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En ces bois profonds : l'horreur au fond de la forêt

À l'occasion de la sortie de ce qui risque de devenir le thriller fantastique de l'été, nous avons rencontré l'auteur, François Lévesque.
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Prenez une forêt sombre et menaçante dans un coin perdu de l'Abitibi, ajoutez-y un lac tellement inquiétant que depuis des temps immémoriaux les autochtones refusent d'occuper ses berges, une innommable créature lacustre millénaire dont la présence empoisonne la vie de la forêt, un chalet isolé où quelques années auparavant s'est déroulé le suicide collectif d'une secte Nouvel Âge et le retour en ces lieux de la seule survivante et de sa fille adolescente, née dans d'étranges circonstances, laissez mijoter à feu doux pendant quelques jours, mais en le haussant subtilement jour après jour, en brassant légèrement, mais régulièrement. Voici la recette infaillible pour faire un fabuleux thriller fantastique atmosphérique - à la The Witch l'excellent film de Robert Eggers - qui pourrait sortir de l'imagination fertile d'un des grands maîtres anglo-saxons de l'horreur. Eh bien oubliez toutes vos idées préconçues: cette stimulante proposition vient plutôt de la plume de François Lévesque dont le tout dernier roman En ces bois profond vient troubler la quiétude bienfaitrice de notre belle saison. À l'occasion de la sortie de ce qui risque de devenir le thriller fantastique de l'été, nous avons rencontré l'auteur. Discussion autour de l'écriture et de la littérature fantastique anglo-saxonne

Fournie

«J'ai toujours aimé cette littérature. J'ai grandi en lisant les maîtres du genre, Stephen King, Graham Masterton, dont le Manitou m'avait beaucoup marqué, Lovecraft et plusieurs de leurs influences» lance d'entrée de jeu le journaliste et critique cinéma au Devoir, qui, comme Patrick Sénécal, s'inscrit parfaitement, tout en gardant sa touche québécoise, dans la lignée de ces anglo-saxons qui ont imprégné les romans fantastiques américano-britanniques de la couleur, du souffle et de l'efficacité qui en ont fait le fer de lance de la planète fantastique.

Fournie

Mais à la différence de ces auteurs qui, à l'instar de King, ont souvent la mauvaise habitude de diluer leurs intrigues dans des briques de plus en plus volumineuses truffées de détails inutiles, François Lévesque, lui, mise sur un court roman - à peine 187 pages - d'une redoutable efficacité qui pourrait faire pâlir d'envie tous les Dirty Harry de ce monde. Les mots justes et précis, les courts paragraphes intenses et les phrases économes, presque minimalistes, mais toujours chargées d'anxiété font mouche à tout les coups et scotchent le lecteur sur son fauteuil. J'ai d'ailleurs raté la station de métro où je devais descendre en le lisant.

L'anecdote fait bien rigoler le natif de Senneterre, qui connaît bien, lui qui y a passé les étés de sa jeunesse, ces sinistres forêts sans fin. « Surtout la nuit quand tout devient noir et que la seule lumière provient des étoiles et de la lune. Non blague à part si vous avez raté votre station, j'en suis bien heureux, c'est que j'ai réussi à atteindre mon but. Je voulais que mon écriture capte l'intérêt du lecteur » et amplifie l'angoisse de cette forêt menaçante qui prend, grâce à cette judicieuse utilisation de mots, des paragraphes et des silences, la forme d'une musique obsédante aux résonnances des ritournelles inquiétantes Goblin et du Genesis de Watchers on the Skies et de The Knife.

Fournie

Une comparaison qu'apprécie visiblement l'auteur. « J'avais déjà commencé dans mon roman précédent, En attendant Russell, cette exploration, mais j'avais envie cette fois de la pousser plus loin, d'inclure une poésie, de jouer avec les structures grammaticales, d'en faire de la musique en travaillant notamment la ponctuation et la longueur des phrases» et sans ne jamais sacrifier le rythme de l'intrigue au profit d'une esbroufe de haute voltige, de descriptions dont nous aurions pu nous passer ou d'une surenchère de scènes violentes trop explicites et souvent gratuites.

Parce que si Lévesque est avare des mots il l'est tout autant de la violence et de l'horreur sanguinolente, nous laissant plutôt le loisir de les imaginer. « Comme critique de cinéma je considère qu'il y a deux écoles dans le film d'horreur, celle qui considère qu'on doit tout montrer et une autre qui préfère suggérer. Je fais partie de la deuxième école, celle qui suggère. Mais pour être honnête il y en a quand même une dans le roman, mais qui n'est pas gratuite, qui a un rôle à jouer.»

Le parti est audacieux, surtout dans une époque où on veut tout voir de façon presque chirurgicale, mais l'auteur le relève de brillante façon.

Le parti est audacieux, surtout dans une époque où on veut tout voir de façon presque chirurgicale, mais l'auteur le relève de brillante façon. En misant sur son intrigue solide et sans flafla, ses mélodies grammaticales nuancées et en subtiles demi-teintes et sa narratrice qui valse sur la mince frontière entre la réalité et le fantasme plausible, « je trouvais intéressant de me livrer à l'exercice d'un narrateur qui n'était pas fiable, qui se baladait entre ce qui est vrai et ce qui pourrait être de la fabulation,» le romancier insuffle le dynamisme et la crédibilité nécessaires pour nous garder constamment sur le qui-vive, nous faire adhérer à sa proposition et nous guider à travers les sinueux sentiers tourmentés de cette forêt et de la terreur qu'elle abrite.

Avec le résultat qu'une fois la dernière page tournée, les fantômes de ce cauchemar sylvestre continuent de hanter notre mémoire.

Un incontournable.

François Lévesque, En ces bois profonds, http://tetepremiere.com/.

Avril 2018

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