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Le retour de l'Iroquois: la fin de l'exil

En choisissant de suivre les péripéties de l'Iroquois, le bédéiste Louis Rémillard donne la parole à celui qui a été expulsé de notre Histoire, plus axée sur la vision des Français et de leurs alliés.
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Le western est un fabuleux décor pour mettre en place de puissantes tragédies qui explorent les tréfonds de l'âme humaine. Comme si les paysages démesurés, vides et baignés d'un angoissant silence amplifiaient notre solitude, nos plus sombres et nos plus lumineux desseins. Curieusement si la bande dessinée a beaucoup abordé l'Ouest américain, elle a peu visité l'Amérique du Nord britannique et encore moins la Nouvelle-France. Pourtant le 375e anniversaire de Montréal pourrait être un prétexte fabuleux pour raconter des westerns «made in Québec.»

Le retour de l'Autre

Louis Rémillard, lui, n'a pas attendu ces célébrations pour explorer les sentiers du western québécois et ses pérégrinations sont présentées dans son excellent Retour de l'Iroquois.

21 mai 1644, l'Iroquois Tokhrahenehiaron, détenu depuis un an par les troupes du gouverneur de la Nouvelle-France, Charles Jacques Huault de Montmagny, est libéré. Onontio, comme le surnomme les Amérindiens, lui a confié une mission capitale: transmettre aux terrifiants Iroquois une offre d'échange de prisonniers, prélude à des négociations pour un possible traité de paix.

En canot, avec ses provisions, ses armes traditionnelles et son collier de wampum, qui représente les Français et les Iroquois unis à l'arbre de la paix, Tokh emprunte le chemin qui marche, le fleuve Saint-Laurent, pour rejoindre son peuple qui habite le village d'Ossernonon sur la rivière Mohawk. Une course contre la montre - il a deux mois pour transmettre l'offre - et un long et périlleux voyage à travers un pays grandiose, sauvage, peu habité, mais plein de dangers, dont les plus terribles proviennent des humains qui y habitent.

Pionner de la bande dessinée québécoise - le général Tidéchet c'est lui - Louis Rémillard n'a pas beaucoup produit ces dernières années, son dernier bouquin date de 2010. À la lecture de son Retour de l'Iroquois on ne peut que regretter cette absence aussi longue. Peut-être que ces 6 années de silence lui étaient nécessaires pour bien comprendre l'âme de cet Iroquois qui retourne dans son pays après une année de captivité chez l'ennemi? Je ne sais pas, mais il certain qu'avec son trait économe et assuré le bédéiste nous fait ressentir avec justesse la solitude et l'urgence de cette traversée à travers les immenses forêts et les décors vertigineux de la Neuve-France et des colonies britanniques frontalières, avec comme seul compagnon les bruits de l'environnement et ses réflexions sur les Français, sa culture, son peuple et la possible paix.

En choisissant de suivre les péripéties de l'Iroquois, le bédéiste donne la parole à celui qui a été expulsé de notre Histoire, plus axée sur la vision des Français et de leurs alliés. Mais au-delà de ce retour de l'autre dans notre imaginaire, Rémillard humanise celui qu'on a longtemps présenté comme un monstre sanguinaire sans foi ni loi, sans toutefois tomber dans un angélisme de bon aloi si souvent présent dans les westerns rousseauistes - les bons autochtones contre les méchants envahisseurs blancs - depuis les années 70. Il n'est pas question ici de bons ou de méchants, d'anges ou de démons, mais d'humains qui luttent et qui sont prêts à tout pour préserver leur culture, leur société, leur territoire et leur zone d'influence politique et économique, qu'ils se nomment Algonquins, Hurons, Français ou Iroquois.

Ne serait-ce que pour ce regard, le Retour de l'Iroquois doit être lu. Mais il existe tellement d'autres raisons de le lire que vous ne pouvez pas vous tromper. Alors acceptez son invitation et à votre tour pagayez avec Tokh dans son long et dangereux retour vers la maison.

Le départ de l'autre

Texas 1872, Oscar Forrest photographe irlandais qui fuit un passé sulfureux, Milton un jeune orphelin doté d'une ouïe exceptionnelle et de la capacité de parler aux chevaux et Stingley, rigide géologue pénètrent en territoire comanche pour y faire un recensement pour le compte d'une mystérieuse société privée américaine. Rapidement les trois hommes auront à lutter contre eux et contre les démons et les secrets que chaque membre du trio a enfouis dans les tréfonds de son âme.

Si Louis Remillard a exploité avec brio les forêts de Nouvelle-France dans son Retour de l'Iroquois, Frédérik Peeters et Loo Hui Phang, eux, campent leur Odeur des garçons affamés dans un décor plus familier pour les amateurs de westerns, les territoires arides et désertiques du Texas, avec ses imposants canyons isolés, sa chaleur et son implacable soleil.

Si l'environnement est classique et fixé depuis longtemps dans notre imaginaire, l'album, lui, est loin, très loin d'être classique. Au contraire L'odeur des garçons affamés est un fabuleux témoignage symbolique, au parfum «carlos castanadien», des derniers moments d'un monde qui s'engage sur la voie de son inexorable disparition. À travers les secrets, les fuites et les espoirs individuels du trio, ce sont les graines et les promesses d'un nouveau monde qui sont semées sur la terre aride de ces Comanches condamnés à rejoindre les fantômes des civilisations disparues.

Une œuvre surprenante, déstabilisante, mais riche en interprétations symboliques.

On connait enfin les finalistes pour le prochain prix ACBD de la meilleure bande dessinée québécoise. L'irrésistible Whitehorse de Samuel Cantin (Pow-Pow), le séduisant La femme aux cartes postales de Jean-Paul Eid et Claude Paiement (La Pastèque) et le surprenant La demoiselle en blanc de Dominick Parenteau-Lebeuf et Éléonore Goldberg (Mécanique Générale) sont les œuvres retenues. Le gagnant sera connu le 18 novembre 2016. Les paris sont ouverts. L'ACBD compte 85 journalistes et critiques qui parlent régulièrement de bd dans les médias francophones européens et québécois.

Louis Rémillard,Le retour de l'Iroquois.Éditions Trip.

Frederik Peeters. Loo Hui Phang, L'odeur des garçons affamés, Casterman.

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