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Retour sur les années Pilote (à fredonner sur l'air desde Michel Fugain.)
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Les années 60 n'en finissent plus de nourrir notre imaginaire, nos phantasmes ou la haine viscérale que certains portent aux « boomers.» Mais qu'elles furent géniales, enthousiastes, naïves, porteuses d'espoir ou qu'elles symbolisent tout ce que la génération X déteste, les « sixties » restent une décennie qui a bouleversé nos conceptions culturelles. Si la musique populaire, le cinéma, la poésie et même le roman se sont redéfinis durant cette décennie et la suivante, que dire de la bande dessinée francophone qui a littéralement explosé passant d'un statut méprisant de paralittérature pour enfants et adolescents boutonneux à celui de littérature pour adultes. Au cœur de ce bouleversement un homme et un magazine, René Goscinny et Pilote . À l'occasion de la sortie de l'excellentRévolution Pilote 1968-1972nous avons rejoint le journaliste et scénariste Éric Aeschimann. Retour sur les années Pilote (à fredonner sur l'air des années guitares de Michel Fugain.)

« J'avais envie d'y consacrer un livre depuis très longtemps. C'est un moment clé dans l'histoire de la bande dessinée, un moment qui est lié aux changements sociaux et politiques de l'époque. Et ce n'est pas par hasard si ce changement se cristallise dans le contexte de l'effervescence étudiante et politique de mai-juin 1968 » explique-t-il.

Le changement est certes important pour ce magazine et beaucoup plus audacieux qu'on pourrait le penser aujourd'hui. De magazine très populaire auprès des adolescents, Pilote s'ouvrait aux bandes dessinées plus politiques, plus sociales, plus personnelles et plus adultes. « Jean-Michel Charlier, un de ses rédacteurs en chef, affirmait que c'était ce qui avait tué la revue. Il avait des mots sévères pour ces dessinateurs qui réclamaient plus de liberté, y compris pour son dessinateur fétiche Jean Giraud. »

Pourtant malgré le jugement négatif du père de Blueberry les premières années de sa nouvelle mouture semblent donner raison à Goscinny. De bonnes ventes et un contenu qui satisfaisait autant le lectorat adolescent qu'adulte encourage le génial scénariste à persévérer dans cette nouvelle voie. Toutefois à partir de 1974 les ventes chutent - peut-être « à cause de la fuite du lectorat adolescent qui s'y reconnaissait de moins en moins » s'interroge Aeschimann- à un point tel qu'en 1976 il devient un mensuel. « Pilote ne s'est jamais remis de cette révolution et commercialement ce fut un gros risque qui s'est mal terminé. »

Alors de là à dire que le vieil adage « la révolution mange ses enfants » s'applique aussi au cas Pilote, il n'y a qu'un pas que fait timidement Eric Aeschimann. « C'est tentant mais je nuancerais un peu. Je dirais plutôt qu'elle a mangé son père René Goscinny. C'est lui qui a permis cette libération et il en fut la principalement victime. »

Cette libération prend aussi des allures de parricide symbolique et culmine dans cette fameuse réunion de juin 1968, aux allures d'un procès stalinien, où le rédacteur en chef subit les accusations de plusieurs dessinateurs dont quelques-uns avec qui il n'avait jamais travaillé. « Un syndicat de dessinateurs qui avaient des problèmes de sécurité sociale convoqua les différents éditeurs de journaux à une réunion. Seul Goscinny s'y présenta. Rapidement ça s'est transformé en procès contre Goscinny et sa gestion. C'était injuste mais ça se déroulait dans un contexte où tout le monde voulait tuer l'autorité, le patron, le père » et le rédacteur en chef. « Le plus ironique c'est qu'il n'était pas un père sévère et intransigeant au contraire c'était un père libérateur, bienveillant qui permettrait beaucoup de liberté. »

Les attaques des bédéistes furent très mal encaissées par le père d'Astérix qui ressortira de l'exercice meurtri, beaucoup plus distant envers les dessinateurs, comme s'ils avaient brisé quelque chose dans sa personnalité. Et si à l'époque les dessinateurs justifiaient sans problèmes leur attitude envers Goscinny, avec le temps ils sont devenus beaucoup plus nuancés comme le démontrent avec éloquence les interviews d'Aeschimann. « Certains ont d'énormes regrets, Giraud par exemple, quand ils reviennent sur le traitement qu'ils lui ont réservé. D'ailleurs quand on regarde les entrevues qu'ils ont données pour des fanzines dans les années 70, ils sont tous revenus sur cette fameuse réunion de juin 1968 qu'ils qualifient d'erreur collective. »

C'est toute cette époque qu'Éric Aeschimann raconte à travers la voix de ces bédéistes qu'ils se nomment : Gotlib, Fred, Druillet, Brétecher, Mandryka ou encore Giraud . Superbement mis en image par Nicoby - « Il faut rendre hommage à Nicoby qui a su traduire avec brio l'ambiance graphique de ces entrevues avec ces créateurs. » - La Révolution Pilote est

une réjouissante rencontre intergénérationnelle entre deux auteurs influencés à leur façon par cette révolution qui à permis au 9e art d'acquérir une nouvelle créativité, une nouvelle liberté sans pour autant renier ses origines populaires. « Parce qu'on l'oublie souvent mais Pilote accueillait les deux visions de la bande dessinée, la populaire et l'expérimentale. Or, au lieu de s'affronter ou de s'ignorer comme dans les autres secteurs de la culture, elles cohabitaient et collaboraient ensemble dans les pages du magazine. Et cette rencontre entre le populaire et l'expérimentation, l'avant-garde et la recherche est le plus bel héritage de Pilote. »

Bonne nouvelle dans le milieu de la bande dessinée québécoise, les éditions Mém9ire viennent tout juste de lancer Sentinelle une revue qui se donne pour mission d'analyser la bande dessinée. Avec son équipe de collaborateurs chevronnés Jean Dominique Leduc propose un produit culturel très intéressant qui captivera tous les amateurs autant les amateurs de bédés, qu'ils soient connaisseurs ou néophytes..

Aeschimann, Nicoby, La Révolution Pilote 1968-1972,Dargaud.

Sentinelle numéro 1, mém9ire.

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