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Zygmunt Miloszewski: du sang dans les pierogis

Zygmunt Miloszewski est un auteur emblématique de la jeune génération d'écrivains polonais. Discussion autour du polar, de la Pologne et de sa morosité.
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On connaissait déjà, grâce à Henning Mankell et autres Stieg Larsson les facettes les plus sombres de la société suédoise et grâce à Jussi Adler-Olsen les plus inavouables du Danemark. C'est maintenant au tour de la catholique Pologne de passer sous le bistouri aiguisé du polar. À l'occasion de la sortie québécoise de La rage, dernier volet de sa trilogie mettant en vedette le procureur Teodore Szacki, nous avons rencontré Zygmunt Miloszewski auteur emblématique de la jeune génération d'écrivains polonais. Discussion autour du polar, de la Pologne et de sa morosité.

« La Pologne n'est pas aussi triste que dans mes livres. Mais nous sommes dans un polar et dans le polar ont doit mettre l'accent sur une ambiance un peu plus glauque. J'exploite donc au maximum ce visage de la Pologne, mais elle n'est pas aussi sombre même si je le reconnais que nous sommes très pessimistes et que nous aimons nous plaindre » souligne d'entrée de jeu l'ancien journaliste spécialisé dans les affaires criminelles. « Vous savez Montréal est une ville beaucoup plus au sud que les villes polonaises. Comme nous sommes plus au nord, les journées sont très courtes en hiver et le ciel plus gris, moins ensoleillé que celui de Montréal. Les hivers sont plus dépressifs, plus déprimants et paraissent interminables», des caractéristiques communes aux pays scandinaves. « Je me rappelle ce journaliste français qui était venu en Pologne pour retrouver l'atmosphère de mes romans. Comme il est arrivé en automne il a été très déçu, parce que les journées étaient ensoleillées, chaudes, les gens étaient heureux. Il ne faut pas croire que le pays est à l'image de mes romans » précise l'auteur qui souligne que sa Pologne sombre sert l'image qu'il développe, celle d'une société hantée par de terrifiants secrets enfouis au plus profond de son âme dont l'influence reste palpable dans son quotidien.

La rage, comme le reste de sa trilogie, fait partie de ces grands romans qui sous le vernis de l'enquête policière invite sa société sur le divan de la psychanalyse, disséquant ses aspects les plus obscurs et les plus sensibles.

Polar, certes, mais surtout portrait saisissant de la Pologne contemporaine, La rage, comme le reste de sa trilogie, fait partie de ces grands romans qui sous le vernis de l'enquête policière invite sa société sur le divan de la psychanalyse, disséquant ses aspects les plus obscurs et les plus sensibles : Les relations troubles entre la gauche communiste polonaise et l'ancienne Union soviétique dans Les Impliqués, l'antisémitisme dans Un fond de vérité et le sexisme et la violence envers les femmes dans son dernier opus, sujets sensibles, plus insidieux, cachés et ancrés dans la tradition polonaise. « Parler de la violence envers les femmes et de sexisme semble plus difficile dans les nations catholiques, parce que traditionnellement il y a une notion de secret dans le catholicisme. Tout ce qui se passe derrière les portes closes, » et la famille est l'illustration parfaite de ces portes closes, « doit rester derrière elles. Or la Pologne est une société catholique et masculine et les hommes ont tendance à être machos et à faire de la discrimination. Si une femme fait une plainte pour une agression ou un viol, la première question que pose la police concerne ses vêtements. Ça ne se passerait pas comme ça avec un homme. Les autorités donnent des conseils aux femmes, par exemple, de ne pas être à l'extérieur la nuit, ne pas s'habiller de façon « provocante », ce qu'elles ne font jamais aux hommes. La violence envers les femmes et le sexisme sont très présents dans notre société et c'est un enjeu majeur. Les hommes ont la responsabilité de faire changer la situation », plaide avec passion la mauvaise conscience de la Pologne.

Son discours dérange les pouvoirs publics, du moins si on se fie au qualificatif d'anti-Polonais dont l'ont affublé certains politiciens et¸à son inscription officielle sur la liste noire des organismes d'État qui subventionnent les créateurs. « La Pologne a pris ces dernières années un virage vers la droite conservatrice » comme beaucoup d'autres pays occidentaux. « En analysant nos turpitudes, je ne souscris pas au discours officiel qui encense la grandeur et la perfection de la Pologne et de ses habitants. Ce n'est pas vrai, nous ne sommes pas parfaits, aucun pays ne l'est, nous avons beaucoup de zones d'ombre, nous avons fait beaucoup d'erreurs et nous devons être capables d'en parler. Si nous voulons être fiers de notre société, il faut en discuter pour ne plus les reproduire. Mais mon attitude n'est pas appréciée avec le résultat que je fais partie du cercle des artistes que l'état ne doit pas et ne veut pas aider financièrement », ajoute l'écrivain, qui peut toutefois compter sur le succès populaire de ses romans chez lui et à l'étranger puisque ses histoires sont publiées dans 15 pays et cartonnent dans plusieurs d'entre eux dont la France où ils ont reçu le prestigieux prix de la SNCF Polar et le Grand Prix des lectrices du Elle.

Fabuleux roman de société, à l'écriture mature et dynamique - « la version française est beaucoup plus intéressante que la Polonaise » soutient l'auteur - sur fond d'enquête policière, la trilogie « ellroyesque » de Miloszewski est une infernale descente dans les entrailles d'une Pologne, déchirée entre tradition et modernité, aux prises avec ses fantômes hérités du tragique passé d'un petit territoire coincé entre des empires à l'appétit territorial insatiable, constamment victime des vents violents de l'Histoire. Une trilogie coup de poing qu'on dévore littéralement, une très grande réussite.

Qui a dit qu'à l'est il n'y avait rien de nouveau?

Sygmunt Miloszewski, Les Impliqués. Pocket.

Sygmunt Miloszewski, Un fond de vérité, Pocket.

Sygmunt Miloszewski, La rage, Fleuve noir.

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Mai 2017

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