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Tout indique que le débat sur la laïcité québécoise n'est pas sur le point de s'achever.
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Je reproduis ici l'introduction de l'ouvrage collectif « Penser la laïcité québécoise - Fondements et défense d'une laïcité ouverte au Québec », dont je suis le directeur. L'ouvrage est publié aux Presses de l'Université Laval et est disponible dès aujourd'hui, en librairie.

La question de la laïcité est devenue incontournable au Québec. Depuis la fameuse « crise des accommodements raisonnables », qui a mené à la mise sur pied de la désormais célèbre Commission Bouchard-Taylor, nombreux sont les chroniqueurs, universitaires et politiciens qui se sont prononcés sur le sujet. Cela dit, considérant la nature des enjeux et des problèmes qu'elle soulève, l'intérêt porté à la laïcité n'a rien d'étonnant. La place de la religion dans l'espace public, l'aménagement de la diversité ethnoculturelle et religieuse ainsi que les modalités d'accueil et d'intégration des personnes immigrantes sont autant de questions dont une société libre et démocratique comme la nôtre ne peut faire l'économie. C'est d'autant plus vrai que le Québec, à l'instar des autres nations démocratiques, est marqué durablement par ce que le philosophe John Rawls appelait le « fait du pluralisme raisonnable ». Ici comme ailleurs en Occident, donc, la question du vivre-ensemble se pose avec toujours plus d'acuité. Comment le Québec peut-il relever les défis du pluralisme? Quel modèle de laïcité lui sied le mieux? Voilà le genre de questions avec lesquelles le Québec est présentement aux prises.

En novembre 2013, le gouvernement du Québec, avec le Parti québécois à sa tête, déposait le controversé projet de loi 60 (communément appelé la Charte des valeurs québécoises). Avant lui, le gouvernement libéral de Jean Charest, en réponse aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor, avait présenté le timide projet de loi 94. Ces deux projets de loi se sont cependant butés à de vives oppositions et sont pour ainsi dire « morts dans l'œuf ». Quant à eux, les débats qu'ils ont suscités n'en demeurent pas moins bien vivants. Il faut dire que la notion de laïcité se prête dans les faits à diverses interprétations autour desquelles s'articulent de profonds désaccords. Ces interprétations se déclinent généralement sur deux axes : celui, d'abord, de la laïcité dite « stricte » ou « républicaine », laquelle s'accompagne le plus souvent de l'interdiction pour les agents de l'État d'arborer des signes religieux dans les institutions publiques, puis celui de la laïcité dite « ouverte », avec laquelle le droit à l'expression religieuse des individus demeure intact (ou presque).

Cet ouvrage collectif regroupe un ensemble de contributions qui ont en commun de se vouer à la défense d'une laïcité ouverte au Québec, c'est-à-dire une laïcité soucieuse du respect de l'égalité morale des individus et de la protection de leurs libertés de conscience et de religion. Il réunit pour l'occasion des intellectuels issus d'horizons académiques et culturels différents, mais néanmoins animés par une même conviction selon laquelle une authentique laïcité se devrait, autant que faire se peut, de participer à protéger et étendre les libertés et droits fondamentaux de la personne, non à les restreindre. Cela dit, comme nous le verrons plus loin, cela ne signifie pas que les libertés individuelles soient absolues ou illimitées pour autant. Seulement, nous considérons que dans une société libre et démocratique comme la nôtre, elles constituent une norme de base à laquelle toute entorse ou limitation nécessite une justification forte.

Outre leur volonté de se porter à la défense de la laïcité ouverte, les auteurs souhaitent par ailleurs offrir au néophyte comme au spécialiste l'occasion de réfléchir aux différentes facettes de la laïcité, de sorte qu'il devrait être en mesure d'en comprendre les fondements et les implications. Le titre de l'ouvrage, Penser la laïcité québécoise, évoque ainsi la nécessité de se pencher sur l'état de la laïcité au Québec et sur son avenir. L'ensemble est construit selon une approche pluridisciplinaire et divisé en trois parties distinctes : la première s'attarde aux fondements théoriques de la laïcité, la seconde à ses dimensions sociologique et politique et la troisième à sa dimension juridique. Il va sans dire, cependant, que ces différentes parties sont liées l'une à l'autre, alliant la théorie et la pratique, c'est-à-dire la réflexion à ses divers champs d'application.

La première partie de l'ouvrage s'intéresse à la dimension proprement philosophique de la laïcité et s'ouvre sur un texte de Jocelyn Maclure, lequel fait en quelque sorte le « tour du jardin » en nous présentant les différents modèles de laïcité, rejetant de ce fait l'argumentaire de ceux qui prétendent qu'il n'existe qu'une laïcité, soit la laïcité sans adjectif. Cette esquisse nous permettra par ailleurs de comprendre le sens et les implications de la laïcité, ainsi que ses modalités d'application.

Le texte suivant est de Daniel Weinstock, lequel s'affaire à démontrer que l'idée - très répandue - selon laquelle laïcité et multiculturalisme seraient incompatibles est non seulement inappropriée, mais carrément erronée, puisque contraire à l'interprétation selon laquelle la laïcité et le multiculturalisme, dans leurs acceptions libérales, servent précisément à assurer la neutralité de l'État.

Pour Cécile Laborde, la laïcité est une composante essentielle de toute démocratie libérale. Une laïcité bien ordonnée se doit cependant d'être « critique », c'est-à-dire capable de se penser elle-même et toujours soucieuse de demeurer en phase avec le contexte historique et socioculturel dans lequel elle s'inscrit.

Sébastien Lévesque propose quant à lui un texte qui s'applique à définir le véritable sens de la neutralité de l'État. L'État, s'il doit effectivement demeurer neutre sur le plan religieux, ne doit pas être indifférent ou hostile à l'égard du fait religieux pour autant, bien au contraire.

Nombreux sont les intellectuels et politiciens québécois qui prennent la laïcité française pour modèle. Dans un texte très étoffé, David Koussens et Valérie Amiraux mettent en garde contre cette fâcheuse tendance en rappelant, d'une part, que la laïcité française ne saurait être réduite à la représentation caricaturale que plusieurs s'en font, puis en montrant que c'est à tort qu'on lui attribue une mission d'intégration.

La deuxième partie rassemble des textes qui mettent en relief les implications de la laïcité dans les sphères sociale et politique. Dans un premier temps, François Boucher s'attaque à l'épineuse question du financement public des écoles confessionnelles en montrant qu'il est possible de concilier la diversité et le libre choix des parents en matière d'éducation avec l'intérêt général de la société à former de « bons citoyens ».

Dans le texte suivant, Ianik Marcil s'applique à nous montrer l'importance des relations économiques en général et au travail en particulier dans la construction de l'identité individuelle. Ce faisant, l'auteur avance l'idée que dans leur tentative pour redéfinir le vivre-ensemble, les démocraties libérales devront nécessairement tenir compte des revendications de reconnaissance au sein des « institutions intermédiaires ».

Et si le débat sur la laïcité n'en était pas vraiment un? C'est du moins la thèse que défend Leïla Benhadjoudja, suggérant qu'il s'agit plutôt d'une controverse au sujet des femmes musulmanes. De fait, souligne l'auteure, le débat sur le voilement ou le dévoilement des femmes musulmanes met davantage en lumière le processus de racialisation des musulmans plutôt que les angles morts de la laïcité au Québec.

Bochra Manaï nous introduit quant à elle au concept de « ville inclusive », c'est-à-dire la ville conçue comme le réceptacle de la diversité, de la différence et de la présence de l'altérité. Ce faisant, elle porte toutes les possibilités de coexistence, qu'elles soient faites de conflits ou de cohabitation pacifique. Et si la ville était porteuse de leçons pour ceux qui réfléchissent à la question de la laïcité?

Pascale Fournier, enfin, présente une perspective féministe sur la laïcité et plus particulièrement sur la Charte des valeurs québécoises. Il importe, selon l'auteure, de réfléchir aux diverses implications de ce projet de loi dans la vie sociale et économique des femmes ainsi qu'au type de féminisme qu'il sous-tend. Puisqu'elle n'octroie aucun nouveau droit aux femmes, cette Charte peut-elle vraiment se targuer d'être féministe?

La troisième et dernière partie de l'ouvrage s'attarde à la dimension juridique de la laïcité. Sans surprise, le projet de Charte des valeurs québécoises du Parti québécois occupe une place de choix dans les préoccupations de nos auteurs. Il faut dire que de par sa nature et son importance, ce projet de loi soulève de nombreuses questions d'ordre juridique.

Dans un texte particulièrement riche et éclairant, Pierre Bosset nous offre une analyse des fondements juridiques de la laïcité québécoise. Considérant les exigences juridiques qui sont d'ores et déjà imposées à l'État par la Constitution (plus précisément par les chartes des droits), il apparaît douteux, aux yeux de l'auteur, que le Québec ait véritablement besoin d'une loi sur la laïcité pour garantir l'exercice des libertés de conscience et de religion.

Sur un ton plus polémique, Jérôme Lussier nous rappelle ensuite que la protection constitutionnelle des droits et libertés constitue notre meilleure arme contre la tyrannie de la majorité. Ce faisant, il s'inscrit en faux contre ceux qui tendent à assimiler notre État de droit à une « dictature des juges ».

Louis-Philippe Lampron complète l'ensemble en nous offrant une lecture critique de la Charte des valeurs québécoises. Son jugement est sans appel : l'apport de ce projet de loi au droit québécois est pour ainsi dire nul, si ce n'est de la controversée - et malheureuse - mesure visant à interdire le port de signes religieux chez les agents de l'État.

Tout indique que le débat sur la laïcité québécoise n'est pas sur le point de s'achever. Plus que jamais, cependant, les Québécois sont avides de solutions. Résolument engagés en faveur d'une laïcité ouverte, les textes présentés dans cet ouvrage n'en sont pas moins animés par le désir d'alimenter un débat public respectueux et constructif. Il faut dire qu'en dépit des désaccords importants qui persistent entre les tenants de la laïcité stricte ou républicaine et ceux de la laïcité ouverte, un consensus semble se dessiner autour de la nécessité de mieux définir les contours de la laïcité québécoise. Puisse cet ouvrage y contribuer.

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Avril 2018

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