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«Bordure protectrice»: cette guerre dont personne ne voulait

Aujourd'hui, laest au chevet de ce conflit. Mais il n'est guère besoin d'être grand prophète pour savoir qu'Israël ne quittera pas la bande de Gaza avant de s'assurer que toute menace est écartée pour longtemps. Le Hamas, quant à lui, ne cessera pas les hostilités à moins d'avoir une garantie internationale quant à la levée du blocus.
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Il est trop tôt pour faire le bilan de l'opération "Bordure protectrice". On ne connaît pas les détails de ce qui ressemble à une vraie guerre, avec des combats extrêmement durs, un nombre très élevé de pertes civiles du côté palestinien, une armée israélienne qui n'a pas subi autant de pertes depuis la guerre du Liban en 2006, une population israélienne vivant sous la menace permanente de missiles. Sur quels résultats militaires et politiques débouchera cette nouvelle confrontation? Nul ne le sait à l'heure actuelle. La prudence s'impose donc. Mais il n'est pas interdit d'avancer quelques éléments de réflexion à propos de ce nouveau round entre le Hamas et Israël. Un des éléments qui paraît le plus significatif concerne les origines de cette confrontation.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne au départ ne voulait cette guerre, ni ne l'avait cherchée. C'est l'exemple même de conflit qui éclate de manière non intentionnelle, suite à une succession d'actes d'hostilité mal contrôlés, conduits par des gouvernements faibles et dépourvus de la moindre vision politique. Il se distingue nettement de l'opération "Plomb durci", commencée le 28 décembre 2008 pour s'achever quelque trois semaines plus tard.

À l'époque, le gouvernement et l'armée israélienne voulaient en découdre avec le Hamas. Ils pensaient pouvoir mettre un terme "une fois pour toutes" au lancement de roquettes sur la population israélienne, mais aussi "rétablir la dissuasion", écornée durant l'affrontement contre le Hezbollah en juillet 2006 qui avait laissé un sentiment d'humiliation. Malgré la puissance de son armée, Israël n'avait pu venir à bout des forces du parti de Dieu et avait perdu cent dix-sept soldats et plusieurs dizaines de civils. L'autre objectif de "Plomb durci" était de retrouver le caporal Gilad Shalit, enlevé en juillet 2006 près de la bande de Gaza par un groupe de combattants du Hamas qui s'étaient infiltrés en Israël par un tunnel.

Comment tout cela a-t-il donc commencé? Il n'est pas simple de répondre à cette question. Tsahal et le Hamas ne cessent de s'affronter depuis le début de la seconde Intifada. Plusieurs opérations ont été lancées par Israël: "Pluies d'été" en juillet 2006, "Nuages d'automne" en novembre de la même année, "Plomb durci" en décembre 2008 puis enfin "Pilier de défense" en 2012. Ces dernières ont pris fin suite à la médiation égyptienne et se sont conclues par un accord entre les deux parties, qui leur a laissé deux à trois ans de répit selon les cas. Cette succession de combats n'a abouti à la victoire ni de l'un ni de l'autre. En 2011, le Hamas a cependant remporté une importante victoire politique. Le gouvernement israélien, cédant aux pressions de son opinion publique, a relâché plus de mille prisonniers appartenant au mouvement en échange de la libération de Gilad Shalit. Mais sa situation s'est aggravée depuis l'accession au pouvoir en Égypte du maréchal al-Sissi, très hostile aux Frères musulmans dont il est une émanation, qui a décidé la destruction des tunnels permettant le passage de marchandises et d'armes entre la bande de Gaza et l'Égypte.

Pourquoi donc, dans ce contexte, s'oriente-t-on vers la guerre? Affaibli et relativement isolé sur le plan régional, en butte à l'hostilité du gouvernement égyptien, en rupture avec la Syrie pour s'être opposé à la politique répressive du président Assad contre sa propre population, soumis à la pression de ses 40.000 fonctionnaires dont il ne pouvait plus payer les soldes, le Hamas a tenté en avril 2014 un rapprochement stratégique avec l'Autorité palestinienne. Il acceptait de lui céder le pouvoir dans la bande de Gaza à condition de conserver les milices armées sous son autorité.

Ce rapprochement a provoqué l'ire du gouvernement de Benyamin Netanyahu, qui y a vu une menace, et a définitivement disqualifié l'Autorité palestinienne à ses yeux. Mahmoud Abbas avait pourtant pris le soin de former un gouvernement de technocrates et réitéré ses engagements à poursuivre le processus de paix, même si celui-ci, conduit sous l'égide du secrétaire d'État américain John Kerry, montrait des signes clairs d'essoufflement. Certains spécialistes du Hamas ont expliqué que "Bordure protectrice" devait "se lire comme une réponse à la toute récente tentative de rapprochement inter-palestinien, réponse qui consacre la division de la Palestine". Cette explication, ex post, ne convainc pourtant pas. Pour briser cette union, le gouvernement israélien n'avait nul besoin de se lancer dans une guerre de cette envergure. Il lui suffisait d'empêcher le transfert d'argent vers la bande de Gaza pour le paiement des fonctionnaires.

Pour comprendre le processus qui a conduit à "Bordure protectrice", il faut examiner de plus près l'enchaînement des événements depuis l'enlèvement, le 12 juin, près de Hébron, de trois adolescents israéliens qui s'apprêtaient à rentrer chez eux en stop. Cet enlèvement n'était pas imprévisible selon les experts israéliens du contre-terrorisme. La libération des mille prisonniers en échange de celle du caporal Shalit ne pouvait que constituer un encouragement à d'autres rapts. Celui de ces trois jeunes (par un groupe appartenant selon toute vraisemblance au Hamas) leur a donné raison. Le choc en Israël a été considérable. Ni le gouvernement ni l'opinion publique n'ont voulu revivre la période éprouvante qu'ils avaient connue au moment de la séquestration du caporal Shalit.

Le premier ministre israélien a d'emblée accusé le Hamas d'avoir orchestré l'enlèvement des trois jeunes Israéliens et l'a menacé de représailles. Mais rien ne confirmait cette accusation. Il eut été d'ailleurs surprenant que le Hamas, à la recherche d'une certaine respectabilité pour sortir de son isolement, prenne une décision contraire à sa nouvelle stratégie. Mais peu importe... L'occasion a été saisie pour le stigmatiser et en même temps torpiller l'union interpalestinienne. Des milliers de soldats et de policiers ont été déployés autour de Hébron à la recherche des trois jeunes Israéliens et de leurs ravisseurs. En marge de cette vaste recherche s'est engagée une opération parallèle consistant à arrêter des centaines de militants du Hamas habitant la Cisjordanie. Lorsque les corps des trois jeunes gens ont été retrouvés, le 30 juin, enfouis à la hâte sous un amas de pierres, dans une colline près de Hébron, la colère s'est emparée du public israélien. Un fort sentiment anti-arabe s'est exprimé un peu partout et surtout dans les réseaux sociaux. Le 2 juillet, on découvrait le cadavre d'un jeune Palestinien de 16 ans, brulé vif par des extrémistes juifs. Cet acte ignoble a été condamné en Israël de manière unanime. Mais le mal était fait.

Ne voulant pas rester impassibles devant les arrestations de leurs "frères" en Cisjordanie, le Hamas ainsi que le Djihad islamique ont manifesté leur solidarité en tirant des roquettes vers le territoire israélien. Israël a riposté comme elle le fait toujours. Les salves lancées depuis Gaza avaient un aspect plutôt "symbolique", selon les meilleurs experts militaires israéliens.

À ce moment, personne encore ne voulait d'une escalade. Le Hamas ne désirait pas de confrontation à grande échelle, mais ne pouvait pas céder face aux ripostes de l'aviation israélienne sans paraître timoré aux yeux des factions palestiniennes plus radicales comme le Djihad islamique, qui lui reprochait déjà son rapprochement avec le Fatah et l'abandon de la lutte armée. Benyamin Netanyahu n'était pas plus désireux de s'engager dans une vaste opération militaire, mais il devait montrer qu'il n'était pas indifférent aux attaques du Hamas, tout en essayant de freiner les ardeurs guerrières de deux de ses ministres d'extrême-droite, Avigdor Libermann et Naftali Bennett. Les batteries antimissiles "Dôme de fer" remplissaient bien leur mission de protection des grandes agglomérations, le préservant contre les pressions inévitables que des pertes élevées dans la population israélienne n'auraient pas manqué de susciter.

Plusieurs événements font alors basculer la routine "échanges de missiles contre assassinats ciblés" vers un affrontement violent. Le premier est l'allocution du premier ministre israélien accordant quarante-huit heures au Hamas pour cesser le feu, faute de quoi il s'exposerait à des représailles. S'il avait aspiré à une escalade militaire, il n'aurait pu mieux s'y prendre: ne pouvant céder à cet ultimatum sans se discréditer totalement, le Hamas amplifie ses tirs vers les populations israéliennes. Ce type d'objectif peut s'obtenir par des négociations secrètes, non par des menaces publiques.

L'opération "Bordure protectrice" est décidée le 8 juillet. Elle se limite à des frappes aériennes. Des réservistes sont rappelés, mais ce rappel n'est pas forcément synonyme de volonté d'incursion terrestre. Lors de l'opération "Pilier de défense", des réservistes avaient été appelés sans qu'il y ait eu d'opérations terrestres pour autant. Le premier ministre est conscient des pièges que peut constituer l'envoi de forces dans la bande de Gaza. Mais plus que tout, il veut afficher la plus grande retenue pour préserver le soutien de ses alliés occidentaux, dans cette période délicate que traversent les négociations entre l'Iran et les pays occidentaux en vue de s'assurer du renoncement de ce pays à se doter de l'arme nucléaire. Nul doute que la menace iranienne est alors la première de ses préoccupations, en termes de politique de sécurité, bien plus que les missiles du Hamas.

Pourquoi Benyamin Netanyahu décide-t-il alors le 17 juillet d'autoriser Tsahal à entrer dans la bande de Gaza? Une première explication tient à l'absence d'un intermédiaire agréé par les deux parties. Jusqu'ici c'est l'Égypte de Moubarak ou celle de Morsi qui jouait ce rôle. Cette fois-ci les deux protagonistes manquent cruellement d'un tel "parrain". Le Hamas récuse le président al-Sissi, tandis qu'Israël refuse la Turquie et le Qatar, contactés par son adversaire. À partir de là, aucun des protagonistes n'est en mesure de maîtriser la violence armée. La confrontation ressemble une fois de plus à une chamaillerie de gamins incapables de s'arrêter en l'absence de l'intervention d'une tierce personne.

Une deuxième raison tient au constat d'impuissance militaire. L'armée de l'air, en dépit de ses attaques répétées, n'arrive pas à venir à bout des lanceurs de roquettes et autres missiles plus perfectionnés. La troisième raison tient au problème des tunnels. Les services de sécurité en connaissaient l'existence. Mais ils n'imaginaient pas l'ampleur du gigantesque dispositif, aussi bien offensif que défensif, déployé par le Hamas, et qui explique l'incapacité de l'aviation israélienne à paralyser les lanceurs de missiles sortant de dessous-terre le temps de tirer et retournant se cacher. Le Hamas a investi au cours des dernières années des sommes prodigieuses pour s'enterrer et pour enfouir les stocks de missiles et les ateliers de fabrication, sans que les services de renseignement perçoivent ce changement stratégique.

Les plans d'attaque des Israéliens prévoyaient une incursion "ponctuelle" et limitée dans le temps. Ce n'est qu'une fois dans la bande de Gaza que leur apparaît l'ampleur de la menace des tunnels "offensifs" creusés par le Hamas et débouchant dans leur territoire, au plus près de leurs forces et au milieu des localités de la région. Il y a là une faille majeure du renseignement israélien. Tsahal se retrouve, à son corps défendant, obligé de modifier ses plans, de s'engager dans une opération plus ample qu'il ne le prévoyait et de prendre des risques, pour ses forces comme pour la population palestinienne, afin de tenter d'affaiblir les capacités militaires du Hamas. Cette guerre que Benyamin Netanyahu ne voulait pas est devenue à ses yeux indispensable. L'inversion de la situation est saisissante.

Imaginons un instant que le Hamas ait accepté de cesser le feu début juillet, comme il en fut question, et que des négociations se soient ouvertes grâce à un intermédiaire agréé. Israël aurait laissé intact ce qui constituait une menace qui pouvait le surprendre un jour ou l'autre sous la forme d'une attaque massive contre des civils vivant dans les localités situées à la bordure de la frontière avec Gaza. Le premier ministre israélien a eu d'une certaine manière de la "chance", mais une chance bien encombrante. La guerre que personne ne voulait est devenue, côté israélien, celle qu'il faut mener jusqu'à son terme, et ce avec l'approbation massive de l'opinion publique israélienne, mais avec des risques accrus pour la population gazaouie et les soldats de Tsahal.

Aujourd'hui, ce qu'on appelle improprement la "communauté internationale" est au chevet de ce conflit. Mais il n'est guère besoin d'être grand prophète pour savoir qu'Israël ne quittera pas la bande de Gaza avant de s'assurer que toute menace est écartée pour longtemps. Le Hamas, quant à lui, ne cessera pas les hostilités à moins d'avoir une garantie internationale quant à la levée du blocus. Mais qui pensera l'avenir? Lequel des protagonistes montrera le chemin de la solution politique, sans laquelle il ne restera plus qu'à compter les mois ou les années qui séparent de la prochaine débauche de violence?

Ce billet a également été publié sur le site du Ceri de Sciences Po.

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