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La fièvre des élections dans le Sud-Ouest de Montréal

Les électeurs n'ont plus le droit de choisir leurs représentants en fonction de leurs convictions. On les met dans la position intenable d'appuyer le parti qui barrera la route à un autre.
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Dans le charmant petit café Lili & Oli de la rue Notre-Dame, dans le Sud-Ouest, où je passe mes après-midis à écrire mes articles et à réviser mes textes depuis maintenant 6 ou 7 ans, il y a toutes sortes de gens: des passants, des étudiants, des petits employés et des habitués qui demeurent dans le coin. L'ambiance du café me fait rappeler le film Le bal d'Ettore Scola. Sur une période de 7 ans à voir les mêmes clients entrer et sortir, changer et grandir, des couples qui se font puis se défont, des amitiés qui s'établissent puis s'effilochent, des coups de gueule puis des coups de foudre, c'est tout un petit univers qu'on pourrait qualifier de microcosme.

À la question «pour qui votent-ils cette année», Patrick, le jeune patron du café - un bon observateur de la scène politique nationale et étrangère, par ailleurs - après un moment d'hésitation, dit qu'il votera contre le Parti conservateur. Joseph, son gérant, sans aucune hésitation, dit: «Je vote pour barrer la route à Harper.»

Ces déclarations ont déclenché une vive joute oratoire dans le café. Les jeunes clients semblent tous étonnés de la pertinence de cette question. Pour eux c'est évident. Ils disent que la politique ne les intéresse pas et assènent: «Les hommes politiques sont tous pareils, ils sont tous menteurs, ils ne tiennent jamais leurs promesses. Plus les politiques proposent du changement, et plus le changement fait du sur place.»

Une sentence sans appel, nette et précise. Les jeunes ne composent pas et ne calculent pas.

Celui que j'appelle le «dévoreur» de journaux, ou l'analyste en chef du café, a réagi sur un ton de reproche et d'amertume: «Si les citoyens électeurs ne se préoccupent plus de la gestion des affaires publiques, ceux-là mêmes sur qui comptent les politiques pour être élus, cela montre le degré de sophistication de la mystification installée au sein de la société par les élites dirigeantes et démontre le comportement cynique de tous les grands partis.»

Le plus studieux du groupe, un homme d'un âge moyen, qui ne quitte jamais son livre, interrompt un moment sa lecture et, péremptoire, déclare: «Ces élections sont une véritable tragi-comédie. Une pièce, finement montée par un stratagème diabolique, pour obliger les citoyens à voter pour le parti le moins nocif ou le moins nuisible. Les électeurs n'ont plus le droit de choisir leurs représentants en fonction de leurs convictions politiques ou philosophiques, mais on les met dans une position intenable d'appuyer le parti qui a un potentiel de gagner les élections pour barrer la route à un autre parti. Je ne sais plus si on peut encore appeler cela de la démocratie.»

La réplique est venue de la part du plus sceptique et du plus blasé des clients, un trentenaire révolté. «Ces hommes politiques bavards, ils sont des bavettes, des buvards absorbant la grogne et le mécontentement de la population par leurs discours lénifiants et démagogiques. Ils parlent, ils parlent pour finalement ne rien dire, ce n'est que de la sophistique et de la rhétorique, et le malheur, c'est que les journaux et les médias audiovisuels les relaient. Ils occupent l'espace médiatique pour triturer et casser les oreilles des citoyens par une logorrhée creuse et insipide, et sans substance si ce n'est du verbiage d'une langue d'un bois bien sec.»

Sa voisine de table, une femme du même âge, a continué dans le même sens. «Les politiques, tous des "crosseurs"! Ils ne produisent rien, ils n'inventent rien, mais ils décident de notre sort. Comme rendre le Canada le pays le plus honni dans le monde à cause de ses positions extrémistes en environnement et dans les conflits internationaux et au Moyen-Orient. Tous les partis en lice, et potentiellement futurs dirigeants du pays, sont favorables aux grandes entreprises pétrolières et suivent les recommandations des grandes corporations nationales et internationales.»

La dame aux boucles dorées, une artiste-photographe dans la quarantaine, vient, elle aussi, appuyer la parole du trentenaire. «Les politiques ne sont ni sérieux, ni honnêtes, ni authentiques, ni convaincus, ni convaincants. Je ne vois aucune différence significative entre les programmes des trois grands partis sur le plan du bien-être du citoyen. D'ailleurs, il serait utile de connaître les véritables positions de ces partis. Sont-ils de gauche, sont-ils de droite, sont-ils du centre gauche ou du centre droit? Mais, parbleu, que disent-ils et qu'affirment-ils dans leurs meetings politiques? Y'aurait-il des analystes politiques à Radio-Canada qui peuvent nous éclairer sur leurs orientations idéologiques?»

Le nouveau client de la place, sirotant son café et feuilletant Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, n'a pas pu retenir sa langue: «Je suis d'accord avec le constat que vous faites sur la politique du Canada, mais, moi, je vote pour le Bloc québécois. Je vote pour le pays du Québec. Je ne suis pas tenu à faire barrage à quiconque. Que ceux qui ont propulsé Harper au poste de commande le bloquent.»

Avec l'intervention du souverainiste, l'atmosphère s'est échauffée. Les premières salves sont venues de la part du vieil anarchiste. «Répéter pendant 20 ans les mêmes phrases, cela atrophie le cerveau et ennuie au plus haut niveau les citoyens. Le Bloc est usé et lessivé, sa fibre s'effrite à vue d'œil, ses militants et son chef ont perdu toute fraicheur et n'arrivent plus à produire du concret et du neuf. Le Bloc a vécu, il a fait son temps.»

Soutenu par la jeune anarcho-libertaire, la petite blonde du groupe: «C'est vrai les politiques sont devenus des carriéristes de la chose parlementaire, il ne leur reste aucune goutte de sang chaud. Il n'y a que la fraicheur et la spontanéité et le volontarisme des jeunes qui peuvent arracher l'indépendance.»

«Le pouvoir use et ramollit son bonhomme», dit le plus sage et le plus âgé du groupe, celui que j'appelle le philosophe, en poursuivant: «N'avez-vous pas remarqué que les députés de l'Assemblée nationale ne prennent jamais la parole en public sans l'autorisation de leur chef. On leur écrit même des scripts lors de manifestations publiques. L'homme politique est devenu un perroquet. Le Parti conservateur a même interdit à ses députés de parler aux journalistes. Où est-ce qu'elle est, la parole libre, vraie et spontanée des représentants du peuple? Ils sont devenus monotones, monocordes, monochromes et monolithiques, baignant dans une mollesse de mollusques mirifiques.»

Profitant du rire général provoqué par la dernière phrase du philosophe, le plus drôle et le plus blagueur du groupe, un homme dans la fin vingtaine, jovial et sympathique, apporte son grain de sel pour atténuer la tension. «Ce qui est intéressant, ou plutôt génial au Québec, c'est la réaction imprévisible de ses électeurs. Personne ne s'attendait à la vague orange d'il y a quatre ans. Les chefs politiques sont aux aguets, ils essayent de décrypter le message de leurs concitoyens, mais en vain. Aucun signe, ni visible, ni lisible qui leur permet d'affirmer qu'ils ont gagné leur confiance. Et si c'est une autre vague qui va déferler sur le Québec, une vague blanche, disons, pour le vote blanc ou incolore, pour les candidats indépendants?»

«Ça, c'est la meilleure», s'est exclamée, en chœur, l'assemblée des clients en éclatant de rire.

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