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Joël Alessandra: le retour du petit-fils de l'exil

Qui sommes-nous? D'où venons-nous? Éternelles questions qui alimentent depuis toujours l'âme humaine.
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Qui sommes-nous? D'où venons-nous? Éternelles questions qui alimentent depuis toujours l'âme humaine. Et malgré les chantres de la mondialisation et les apôtres de l'identité individuelle - le fameux «je me suis fait moi-même» - l'identité collective continue de nous marquer. Quand cette identité devient imprécise, la quête identitaire s'impose pour nous définir, certes, mais aussi pour nous comprendre, parce qu'en bout de piste y a-t-il des sujets plus essentiels que cette recherche d'identité? Oui, il y a toujours les prédictions sur la prochaine coupe Stanley du Canadien mais comme disait Tolkien «ceci est une autre histoire.»

Joël Alessandra sur les traces des Pieds-Noirs

Bédéiste talentueux Joël Alessandra est invité en 2013 par l'Institut français de Constantine. Le prétexte est trop beau pour ce petit-fils de Pieds-Noirs, ces Français de souche européenne originaires du Maghreb et installés sur ces territoires jusqu'à leur indépendance, pour enfin trouver des réponses aux questions qui le hantent depuis sa jeunesse dans les années 1970: est-ce que ses parents et ses grands-parents étaient les racistes, les profiteurs, voire les fascistes forts en gueule que la rumeur populaire de ces années post Mai 68 laissait entendre?

Rapidement pour le dessinateur, ce voyage dans Constantine, cette ville de 500 000 habitants du nord-est algérien où a vécu sa famille jusqu'à l'indépendance, se transforme en une expédition archéologique, une randonnée à la découverte de ces apatrides, éternels déracinés, rapatriés dans une France inconnue qui ne les désire pas, rejetés par une Algérie idéalisée qui ne les reconnaît plus.

À partir de fragments de conversations, de photos, d'impressions de voyages et de croquis, Alessandra nous guide dans cette quête identitaire, dans cette restitution d'une histoire et d'un passé que les pères de la république algérienne, dans leur désir de créer d'urgence cette autre identité, l'algérienne, ont confisqué à ces Français d'Algérie. Comme s'il était impossible de la concilier avec la française, comme s'il était impossible d'aimer et de se réclamer à la fois de l'Algérie et de la France.

Avec sa grande sensibilité et ses merveilleuses aquarelles teintées de mélancolie, Alessandra nous fait vivre ces émouvantes retrouvailles avec cette histoire et cette culture méconnues qui, malgré tout, ont façonné sa personnalité. Pleines d'émotions, ce Petit-fils d'Algérie est une œuvre troublante et attachante, le retour d'un petit-fils d'apatrides dans ses terres natales, une réconciliation avec son passé, son histoire et ses grands-parents, dont l'histoire officielle française tente depuis toujours d'occulter comme une tache témoignant d'une page moins glorieuse de la France qu'on doit absolument cacher.

Un œuvre surprenante, émouvante, sensible, pleine de larmes, de rires et de bonheurs qui redonne vie l'espace d'un instant à ces Français d'Algérie, ni tout à fait Français, ni tout à fait Algériens, mais résolument et contre vents et marées Français et Algérien.

Riad Sattouf, une jeunesse au Moyen-Orient

Si Alessandra évoque avec sensibilité l'exil français de ses grands parents, que dire du deuxième tome de L'Arabe du futur de Riad Sattouf. Si le premier tome s'était imposé comme une des meilleures bandes dessinées de l'année dernière, on peut déjà d'ores et déjà dire que ce nouvel opus va s'imposer, lui aussi, dans la liste des productions phares de 2015.

Dans ce second tome Sattouf reprend là où il avait laissé, avec la même verve et la même tendresse qui nous avaient tant séduit dans le précédent album. Le jeune Sattouf, qui habite un village perdu près de Homs, est maintenant âgé de 7 ans.

Sept ans, c'est aussi l'âge de l'école et le jeune garçon doit faire sa rentrée scolaire dans une société sous la coupe d'un Hafez Al-Assad, dictateur presque stalinien, adepte du culte de la personnalité, et coincée entre la tradition incontestable, immuable millénaire, garante de la cohésion sociale mais mal adaptée aux réalités du nouveau siècle qui pointe le bout du nez, et les promesses d'un futur déstabilisant qui tarde à se mettre en place. Déchiré entre ses racines françaises et syriennes, prisonnier de ce no man's land écartelé entre modernité et passé, le jeune Riad tente de faire sa place dans un monde qui ne tolère ni la jeunesse, ni la contestation et encore moins les remises en question.

Si cette difficile cohabitation entre deux identités et deux univers étaient déjà au cœur de la première partie, elle se retrouve encore au centre de ce nouveau volet, mais de façon plus dramatique. Certes, la séduisante surprise des premières pages de l'album précédent n'y est plus, mais même si les personnages sont déjà connus, le bédéiste réussit quand même a renouveler ce coup de foudre qu'il avait su si brillamment mettre en place dans son premier tome.

Dès les premiers dessins, la magie opère encore une fois et c'est avec un plaisir évident que nous renouons contact avec son univers, comme si nous retrouvions un vieux copain d'enfance que nous n'avions pas vu depuis des décennies.

Comme dans l'opus précédent, le bédéiste propose des scènes dignes d'anthologie, pleines de tendresse, d'émotions, mais aussi d'angoisse, qui traduisent avec justesse ces déchirements identitaires, qui nous font autant sourire que rire, réfléchir qu'effrayer - les journées scolaires sont particulièrement troublantes - sans pour autant verser dans une vision magnifiée ou démonisée du passé.

Avec la même sensibilité qui a toujours caractérisé son œuvre, Sattouf continue son exploration d'une jeunesse loin d'être bénie dans un arrière pays aussi dur et aride que ses habitants. Une œuvre remarquable

• Joël Alessandra, Petit-fils d'Algérie, Casterman

• Riad Sattouf, L'Arabe du futur 2. Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985), Allary Éditions.

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