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Comment mon tour du monde s'est terminé dans une prison népalaise

J'étais parti pour un tour du monde au soleil mais on m'a mis à l'ombre. Moi qui voulais à tout prix éviter l'hiver, il m'a rattrapé.
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Lettre de remerciements.

J'étais parti pour un tour du monde au soleil mais on m'a mis à l'ombre. Moi qui voulais à tout prix éviter l'hiver, il m'a rattrapé.

Je suis allé à Moscou en stop, j'ai dormi dans le Transsibérien, j'ai gravi la Grande Muraille de Chine, navigué sur la baie d'Halong, visité les temples d'Angkor, le Taj Mahal, je suis passé à plus de 5 000 mètres d'altitude dans le Ladakh. Pendant cinq mois, j'ai vécu une aventure humaine incroyable.

Mais à vouloir suivre l'invincible soleil, je me suis semble-t-il brûlé les ailes.

Ma course folle s'est interrompue le 17 octobre dernier, lorsque la police des douanes népalaises m'a arrêté. J'étais venu payer un visa de quinze jours et on m'en a imposé un d'un an. Sans transition, je suis passé d'une liberté extrême à une taule obscure (d'abord trois semaines de détention provisoire, pas mal pour une première...) Puis j'ai été placé en détention à Bhairawa, tout près du lieu de naissance de Bouddha, pour détention de billets d'offrande bouddhistes... et pour la possession d'une somme de 160 dollars que je ne savais pas être des faux. Je me suis fait abuser lors de mon change à la frontière du Cambodge.

C'est moi qui ai été trompé. Ma volonté n'a pas été de tromper les Népalais en payant mon visa.

Bien entendu, je ne représente pas une menace pour l'ordre, la sécurité nationale. Je ne crois pas que les contribuables népalais aient besoin de payer des policiers pour surveiller un citoyen français pendant un an, surtout par les temps qui courent pour le peuple népalais. Non, si on m'a cloîtré avec des criminels, c'est avant tout pour me punir, me donner une leçon de morale: 2260 dollars d'amende (pour 160 faux dollars en ma possession) et un an de prison ferme.

J'étais venu voir Lumbini, Pokhara, l'Annapurna, peut-être le mont Everest. Arrêté à la frontière, je n'ai pu voir le Népal qu'au travers des barreaux, que depuis ses geôles, déjà trois en deux mois.

Le 16 décembre, j'ai été transféré de force, contre mon gré. Maman était venue me parler à la prison et on m'a menotté et emmené sous ses yeux, la laissant seule, en pleurs.

Ceci est l'exemple le plus criant des fois où mes droits ont été égratignés, voire bafoués. Je n'ai pas eu d'interprète ni pendant l'enquête de la police, ni pour le jugement au tribunal.

Dans la première prison, je m'étais lié d'amitié avec un détenu. Orphelin, sans éducation, il s'est construit tout seul en faisant le guide touristique. Incarcéré pour possession de haschich depuis plus d'un an, sa femme l'a quitté en abandonnant leurs deux fils de trois et cinq ans. Il a aussi écopé d'une amende de 27 000 roupies qu'il ne peut pas payer. Il risque de passer deux ans de plus sous les verrous. Quand il m'a raconté tout ça les larmes dans les yeux, j'ai su qu'il disait vrai. Bien qu'iniquement jugé la veille, je me suis soudain senti privilégié. Avant d'être transféré, j'ai pu in extremis lui glisser la somme nécessaire à sa libération en lui soufflant «sauve tes enfants». C'est sans doute l'argent que j'ai le mieux dépensé dans ma vie et peut-être que je n'aurai plus l'occasion de le dépenser aussi bien.

À Katmandou, où je suis désormais emprisonné, mes frères humains continuent de me faire vivre leur Népal avec ferveur, mais de l'intérieur. Au contact d'une langue et d'une culture différentes, c'est comme si je réapprenais à vivre chaque jour. Ce Népal-là, je l'aime, ces Népalais-là, je les aime.

L'aventure humaine continue à l'intérieur mais aussi à l'extérieur, toujours plus incroyable. Je n'ai pu téléphoner à mes parents qu'après trente-quatre jours de détention. Ils m'ont raconté l'incendie que mon histoire avait déclenché en France et j'ai alors compris que je n'avais jamais marché seul entre ces murs de briques. Mais que ce sont des centaines de gens qui marchent avec moi. Puis j'ai reçu cent cinquante cartes postales, des cartes de mon village, ma région, de mes vertes collines, mais aussi de la France entière et même d'outre Quiévrain, autant de messages de mes amis, d'amis de mes parents, et aussi de nombreux inconnus... Des mots parfois drôles, parfois profonds, parfois touchants. Je suis parti à la découverte de contrées lointaines et exotiques mais aujourd'hui c'est mon pays qui me permet de m'évader. Cette France-là je l'aime, ces Français-là je les aime.

Merci aux sénateurs, Messieurs Cadic et Cigolotti, pour leurs interventions auprès des ministères et ambassades, grâce à vous je mesure plus que jamais la chance d'être né dans un pays où les institutions républicaines fonctionnent correctement.

Merci aux médias locaux et nationaux pour les publications qu'ils m'ont accordées alors que les attentats venaient d'avoir eu lieu à Paris.

Merci au Conseil municipal de Monistrol-sur-Loire et à l'assemblée générale des Maires de Haute-Loire qui ont voté à l'unanimité un soutien à ma cause.

Merci aux habitants de Paulin, à mes voisins qui, tous ont montré leur solidarité ; il y a longtemps que «La Béate» n'avait connu pareille affluence...

Merci au comité d'action, qui dès le premier jour de l'annonce de mon jugement s'est constitué en association, entoure mes parents et œuvre sans relâche pour obtenir ma libération, n'a de cesse de relayer l'affaire dans les médias et gère un très beau site que j'ai eu l'opportunité inespérée de pouvoir parcourir pendant quelques minutes.

Merci aux nombreux membres de l'association qui constituent le groupe de soutien.

Merci à tous ceux qui oeuvrent pour ma cause en France et au Népal. Mes parents (et le comité de soutien) remercient l'Ambassade de France et leurs collaborateurs népalais de leur avoir transmis de mes nouvelles, de les avoir reçus à leur arrivée ici et d'avoir facilité leurs visites au parloir de la prison.

J'adresse trois remerciements particuliers:

À Guy, ami de mes parents depuis mon enfance qui a répondu présent dès qu'il a connu ma situation, le voir à leurs côtés m'a ému et m'a rassuré pour eux. Son humour m'a rendu le sourire.

À Arjun, merveilleux guide népalais qui par ses compétences en langues (népalais, anglais et français), sa connaissance du pays, sa gentillesse et sa disponibilité aide humainement mes parents dans leurs démarches diverses.

Au couple franco-américain qui a accueilli mes parents à leur arrivée au Népal, les ont aidés dans leurs premières démarches et leurs déplacements dans Katmandou. Ils ont surtout réchauffé leur cœur...

Pour moi, vous accomplissez efficacement un travail formidable comme de vrais professionnels!

Merci à tous ceux qui m'apportent leur soutien moral et financier.

Le juge qui m'a condamné à la prison ne saura jamais quelle ferveur il a soulevée à ma cause.

Merci à mes proches, mes amis, ma famille, mes deux frères, Florent et Clément.

Merci à mes parents qui repoussent sans cesse leurs limites pour sauver leur fils.

Devant le soleil chacun est à égalité dans ce bas monde. Il brille de la même manière pour les riches, les pauvres, les hommes libres et les prisonniers. Il brille pour ceux qui rendent la justice comme pour ceux qui subissent les peines. Lorsqu'il est à son zénith, il illumine et réchauffe aussi les plus courtes journées d'hiver.

Alors je souhaiterais qu'au temps de midi, au moment de prendre votre pause déjeuner, vous ayez chacun et à l'unisson une petite pensée pour moi. Moi-même, à dix-sept heures, en raison du décalage horaire, je m'arrêterai pour que se forme dans mon esprit la mosaïque des souvenirs et de vos visages. Les images de tous ceux qui m'aident à tenir le coup.

Je suis parti découvrir les hommes, voir si l'humanité était vouée à l'autodestruction ou si au contraire, on pouvait avoir de l'espoir. Maintenant, grâce aux réactions de mes frères français et népalais, je sais que l'espoir existe. Je vois de très belles personnes, nombreuses, qui se lèvent pour que les droits de l'homme soient respectés, pour que je sois prochainement libéré.

Mon tour du monde n'est pas fini mais j'ai déjà trouvé des réponses à mes questions.

Et le printemps reviendra.

À Katmandou, prison centrale de Sundhara, le 28 décembre 2015.

Texte original publié sur la page Facebook de Soutenir Renaud au Népal.

Plus d'informations sur le site de soutien.

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