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Arguments d'un sénateur pour un Sénat non élu

En même temps, ces controverses alimentent la discussion sur la nécessité d'une réforme du Sénat, voire de son abolition. Je dis oui à la première, et non à la seconde. Je dis également non à l'idée d'un Sénat élu. Je m'explique.
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Les sénateurs canadiens expriment souvent leur frustration devant le peu d'attention que suscitent leurs travaux - l'étude approfondie de politiques et le « second examen objectif » des mesures législatives présentées à la Chambre des communes. Lorsqu'on parle enfin de la Chambre haute, c'est à propos d'allégations concernant l'inconduite de quelques-uns. Ces questions doivent certes faire l'objet d'une enquête exhaustive, d'une divulgation complète et de mesures correctives en cas d'acte répréhensible.

En même temps, ces controverses alimentent la discussion sur la nécessité d'une réforme du Sénat, voire de son abolition. Je dis oui à la première, et non à la seconde. Je dis également non à l'idée d'un Sénat élu. Je m'explique.

Nous n'avons pas besoin de deux Chambres élues au Parlement du Canada. Une suffit. Imaginez les conflits qui pourraient surgir entre deux assemblées élues, chacune estimant détenir le mandat de représenter la population. Voyez seulement la paralysie qui sévit au Congrès des États-Unis. Notre système, qui est fondé sur le modèle britannique, dit de Westminster, a résisté à l'épreuve du temps.

Les Pères de la Confédération ont vu juste quand ils ont conçu la Chambre haute. Sir John A. Macdonald a déclaré qu'il fallait qu'une « Chambre de second examen objectif » constitue l'un des freins et des contrepoids de notre système parlementaire. C'est justement le rôle dont le Sénat s'est acquitté maintes et maintes fois tout au long de son histoire.

En voici seulement deux exemples. Quand ils ont formé le gouvernement en 2006, les conservateurs ont présenté la Loi fédérale sur la responsabilité afin d'accroître l'ouverture et la transparence du gouvernement. Elle a été étudiée en toute hâte à la Chambre des communes, et le Sénat a constaté qu'elle était mal conçue sous certains aspects. Le Sénat a adopté des dizaines d'amendements, puis a retourné le projet de loi à la Chambre, où bon nombre des modifications ont été acceptées par un gouvernement qui a reconnu l'existence d'erreurs par rapport à ses intentions.

Au printemps dernier, un projet de loi autorisant les provinces à approuver les paris sportifs a été soumis au Sénat après avoir été adopté à l'issue d'un examen sommaire par la Chambre des communes - une audience d'une heure avec un seul témoin. Les députés n'y voyaient aucune matière à controverse; ils croyaient que personne ne s'y opposerait et que la mesure n'aurait aucune conséquence négative. Le Sénat estime, quant à lui, que toute mesure législative nécessite toute la diligence raisonnable. Un comité sénatorial a tenu des audiences, et plusieurs préoccupations et objections y ont été exprimées. Peu importe ce que l'on pense de ces projets de loi, l'utilité du « second examen objectif » a été clairement démontrée.

Une statistique intéressante produite par la Bibliothèque du Parlement nous apprend qu'au cours de la période de 2001 à 2004, le Sénat a modifié 10 % des projets de loi du gouvernement. Or, à cette époque, le gouvernement au pouvoir et la majorité au Sénat appartenaient au même parti politique. Les sénateurs doivent assurément garder à l'esprit la volonté de la Chambre des communes élue au scrutin populaire, mais le processus d'examen au Sénat améliore la législation.

L'importance du Sénat ne se limite pas à cette fonction. On a dit beaucoup de bien des travaux des comités sénatoriaux sur les politiques publiques en gestation. Contrairement aux comités de la Chambre, ils ont souvent davantage le temps d'approfondir l'étude de dossiers. Les membres ont habituellement un plus grand nombre d'années pour se familiariser avec les dossiers des comités, et le fonctionnement du Sénat est moins partisan. Ce serait chose rarissime qu'un comité de la Chambre produise un rapport unanime à l'issue d'une étude de deux ans, alors que c'est courant au Sénat.

Un dernier point : de nombreux sénateurs ne sont pas des politiciens qui se porteraient candidats à une élection si l'on décidait d'élire les sénateurs. Pourtant, ils se dévouent au service de la collectivité, fournissent de précieux aperçus et font bénéficier le Sénat de leurs compétences dans l'exécution de ses mandats en matière de second examen objectif, d'élaboration de politiques et de protection des minorités.

Pour ce qui est de la réforme, le plus important selon moi serait de changer le mode de nomination.

Jusqu'à présent, les nominations ont été la prérogative d'une personne : le premier ministre, peu importe le parti. Une autre solution consisterait à charger un comité de personnes éminentes d'adresser des recommandations au premier ministre, comme cela se fait pour les juges ou les récipiendaires de l'Ordre du Canada. Cette façon de procéder ne nécessiterait pas de modification de la Constitution. Le résultat serait un Sénat encore moins partisan et composé d'un groupe représentatif de personnes très qualifiées.

D'autres réformes devront suivre à plus ou moins longue échéance : un équilibre géographique amélioré pour accroître la représentation de l'Ouest, et la limitation de la durée du mandat des sénateurs. Dans le premier cas au moins, il faudra modifier la Constitution.

Renouvelons le Sénat, améliorons la manière dont il fonctionne. Mais évitons de détruire ou de transformer radicalement la structure d'une institution qui nous sert bien depuis 146 ans.

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Pierre-Hugues Boisvenu

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