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Macaroni: le goût amer de la terre promise

Avec sensibilité, respect, authenticité, émotion et justesse, Thomas Campi et Vincent Zabus mettent en scène, comme s'ils l'avaient vécu eux-mêmes, cette immigration ordinaire, pas de celles qui pourraient faire l'objet d'un film ou d'un grand roman social, mais de celles tellement banales quelles pourraient être celles d'un voisin, d'un ami ou d'un parent.
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Quand je parle de mon enfance, je pense souvent à mon grand-père Grenier. Pas vraiment parce qu'il m'écoutait, qu'il était attentif à mes besoins ou que nous étions complices, à vrai dire je n'ai pas beaucoup de souvenirs de lui. Pourtant mon grand-père m'a profondément influencé parce qu'il me permettait, quand j'étais en visite chez lui, dans son petit logement défraichi qui n'existe plus de la rue Champlain de feuilleter les traductions Héritage des super-héros Marvel qu'il possédait, les premiers pas de ma passion pour le 9e art. C'est peut-être cette transmission involontaire d'une passion qui explique pourquoi les rencontres entre grands-pères et petits-fils qui se découvrent et s'apprivoisent au rythme des silences et des non-dits pleins de tendresse et de pudeur me font toujours vibrer.

Au nord c'était les corons

Roméo est un jeune Belge d'origine italienne. Situation familiale oblige, ses parents sont sur le point de divorcer, Roméo est confié pour une semaine à son grand-père paternel Ottavio qui habite Charleroix. Un grand-père qu'il connaît à peine, vieux, usé par ses années à la mine, silencieux, qui partage sa vie entre son cochon Mussolini et son potager, dans un coron sans télé et sans voisin, ça fait des années qu'il ne parle plus au voisinage. Pour un garçon à l'aube de l'adolescence, ce séjour forcé chez ce grand-père maussade, chiant et enfermé dans le silence de ses souvenirs est loin de soulever l'enthousiasme. Mais par chance sa rencontre avec Lucie, une voisine de son âge, lui permettra de découvrir une autre facette de ce grand-père fils d'Italie.

Certaines bandes dessinées s'imposent doucement dans notre mémoire, sans coup d'éclat, sans flafla comme la représentation d'un petit moment de bonheur et de plénitude, un coucher de soleil sur un lac placide au cœur d'une forêt bienveillante. Macaroni en est une.

À travers les fragments de confidences et les silences lourds de sens d'Ottavio, Roméo découvre cette immigration italienne de l'après-guerre. Soudainement son grand-père, jusque là insupportable devient la personnification de ces Italiens de la misère extrême, enrôlés dans les armées «mussoliniennes», fuyant la pauvreté de l'Italie libérée pour devenir mineurs, maçons, journaliers en France, aux États-Unis, au Canada et en Belgique, maîtrisant mal le français et l'anglais, se mutilant pour payer des soins de santé à leurs familles, condamnés à une vie de privations et de sacrifices pour offrir à leurs enfants un avenir plus radieux que le leur.

Avec sensibilité, respect, authenticité, émotion et justesse, Thomas Campi et Vincent Zabus mettent en scène, comme s'ils l'avaient vécu eux-mêmes, cette immigration ordinaire, pas de celles qui pourraient faire l'objet d'un film ou d'un grand roman social, mais de celles tellement banales quelles pourraient être celles d'un voisin, d'un ami ou d'un parent.

Il y a des moments, quand on lit Macaroni par exemple, où on se sent privilégié d'être critique de bande dessinée.

Les dérives de la bureaucratie

Réputé difficilement adaptable l'œuvre de Kafka est un défi de taille pour les créateurs que ce soit au cinéma ou en bande dessinée. Pourtant les écrits de Kafka, grand créateur d'ambiances où le cynisme côtoie l'humour noir et la critique des dérives des bureaucraties froides et déshumanisées est un terreau séduisant et inspirant pour les auteurs... de bédés du moins. On n'a qu'à penser au Château d'Olivier Deprez, (Frémok) à La métamorphose de Peter Kuper (Rackham), celle signée Corbeyran et Horne (Delcourt) ou encore aux géniales aventures de Julius Corentin Acquefacques de Marc-Antoine Mathieu (Delcourt). Alors il était naturel que son œuvre phare le Procès séduise un jour des bédéistes comme Céka et Clod.

On connait l'histoire. Joseph K, jeune banquier, découvre à son réveil deux policiers venus lui signifier son arrestation. Le hic c'est que personne n'est capable de lui expliquer les faits qui lui sont reprochés. Des questions sans réponses qui ne l'empêchent pourtant pas d'organiser sa défense et de s'attaquer à un appareil juridique digne de la maison des fous des douze travaux d'Astérix.

Il y a quelque chose de dramatique dans l'histoire de Kafka, de dramatique certes mais aussi, et on a tendance à le sous-estimer, d'humoristique. Le procès c'est une danse où le drame et la comédie s'enlacent dans une valse hésitation au grand dam de Joseph K. Et c'est justement cette étrange relation entre comédie et tragédie qui est au cœur de l'adaptation bédé. Un choix très audacieux puisque les auteurs auraient pu miser comme plusieurs l'ont fait avant, sur le drame de K, victime d'un appareil étatique insensible. Mais en ne misant que sur cette facette, les auteurs n'auraient pas véritablement rendu justice à l'intelligence et à la richesse du récit de Kafka où l'irrésistible humour désespéré, cynique, pessimiste et fataliste décuple l'angoissant et révoltant parcours du combattant de K devant le monstre bureaucratique étatique.

Certains critiques ont reproché aux auteurs cette hésitation entre les deux visages du Procès, déplorant au passage le sacrifice de l'efficacité du récit au profit de l'humour, transformant ainsi le roman inachevé en une farce farfelue, gentillette, sans grand danger et sans implications sociales. Pourtant c'est justement cette fusion entre l'humour et le drame qui m'a plu dès la première page. Ça et les nombreuses références graphiques au cubisme, à l'expressionnisme allemand et à l'illustrateur britannique Gerald Scarfe, le Scarfe du mythique album de Pink Floyd The Wall lui-même en partie «kafkaesque.»

Une belle surprise.

Thomas Campi, Vincent Zabus, Macaroni, Dupuis.

Céka, Clod, d'après l'œuvre de Kafka. Le procès, Akileos.

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