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Mauvaise foi, bonne guerre

Les dernières années nous ont donné des luttes confuses à consommer. Là c'est bien, c'est clair, c'est comme une finale de Coupe du monde : ils sont deux, on en choisit un, on va s'acheter le chandail, et on ne changera pas d'idée jusqu'à la victoire.
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D'aucuns ont posé la question: pourquoi sommes-nous si sensibles au conflit israélo-palestinien, tandis qu'on crève la gueule ouverte en Syrie et ailleurs dans l'indifférence générale? D'abord, dans notre psyché collective, c'est un conflit rassurant, avec ses deux camps, sa frontière; une bonne vieille guerre, à l'ancienne. Les dernières années nous ont donné des luttes confuses à consommer; une guerre au terrorisme, avec un ennemi partout et nulle part, des fois ici, des fois là-bas, ça peut péter dans les airs demain, mais dans le métro aussi, dans le nôtre peut-être... ou encore des guerres civiles complexes, le tout sur fond de dictatures, de religions, ou de pétrole. Là c'est bien, c'est clair, c'est comme une finale de Coupe du monde : ils sont deux, on en choisit un, on va s'acheter le chandail, et on ne changera pas d'idée jusqu'à la victoire.

Je suis allé engueuler Lise Ravary. Elle venait d'écrire une connerie gigantesque, un exemple de mauvaise foi fumeuse : "Donner ses enfants pour la Palestine, c'est une chose. Mais que sont-ils prêts à donner pour la paix ?" À ce moment-là, Israël menait confortablement la partie 316 morts à 1. Je suis allé lui dire que c'était honteux de dire une chose pareille, qu'elle devrait se retenir, qu'Israël était l'agresseur, etc., etc.

Lise est juive. Attention, pas juive comme moi je suis catholique, soit d'un héritage subi comme un malheureux air de famille, non, Lise est juive convertie, donc on ne peut plus volontaire, éclairée, et engagée. La présentation de son éditeur est sans équivoque: "Lise Ravary est tombée amoureuse du judaïsme au point de vouloir se convertir". Dès lors, c'est quoi la job de Lise Ravary, à part avoir autant d'avis sur l'actualité que je ne prends de repas par jour? Sa job c'est d'être juive, et plus que jamais en ce moment. Sa job, c'est de défendre sa communauté: elle a un agenda politique. Et moi, grand génie, je suis allé l'engueuler. Mais qu'est-ce que j'espérais? Qu'elle me réponde de bonne foi: "Dîtes-moi Savignac, mais vous avez raison, je réalise à vous entendre que ma patrie, mes frères de confession ont une réaction violente inacceptable et disproportionnée en réponse aux jets de roquettes palestiniens, et je m'en vais de ce pas les dénoncer". Dire à une pro-israélienne qu'Israël exagère et lui demander de reconnaître sa mauvaise foi... parler d'Emmanuel Kant à Denis Coderre aurait donné de meilleurs résultats.

Lise Ravary porte le maillot d'Israël et moi, moins converti qu'elle quand même, je porte celui de la Palestine. Retour à notre engueulade. Bon, pour être honnête, je devrais dire retour à mon engueulade, parce qu'elle a eu cette intelligence insoupçonnée de ne pas répondre à mes invectives, c'est plutôt une de ses copines qui a pris le relais. Une pro-israélienne aussi. De course. De compétition. En trois phrases, elle avait réglé mon cas : antisémite. Merde, c'est pas rien. J'aurais préféré roux. Antisémite, c'est dur sur le bonhomme. Je ne sais plus trop comment on a fini ça, j'ai probablement conclu doucement sur un "Va au diable vieille salope", ou quelque chose du genre. Bref, on n'a pas réservé ensemble cet été.

Ensuite, y'a l'autre tache qu'est arrivée. Vous savez, le genre grand flanc mou, qui n'a aucun des deux chandails, il en porte un autre, un qu'on ne sait pas trop d'où. Et il se fait taper la gueule sans s'arrêter : "Vous savez, c'est un conflit complexe, qui puise ses racines non pas dans la création de l'Israël d'après-guerre, mais dans une histoire bien plus ancienne, une histoire millénaire et confuse, bien avant les écrits quand, déjà, aux portes de Jérusalem ...". T'as juste envie de le faire monter sur un vol de la Malaysia.

Pourtant, me direz-vous, c'est lui qui a raison. C'est une histoire complexe, un territoire difficile à définir, c'est vrai. Vous savez quoi? Je m'en fous. Et si Lise Ravary a sans aucun doute raison quand elle dit qu'il est insupportable de vivre sous la menace permanente de roquettes, je réponds encore, plein de la mauvaise foi qu'elle m'autorise par la sienne, que je m'en fous encore, que rien ne peut justifier ce qu'est en train de faire Netanyahou, ce porc, cet assassin d'enfants que je voudrais voir fumant au milieu des chairs de Gaza.

Et puisque la mauvaise foi, c'est de bonne guerre, chère vous qui m'avez traité d'antisémite, je vous donne à lire ces quelques mots écrits par Primo Levi à son retour d'Auschwitz, en introduction de Si c'est un homme.

Vous qui vivez en toute quiétude

Bien au chaud dans vos maisons,

Vous qui trouvez le soir en rentrant

La table mise et des visages amis,

Considérez si c' est un homme

Que celui qui peine dans la boue,

Qui ne connaît pas de repos,

Qui se bat pour un quignon de pain,

Qui meurt pour un oui pour un non.

Considérez si c'est une femme

Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux

Et jusqu'à la force de se souvenir,

Les yeux vides et le sein froid

Comme une grenouille en hiver.

N'oubliez pas que cela fut,

Non, ne l'oubliez pas :

Gravez ces mots dans votre cœur.

Pensez-y chez vous, dans la rue,

En vous couchant, en vous levant ;

Répétez-les à vos enfants.

Ou que votre maison s'écroule,

Que la maladie vous accable,

Que vos enfants se détournent de vous.

Turin, janvier 1947, Primo Levi

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