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Chabouté: la terreur blanche

Pas facile d'adapter un roman en bande dessinée.
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Pas facile d'adapter un roman en bande dessinée. Si le défi est colossal quand il s'agit d'une œuvre qui a laissé sa trace dans la mémoire collective, il devient presque insurmontable quand l'œuvre est devenue un film référence pour des générations. Un défi casse-gueule que certains bédéistes relèvent toutefois avec brio, nous proposant une vision à la fois personnelle et respectueuse. C'est le cas de Julie Rocheleau, d'Olivier Bocquet et de Chabouté.

Requiem pur une baleine blanche

« Thar she blows » hurle à pleins poumons, l'écume à la bouche, les yeux pleins de haine, l'inquiétant capitaine Achab à la vue de la monstrueuse ile blanche qui le nargue depuis des décennies. Une obsession qui hypnotise et empoisonne autant ses marins, prêts à mourir pour détruire la monstruosité blanche, que les lecteurs de cette impitoyable chasse à la baleine.

Tout comme Melville en 1851 et John Huston en 1956, Chabouté, un des bédéistes les plus talentueux de sa génération, part à la recherche de la plus célèbre baleine de l'histoire humaine : Moby Dick, plus connue que celle qui a avalé Jonas, Gepetto et Pinocchio, plus connue et beaucoup plus cruelle, assoiffée d'une vengeance insatiable.

Un prétexte parfait pour un drame démesuré aux personnages plus grands que nature et aux exploits mythiques. L'homme contre la monstrueuse baleine dans l'immensité solitaire de la mer, une indescriptible dernière confrontation entre deux ennemis mortels, sans fuite possible, une lutte à mort entre un cétacé et un homme en quête d'une rédemption lavée par le sang de l'autre.

Si le défi est grandiose, le résultat est à la hauteur du talent de Chabouté. Appuyé par son magnifique dessin en noir et blanc, le bédéiste capte avec justesse la fièvre meurtrière qui ronge Achab et son équipage. Le bédéiste se plonge dans l'âme tourmentée d'un capitaine qui plan après plan sombre dans un inquiétant délire psychotique.

Mais plus encore que cette descente aux enfers, c'est la mise en scène du vide presque mystique de la mer qui impressionne le plus. Le créateur transforme cette immensité à perte de vue en un théâtre d'angoisse, de peur et de terreur. Un enfer bleu, sans porte de sortie, où l'homme devient le jouet du plus imposant mammifère jamais vu.

Impressionnant.

C'est le plus grand des voleurs oui, mais ce n'est pas un gentleman

Si le Moby Dick de Chabouté est impressionnant, que dire du troisième et dernier tome de La colère de Fantômas. Tout comme Chabouté, qui a réussi à faire oublier l'Achab de Gregory Peck, le duo Bocquet et Rocheleau s'est complètement distancié des adaptations cinématographiques « sixties » du célèbre génie du crime.

Les deux bédéistes tracent un trait sur ce Fantômas signé André Hunebelle - aux accents « matthelmesque » pour ceux qui se rappelle de ce James Bond de pacotille personnifié par Dean Martin - qui a fini par s'imposer dans l'imaginaire collectif et occulter la véritable nature démoniaque d'un criminel qui ferait passer le Joker pour un enfant de chœur.

Exit cette image sympathique d'un criminel cabotin qui s'amuse aux dépens du commissaire Juve aussi grandiloquent qu'incompétent. Désormais sous la plume du duo Fantômas redécouvre son inquiétante mégalomanie, son imprévisible violence et sa terrifiante réputation qui à fait de lui le malfrat le plus craint du Paris de la Belle Époque.

Avec un plaisir évident, Bocquet se lance, comme le commissaire Juve, à la poursuite de l'ignoble personnage dont la cruauté n'a d'égale que sa psychose meurtrière. Le scénariste aménage de superbes moments de tension et de rebondissements, hérités des feuilletonistes du début du siècle dernier qui séduisent autant qu'ils fascinent. Le résultat est une irrésistible poursuite dans un Paris mystérieux, séduisant, angoissé et fasciné par ce monstre sans commune mesure.

Si le résultat est fabuleux, c'est que Bocquet peut compter sur le talent exceptionnel de Julie Rocheleau qui met en image de superbe façon les dérives de Fantômas. On la savait talentueuse, les deux premiers tomes de la série l'avaient prouvé., mais il y a quelque chose dans ce nouveau tome qui nous l'a fait découvrir sous un nouveau jour : une maîtrise exceptionnelle du mouvement, une indéniable efficacité, un implacable dynamisme et une séduisante poésie graphique. Rocheleau démontre ici l'étendue de son talent et laisse présager de très belles bandes dessinées pour les prochaines années.

Sous les plumes de Bocquet et de Rocheleau Fantômas redevient ce monument du crime qui terrorisait ce Paris insouciant du début du XXe siècle. Et qui sait peut-être que leur Fantômas s'imposera comme l'image officielle et que le duo fera enfin oublier les films mettant en vedette Jean Marais et Louis de Funès.

Chabouté, Moby Dick, Livre Second, Vents d'Ouest

Bocquet, Rocheleau, La colère de Fantômas, Tome 3: À tombeau ouvert, Dargaud.

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