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Bernard Werber: l'insomniaque qui aimait rêver

C'est dans le lobby du superbe Hotel 10, magnifique rencontre entre le passé et la modernité, que m'attendait Bernard Werber pour discuter science-fiction, journalisme scientifique et sommeil.
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C'est dans le lobby du superbe Hotel 10 de Montréal, magnifique rencontre entre le passé - c'est quand même le premier immeuble résidentiel Art nouveau du Canada - et la modernité, que m'attendait Bernard Werber, un des auteurs francophones les plus connus de la planète science-fiction, venu nous présenter Le sixième sommeil, son tout dernier roman. Un décor idéal pour discuter science-fiction, journalisme scientifique et sommeil.

«Je ne sais pas si je suis un auteur de science-fiction. Moi, j'aime bien utiliser le terme de "philosophie fiction". Dans mes romans, ce n'est pas la technologie qui pose des problèmes, mais notre état d'esprit. Une machine est un outil, elle n'est pas mauvaise en soi, tout dépend de la personne qui la manipule. Le marteau peut être utilisé pour construire une cabane ou fracasser un crâne. Ce n'est pas de la technologie dont il faut se méfier, mais de l'homme. La première révolution qu'on doit faire est une révolution dans notre tête», lance tout de go celui qui, dans son tout dernier-né, s'intéresse aux mystères entourant le sommeil.

Un sujet surprenant, mais qui s'explique peut-être par ses longues nuits sans sommeil. «Oui et non! Quand j'étais journaliste scientifique, j'avais fait un article sur les Senoïs, ce peuple de Malaisie qui passe beaucoup de temps à dormir et à commenter ses rêves. Je trouvais que leur concept de rêve lucide, c'est-à-dire prendre conscience à l'intérieur de son rêve que l'on rêve et pouvoir décider de ce qui va s'y passer, était un fabuleux théâtre pour un roman. Mais effectivement, au moment où j'ai eu l'idée du roman, je passais à travers un an d'insomnie. Alors j'ai décidé de joindre l'utile à l'agréable en étudiant les mécanismes du sommeil pour essayer de mieux dormir.»

Et ironiquement, le sommeil devient passionnant sous sa plume rythmée. Avec efficacité, il met en scène un «page turner» où amour, aventure, critique sociale côtoient des notions scientifiques plus arides, sans affecter ou ralentir l'irrésistible dynamisme du récit.

«Un romancier, c'est comme un cuisinier, et la qualité de son histoire dépend du dosage des ingrédients qu'il y met. Dans mes livres, il y a de l'amour, de l'aventure, des découvertes scientifiques et des éléments de pure connaissance plus arides, comme les cycles du sommeil et les ondes émises par le cerveau», qu'il amène progressivement et subtilement grâce à ses personnages. «J'étais quand même un journaliste scientifique, j'ai l'habitude de vulgariser pour le grand public des notions scientifiques. Mais attention, je suis aussi un romancier. Je n'ai pas d'autres prétentions que d'écrire une jolie histoire. Mon but, c'est que le lecteur apprenne quelque chose et en discute avec ses proches.»

Si ses intrigues reposent sur de véritables avancées scientifiques («90 % de véritable science et 10 % d'inventions»), ça ne l'empêche pas de proposer certaines théories plus audacieuses, comme celle du «Père de nos pères», où il émet l'hypothèse que l'humain pourrait être le résultat d'une rencontre entre un cochon et un primate. «L'être humain tolère mieux les greffes de porcs que celles de chimpanzés, pourtant nous avons plus de gènes similaires avec le chimpanzé qu'avec le porc. Quand j'ai écrit ce roman en 1995, j'essayais de comprendre pourquoi. Dix ans après la sortie du roman, les scientifiques reconnaissaient qu'il y a avait un chaînon manquant qui avait un lien avec le porc.»

Bernard Werber battrait donc la mesure et inspirerait la recherche? Pourquoi pas? Si l'affirmation peut sembler surprenante, elle n'est peut-être pas si loin de la vérité. «Je crois que c'est un des rôles de l'écrivain de science-fiction, C'est à lui de montrer que l'on peut aller chercher des explications plus loin que celles proposées par le monde du connu. Déjà dans Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne parlait d'écologie. Dans Le meilleur des mondes, Huxley parlait de génétique et de fécondation in vitro.» À ses deux exemples, nous serions tenté de rajouter Georges Orwell et son 1984, et Albert Robida qui, à la fin des années 1880, avait décrit les missiles robotisés, les gaz asphyxiants, la télévision (téléphonoscope), les chaînes d'informations à la CNN et le tourisme de masse. «La science-fiction a comme fonction de prévoir les problèmes et d'annoncer ce qui va se passer dans le moyen terme, ou, dans le cas de Dune de Frank Herbert et de Fondation d'Isaac Asimov, dans le très long terme.»

Un rôle qui sied à merveille à l'auteur qui, toutefois, n'a toujours pas réglé ses insomnies, même après avoir achevé son Sixième sommeil. «Je ne dors par forcément mieux, mais maintenant, quand je fais de l'insomnie, je suis moins inquiet, je suis plus serein. Je crois qu'il n'y a pas de remède à l'insomnie, mais il y a une façon différente de la vivre. C'est un changement de conscience qu'il nous faut, pas la découverte d'un nouveau somnifère sans effets secondaires. Nous ne serons pas sauvés par l'industrie pharmaceutique», conclut l'auteur de philosophie fiction et, pourquoi pas, prophète.

• Bernard Werber, Le sixième sommeil, Albin Michel.

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