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Islamisation de la démocratie: réponse à Djemila Benhabib

Madame Benhabib a le droit de croire que les politiciens québécois auraient dû sermonner, pendant ces cérémonies, les musulmans à propos de la démocratie, de la liberté d'expression et des droits des femmes. Et nous avons le droit de lui répondre que, pour nous, il en est autrement.
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L'attentat de Québec a laissé des milliers de Québécois sans voix, indignés par un crime qui a visé une communauté en particulier. Une de leur communauté. De toutes les sphères politiques, médiatiques et populaires, des condamnations et des condoléances ont fusé en soutien aux victimes et à leurs familles. Quoi de plus normal dans une société forte et digne qui, malgré certains profonds désaccords, souhaite l'union de son peuple ?

Dans ces instants rares de cohésion, Djemila Benhabib a écrit un statut sur son compte Facebook où, tout en appelant à l'analyse des faits et des circonstances, elle conspuait les dirigeants politiques du Québec qui se seraient adonnés à « un rare moment d'islamisation de la démocratie ». Pourtant, les commentateurs de gauche et de droite, et ce jusqu'à Richard Martineau, ont salué la posture respectable et rassembleuse de ces mêmes politiciens. Monsieur Martineau a retrouvé en Philippe Couillard un « vrai » chef d'État, qui « trouvait les mots justes, gardait son calme, [et] s'élevait au-dessus des joutes partisanes ».

Mme Benhabib, quant à elle, aurait préféré que cette « rencontre avec les religieux musulmans soit aussi une occasion pour nos politiciens de leur expliquer le sens de la démocratie ». Elle a pris l'exemple de l'Algérie où, pendant la guerre civile des années 1990, des femmes ont contourné les traditions et ont « repoussé les portes des cimetières » afin de dire au revoir à leurs êtres chers, assassinés par l'intolérance islamiste. Ces femmes sont des exemples, en effet. Et par leur grâce, elles ont transmis et transmettent chaque jour un autre Islam que celui des radicaux. Ces martyrs algériens, penseurs et lettrés, n'étaient-ils pas pour la plupart des musulmans ? Ces femmes qui ont « repoussé les portes des cimetières » ne l'ont elles pas fait pour lire la fatiha devant les dépouilles de leurs bienaimés ? C'est une récupération maladroite qu'a faite là Mme Benhabib.

Plus haut, dans son texte, elle s'insurgeait contre l'infantilisation des musulmans opérée selon elle par Radio Canada, mais voilà qu'elle souhaite qu'on leur explique le sens de la démocratie. Les musulmans seraient donc partout des marmots qui, comme l'enfant tétant sa mère, doivent se nourrir des enseignements tantôt de Radio Canada, tantôt de Mme Benhabib.

La situation appelait au rassemblement des Québécoises et des Québécois, tous partis confondus, toutes confessions confondues, toutes et tous sans distinction.

Cette « rencontre » n'était pourtant pas une rencontre comme les autres. Il ne s'agissait pas d'une table de discussion entre les religieux musulmans et les dirigeants politiques du Québec. Il s'agissait d'un hommage qui, au-delà d'être rendu aux Québécois de confession musulmane, servait à soulager tout un peuple d'une blessure aiguë. Les politiciens québécois ont préféré choisir un autre moment pour faire la leçon aux musulmans. Voilà pour Mme Benhabib l'islamisation de la démocratie. C'est, somme toute, la décence rare de la politique face aux faits graves de la vie. Il est vrai que l'Islam enseigne la décence, le respect des morts, la compassion et la miséricorde, mais ces valeurs sont aussi celles des Québécoises et des Québécois, quelle que soit leur confession. Ce n'est pas au nom d'une quelconque islamisation de la démocratie que Messieurs Couillard, Lisée, Trudeau et d'autres ont préféré ne pas adresser les sujets qui fâchent lors des funérailles et des recueillements pour les victimes. C'est parce que la situation appelait au rassemblement des Québécoises et des Québécois, tous partis confondus, toutes confessions confondues, toutes et tous sans distinction.

Pour autant, on ne peut que rejeter l'appel de certains qui, outrés par les propos de Mme Benhabib, appellent à son boycottage, et à signaler son profil Facebook afin de suspendre ses moyens d'expression. La démocratie, c'est d'abord la discussion, la réponse aux arguments par les arguments. Djemila Benhabib a le droit fondamental de faire part aux Québécoises et aux Québécois de ses analyses, de ses préférences, et de ses opinions. Il appartient à celles et ceux qui sont en désaccord avec ses points de vue de lui répondre avec respect et intelligence.

Madame Benhabib a le droit de croire que les politiciens québécois auraient dû sermonner, pendant ces cérémonies, les musulmans à propos de la démocratie, de la liberté d'expression et des droits des femmes. Et nous avons le droit de lui répondre que, pour nous, il en est autrement. Les altercations intellectuelles sont un impératif au maintien de la démocratie.

Mais tout de même, ne faut-il pas panser avant de penser ?

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