mois suivants l'hécatombe, la plupart des analyses officielles internes au parti limitaient la signification du 2 mai 2011 à de simples erreurs tactiques ou à une adulation irréfléchie à l'égard de Jack Layton, signe d'une conception pour le moins tronquée de la réalité populaire, laquelle avait déjà été pointée du doigt dans le Rapport Alarie. Quoi qu'il en soit, les bloquistes espéraient alors que la simple alternance, laquelle serait due à la déception vis-à-vis du NPD, les épargnerait des rigueurs d'un exercice lucide sur eux-mêmes.

En 2011, une note interne (La déconfiture du Bloc : hypothèses explicatives et leçons possibles, mai 2011) qui a circulé au cabinet de la chef de l'opposition officielle, Pauline Marois, dressait un bilan pourtant lucide de la situation: «Le Bloc aurait dû rester fidèle à sa base souverainiste et nationaliste, plutôt que de chercher à plaire à tout-le-monde. [...] Qu'aurait pu faire le Bloc pour éviter que la lassitude des électeurs envers la question constitutionnelle lui nuise? D'abord, il aurait pu lui-même ne pas envoyer comme message que la question nationale était moins importante que la question sociale», pouvait-on y lire. On pourrait même y ajouter que le traitement de la question sociale comme un enjeu autonome de la condition nationale est, encore une fois, un des effets ostentatoires du souverainisme «étapiste».

Après le départ de Daniel Paillé pour des raisons de santé, la nouvelle course à la chefferie s'est déroulée sur fond de débâcle péquiste. Le débat de 2014 a véritablement, cette fois-ci, porté sur les orientations profondes du parti. Pour le député André Bellavance, il fallait tenir pour acquis que la souveraineté n'adviendrait pas prochainement et qu'il fallait constituer une coalition nationaliste fondée sur la défense des intérêts du Québec à Ottawa, reprenant l'ancienne posture de distinction claire entre l'indépendance et les activités quotidiennes. Pour le vainqueur Mario Beaulieu, précédemment président de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal, le Bloc doit plutôt placer l'indépendance et le centre de son action. Ses adversaires, ceux-là mêmes qui se seraient empressés de demander - à juste titre - aux «beaulistes» défaits de se rallier au verdict des militants ne prêchent assurément pas par l'exemple. Jean-François Fortin était en droit d'exiger que Mario Beaulieu prenne en compte qu'avec 53 % des suffrages, il devait se concentrer à rallier les nombreux membres qui ne l'avaient pas appuyé. Est-ce à dire que la posture stratégique de Mario Beaulieu est pour autant moins légitime que celle qui a recueilli 47 %?

Le défi est colossal pour le nouveau chef qui devra affronter, dans peu de temps et avec les moyens réduits d'un parti de trois députés sans reconnaissance parlementaire, d'imposantes machines fédérales et, pire encore, la fatigue politique du Québec. Transformer la culture politique d'un mouvement et d'une société en un an et demi relèverait de l'exploit, mais Dieu sait que la politique est riche (quel euphémisme!) en rebondissements.

L'élection de Mario Beaulieu a représenté, en elle-même et pour elle-même, un véritable séisme. Les lamentations de Michel Gauthier et de Gilles Duceppe sur la posture incarnée par leur nouveau successeur étaient révélatrices - à l'instar des quelques démissions que les médias se sont empressés de relayer pour accoler au parti des allures crépusculaires - de l'ampleur du changement de paradigme qui semble s'opérer au sein du Bloc et en ébranler les structures les plus solidement ancrées. Dans une telle mesure, il est évident qu'une partie des membres - particulièrement versée dans l'ancienne culture étapiste - n'y trouve plus son compte et soit tentée de quitter le navire. La démission de Jean-François Fortin en est un témoignage de plus, comme si nous en avions besoin.

Elle nous démontre que pour Mario Beaulieu, avant même de convaincre les Québécois de sortir du carcan provincial, a pour premier défi de re-légitimer une posture indépendantiste auprès des souverainistes. C'est dire où nous en sommes rendus. Il y a à peine sept mois, un Jean-François Fortin qui flirtait avec l'idée d'affronter André Bellavance à la direction du parti semblait vouloir pourtant prendre ce rôle: «À la veille d'un congrès et d'une nouvelle direction, le Bloc québécois doit revoir ses priorités. Il doit s'engager clairement dans la promotion continuelle, en Chambre comme auprès de nos concitoyens, de l'indépendance. Avec ce seul objectif en tête : devenir un outil de mobilisation et de réflexion au service de celles et ceux qui partagent le projet de liberté du Québec».

Preuve supplémentaire que six mois, c'est une éternité en politique...

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