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Avec émotion et nuance, Sattouf traduit les angoisses de ce gamin perdu dans un monde qui rejette ses différences, entouré d'une mère dépassée par les événements et d'un père déraciné.
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Avec le succès en salle de 1987, les idoles des 50 dernières années qui n'en finissent plus de revenir, la nostalgie à la cote. Mais cette nostalgie bienheureuse, réconfortante et sympathique ne laisse pas beaucoup de place aux souvenirs moins heureux, comme si avec le temps nous gommions de notre mémoire sélective les moments plus difficiles. Pourtant la nostalgie peut aussi être douce-amère, elle peut être comme la vie, faite de rires, de pleurs, de joies et de tristesse et même de moments de calme plat, presque ennuyants, comme une journée de pluie dans une chambre d'un hôtel anonyme dans une ville perdue avec comme seul compagnon une vieille rediffusion de Beethoven 2 . Quand la nostalgie prend cette teinte à la fois comique, à la fois tragique, quand elle se débarrasse de ce passé mythifié, elle peut devenir grandiose. C'est le cas des deux bédés au cœur de cette chronique.

Souvenirs d'une autre civilisation

Riad Sattouf est né d'une mère bretonne et d'un père syrien. En 1978 quelques mois après sa naissance, le jeune Riad, sa mère et son père nouvellement docteur en histoire quittent la France pour la Libye où le paternel vient d'accepter un poste de professeur. Obsédé par le panarabisme, la politique et le culte de la personnalité, Abdel-Razak Sattouf n'a qu'une idée; que son fils devienne un Arabe moderne et éduqué, un Arabe du futur.

Premier d'une série de trois tomes, cette nouvelle bédé du lauréat du César du meilleur premier film pour Les beaux gosses est un coup de poing, une œuvre poignante où les émotions transcendent chaque case, chaque planche, chaque page. L'Arabe du futur mélange habilement la joie, la tristesse, l'inquiétude, les malaises et l'incompréhension. À des années-lumière de la nostalgie proposée par Ricardo Troggi, la BD de Satouff nous entraîne dans un monde inconnu, déstabilisant, loin, tellement loin de notre réalité nord-américaine, occidentale et scolarisée.

On savait Sattouf talentueux, on connaissait son sens de l'observation, ses Pauvres aventures de Jéremie avaient prouvé plus d'une fois sa grande intelligence et sa facilité à traduire en images nos comportements. Mais il faut bien avouer qu'encore une fois il réussit à nous surprendre. À travers son exploration du désarroi d'un enfant déchiré entre deux cultures, la française et l'arabe, tiraillé entre deux mondes opposés, c'est le drame de l'apatride, du déraciné, de celui qui n'a pas de maison qu'il expose devant nous.

Si les anecdotes du séjour en Libye « khadafienne » font sourire, celles tirées de la Syrie d'Hafez Al-Assad, le père de l'actuel dictateur, sont beaucoup plus dramatiques, plus tragiques plus angoissantes. La haine des juifs et des Américains, la pauvreté, les pénuries récurrentes, la sous scolarisation, les pathétiques perspectives d'avenir et la violence des jeunes envers ce petit Riad aux cheveux blonds déstabilisent, choquent et sont en totale rupture avec cette image noble et romantique héritée de l'orientalisme et du mysticisme de T. E. Lawrence.

Avec émotion et nuance, Sattouf traduit les angoisses de ce gamin perdu dans un monde qui rejette ses différences, entouré d'une mère dépassée par les événements et d'un père déraciné, impuissant, pris à cheval entre la modernité et la tradition, trahi par les siens, mais fortement attaché à ses racines qui pourtant le rejettent.

Une œuvre magistrale, dérangeante, une bédé marquante, mon coup de cœur de l'année, j'ai déjà hâte de lire la suite.

Souvenirs de la Grande Guerre

Il y a quelques semaines plusieurs chefs d'État se sont réunis pour commémorer en grande pompe le 100e anniversaire du déclenchement de la première grande boucherie mondiale. À force d'être réduites aux images des productions hollywoodiennes, les guerres sont devenues des cartes postales, des parties de plaisir où la mort, la privation, le froid, la souffrance, la faim, l'insalubrité sont absents ou... désincarnés.

C'est pourquoi quand une œuvre, même imparfaite, situe la guerre dans son contexte social elle prend une valeur ajoutée. C'est le cas de Finnele, d'Anne Teuf.

Finnele Koerhlen est une jeune Alsacienne qui à huit ans lorsque la guerre éclate. Entre les tensions entre les pro-Allemagne et les pro-France, la présence inquiétante du front, à quelques lieux de son village et les privations, Finnele doit vivre même si son quotidien n'a plus la quiétude d'avant.

À partir des souvenirs de sa grand-mère, l'auteure décrit la guerre dans le contexte de l'Alsace, déchirée depuis toujours entre la France et l'Allemagne. Avec sensibilité, Anne Teuf nous fait découvrir cette réalité, grâce à une série de courts instants de vie où l'humour se marie au drame, au désespoir et à la vie ordinaire.

Une tranche de vie qui donne un visage plus humain à la guerre où il n'est pas question d'exploits héroïques, mais du courage ordinaire, celui de ceux qui se retrouvent malgré eux au centre des prétentions territoriales des autres.

Finnele, qui n'est pas exempt de défauts, mérite le détour. Et tout au long de la lecture, j'ai pensé à ce Soldat oublié, témoignage de Guy Sajer, publié jadis au Livre de Poche, qui s'attardait aux jeunes hommes nés d'une union dont un des parents était de nationalité française et l'autre allemande, incorporés souvent de force dans l'armée allemande.

Une BD à lire pour découvrir une réalité méconnue.

Riad Sattouf, L'Arabe du futur, une jeunesse au Moyen¬-Orient (1978-1987), Allary Éditions;

Anne Teuf, Finnele : Le front d'Alsace, Delcourt.

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