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Afghanistan: comment ma soeur est allée jusqu'à prendre un nom masculin

J'ai beaucoup de souvenirs douloureux du régime taliban et de l'ère qui l'a précédé. Je suis pourtant assez optimiste pour la période à venir, car des changements positifs sont survenus dans de nombreux domaines au cours des dix-douze dernières années.
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Les plus importantes violations des droits humains ont été perpétrées sous le régime des talibans. Même si j'étais trop jeune pour porter le tchador, je le portais néanmoins par peur de représailles et pour ne courir aucun risque. Les talibans interdisaient toute sortie aux femmes non accompagnées par un homme de leur famille et celles qui ne respectaient pas cette règle étaient rouées de coups. Un jour, alors que j'étais au bazar avec ma mère et ma sœur, les talibans sont arrivés en voiture avec la ferme intention de battre les femmes qui n'étaient pas accompagnées d'un "chaperon" masculin. Par miracle, nous avons pu nous réfugier dans une maison pour nous cacher d'eux.

C'est pourquoi nous avions pris l'habitude d'habiller l'une de nos sœurs en homme pour pouvoir sortir de la maison à notre guise, accompagnées de notre prétendu "chaperon". Elle est même allée jusqu'à prendre un nom masculin : Sohrab. Hélas, ceci a eu de lourdes conséquences pour elle. Elle a essayé d'enfouir la femme qui était en elle pour la cacher, de s'en éloigner au maximum. Il lui a fallu longtemps pour se remettre de cette période.

J'ai beaucoup de souvenirs douloureux du régime taliban et de l'ère qui l'a précédé. Je suis pourtant assez optimiste pour la période à venir, car des changements positifs sont survenus dans de nombreux domaines au cours des dix-douze dernières années. Les droits des femmes par exemple ont beaucoup évolué et l'accès à la santé et à l'éducation leur a été considérablement facilité. Une autre avancée a été l'émergence de nombreux médias, en particulier les médias audiovisuels. Cependant, compte tenu des richesses financières dont dispose ce pays, de nombreuses autres évolutions auraient pu voir le jour.

Les initiatives à l'égard des droits des femmes, des grands médias, des moyens de communication et des lois relatives aux droits humains sont nouvelles pour nous. Tous ces développements sont donc très prometteurs pour l'avenir.

Toutefois, malgré les progrès accomplis, j'ai une peur profonde d'un retour des fondamentalistes et qu'ils reprennent le pouvoir politique dans ce pays. Je crains, si les talibans devaient revenir au pouvoir, que nous perdions jusqu'aux moindres changements advenus en Afghanistan.

Il y a de grands défis auxquels l'Afghanistan doit faire face et le plus important est la sécurité. En effet, l'absence de sécurité compromet le système économique et la structure sociale et les rend fragiles et instables. La Lutte contre l'analphabétisme et l'illettrisme reste un autre défi à relever pour notre pays.

La société n'est pas à l'origine des accomplissements de ces dix dernières années, ils n'ont été ni spontanés ni naturels. Il ne sont que le fruit de projets menés à court terme. C'est pourquoi ces projets ont eu si peu d'impact en terme de restructuration de la société. Les structures traditionnelles de la société doivent encore évoluer.

L'absence de résistance de la part de la population au moment de la fermeture des écoles était, selon moi, le signe d'une profonde résignation de notre société, épuisée par tant de guerres civiles successives. Aujourd'hui, le contexte est différent : les enfants et les jeunes gens se sont rués en masse vers l'éducation et l'enseignement supérieur. C'est pourquoi un retour en arrière me semble peu probable dans l'Afghanistan d'aujourd'hui et je pense qu'il serait impossible de fermer à nouveau les portes de l'école aux jeunes filles.

Avant même de mettre en cause la société, les traditions ou les lois, le plus gros obstacle à la participation des femmes à la vie sociale, économique, politique et culturelle est essentiellement dû à un cruel manque de confiance en elles. Cela souligne le faible niveau de conscience que les femmes ont de leurs droits. Même les plus éduquées restent fortement sous influence des hommes car elles ignorent leurs droits naturels et légaux. À titre d'exemple, je connais des femmes enseignantes à l'université et travaillant dans des centres académiques prestigieux qui ne sont pas pour autant autorisées à sortir de chez elles après 16 heures ! En Afghanistan, le patriarcat n'est pas limité à certaines classes sociales et ne touche pas uniquement les populations pauvres et rurales. Les seules différenciations qui existent entre les couches sociales résident dans les manières d'agir et l'intensité avec laquelle ce contrôle patriarcal est exercé.

Une des plus pressantes demandes exprimées par les femmes est la création d'espaces et de réseaux au travers desquels elles pourront sensibiliser les autres femmes et mobiliser leur attention. Les femmes aspirent également à une plus grande sécurité dans de nombreux secteurs : sécurité sociale, sécurité de l'emploi ou encore sécurité juridique. Par exemple, si une femme porte une affaire devant le tribunal aujourd'hui, ne serait-ce qu'une seule fois, elle sera rejetée par toute sa famille qui lui reprochera d'être une "femme rebelle". À l'inverse, un homme qui a purgé une peine de plusieurs années de prison pour un crime dont il est responsable, sera accueilli chaleureusement par sa famille et ses amis à sa libération.

Les femmes en ont assez d'être utilisées comme des symboles. Elles ne veulent plus seulement être un prétexte politique uniquement électoral.

Pour faire valoir leurs droits et leurs revendications, les femmes peuvent se tourner vers le ministère de la Condition féminine et la plupart des autres ministères gouvernementaux qui dédient une partie de leurs activités aux femmes. Néanmoins, je suis convaincue que le pouvoir qui peut réellement changer les choses réside dans la propre volonté des femmes. Force est de constater que tout ce que les organisations gouvernementales et non-gouvernementales ont fait pour les femmes n'est que provisoire. Rien ne changera fondamentalement tant que le mouvement ne sera pas insufflé par les femmes elles-mêmes.

Pendant des années, les femmes ont subi les différents courants politiques. Elles ont été les principales victimes de la guerre dans ce pays. Aucun système politique ne les a jamais libérées de leurs contraintes. Toutes les forces politiques ont maltraité leur identité. Le temps est venu pour les femmes de se réveiller.

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