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Kony 2012, ou comment soulager sa conscience

Je persiste à croire que ce n'est pas à grand coup de propagande et de formule de films bien réalisés que l'Afrique se libérera de conflits déchirants. Pour combattre un problème, il faut le nommer dans sa totalité. Il faut donc aussi nommer le rôle jouer par les pays occidentaux dans les dynamiques vécues par les sociétés civiles africaines. Refuser de faire ceci, c'est être complice d'une idéologie oppressante.
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AP

Au moment où j'écris ces lignes, des légions de gens ont déjà publié sur Twitter et Facebook un lien vers le film de l'organisation Invisible Children, Kony 2012.

Invisible Children semble être bien parti pour atteindre son objectif de propagande avec l'aide des médias sociaux.

Pour plusieurs personnes, c'est la première fois qu'elles entendront parler de ce qui se passe en Ouganda et les environs.

Bien que je sois pour l'arrestation de toute personne responsable de crimes et que je salue le travail de vulgarisation fait par l'équipe d'Invisible Children, j'ai un malaise qui perdure depuis que j'ai commencé à poser des questions au personnel de cette organisation, soit en 2009.

Trois ans plus tard, leur nouveau film chante le même refrain.

Ce malaise est donc revenu me hanter alors que je visionnais leur tout dernier film cette semaine.

Le film résume le parcours de trois jeunes cinéastes américains, Jason Russell, Bobby Bailey et Laren Poole qui prennent un billet d'avion en 2003 pour l'Afrique et tombent, une fois en Ouganda, par accident, sur des légions d'enfants qui sont considérés comme étant invisibles, vu les conditions dans lesquelles ils vivent.

Le but du film est d'inciter les sociétés civiles à aider l'organisation Invisible Children dans sa diffusion massive de toute information permettant de populariser le nom de Joseph Kony, leader de la Lord's Resistance Army (mouvement de soldats composés principalement d'enfants kidnappés) afin que ce dernier devienne une priorité pour les autorités internationales afin d'être arrêté.

Certes, le film expose une réalité qui nous dépasse et qui existe. Jason Russell, le réalisateur, capte notre attention dès le début, en nous introduisant graduellement dans l'imaginaire de son fils, Gavin, qui lui, tente de comprendre le monde dans lequel il vit, et plus particulièrement le rôle joué par son père.

Cependant, il y a lieu de se demander pourquoi les acteurs américains prennent plus de place que les élus africains dans le film. Est-ce une erreur de montage ou une stratégie de séduction d'une génération prise dans le «Century of self»?

En 2008, je visionnais sur internet le premier film d'Invisible Children. Sur le coup de l'émotion, j'ai pleuré pour Jacob, un enfant ougandais tentant de survivre, et écrit une chanson que j'ai envoyée à l'organisation.

En 2009, j'organisais, avec deux amis et une poignée d'artistes montréalais, un événement de sensibilisation de la population montréalaise à ce qui se passait en Ouganda. Deux bénévoles d'Invisible Children venaient nous présenter un autre de leur film portant sur leurs stratégies de capture de Joseh Kony.

Ainsi, lors de la période de questions, les jeunes membres bénévoles d'Invisible Children peinaient à nous expliquer d'où provenaient les armes utilisées par l'armée de Joseph Kony, tout en refusant de se prononcer sur la responsabilité de la communauté internationale et de l'administration américaine sur la situation en Ouganda.

C'est là que mon point de vue à commencer à changer.

Le message de Lisa Dougan, qui était à l'époque, Directrice régionale et coordonnatrice à la défense de droit pour l'organisation était clair: «Notre but n'est pas d'exposer un gouvernement, mais de sauver ces enfants».

Est-il honnête de croire qu'on peut résumer tout ce qui se passe en Ouganda, à un homme?

Est-ce à cause que la réalité est trop complexe qu'on tente de nous la mettre en boîte de conserve?

Si l'Afrique ne produit pas d'armes, d'où viennent les armes de l'armée de Joseph Kony?

Quels sont les autres acteurs internationaux qui tirent avantage du conflit qui sévit non seulement en Ouganda, mais aussi ailleurs en sol africain?

Les États-Unis ont besoin des troupes de l'Ouganda. Ça, Jason Russell ne le dit pas.

Après avoir entretenu des contacts avec l'organisation Invisible Children, je réalise:

-- l'impossibilité de la considération du contexte global qui cautionne les horreurs présentes en Ouganda.

-- l'impossibilité d'influencer la culture de l'organisation, très ethnocentrique dans son approche. «Nous avons la solution. Nous allons vous sauver. Nous ne faisons pas partie du problème.»

-- l'absence de dénonciation des dynamiques d'oppression favorisée par le silence de l'administration américaine, notamment la militarisation de l'Ouganda, prôné non seulement par Invisible Children, mais cadrant avec les objectifs de l'administration américaine.

-- qu'il n'y ait pas de raccourcis pour comprendre le conflit en Ouganda

Je persiste à croire que ce n'est pas à grand coup de propagande et de formule de films bien réalisés que l'Afrique se libérera de conflits déchirants. Pour combattre un problème, il faut le nommer dans sa totalité. Il faut donc aussi nommer le rôle jouer par les pays occidentaux dans les dynamiques vécues par les sociétés civiles africaines. Refuser de faire ceci, c'est être complice d'une idéologie oppressante.

Tant que nous n'arriverons pas à voir la transversalité dans ce qui se passe dans plusieurs régions du monde, nous serons toujours prisonniers d'une approche qui tentera de régler les conflits à la pièce.

Il faut arrêter de jouer au sauveur et se regarder dans le miroir. Quel est le rôle de la communauté internationale dans la fragilité du tissu social des sociétés civiles du continent africain?

Il est facile de soulager notre conscience en partageant Kony 2012, toutefois, le conflit est beaucoup plus complexe que la fable qu'on nous raconte. Il faut un peu plus de curiosité et l'audace de poser les questions qui s'imposent!

Allons-y pour #Stopkony2012

Voici quelques sources pour dépasser la fable:

http://africasacountry.com/2012/03/07/phony-2012-risible-children/

http://www.zcommunications.org/us-africa-command-looks-to-strengthen-role-in-region-by-john-t-bennett

http://pambazuka.org/en/category/features/72174

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