Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'Âge de faire: la révolution de l'impression 3D

Comment utiliser les œuvres bien réelles cachées au sein virtuel de nos disques durs? Comment exporter dans la matière les émotions que nous avons conçues avec nos machines?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Je suis un architecte. Mon métier est de concevoir et agencer espaces et volumes en utilisant les sciences et les connaissances techniques à disposition. Lorsque nous avons vu l'impression 3D arriver dans nos agences début 2000, nous avons imaginé que nous pourrions voir les projets se réaliser tel quel, sans artisans, sans bureau d'études, juste en exportant nos plans dans une machine.

En réalité, nous avons vite compris que nous ne pourrions faire que des maquettes.

L'an passé, une imprimante 3D géante a construit une dizaine de maisons de 200 mètres carrés chacune, en utilisant des matériaux provenant du recyclage, de la fibre de verre et du ciment. Une prouesse technique impressionnante, mais les machines auxquelles nous avons facilement accès ne peuvent pas tout. Malgré tout, cette manière de travailler est décisive car elle instaure un quatrième type de process qui s'ajoute aux trois déjà existants : jusqu'à présent nous pouvons soustraire de la matière, comme dans la sculpture, déformer de la matière comme dans le soufflage de verre ou le formage, ou bien coller de la matière.

La fabrication additive, elle, procède par ajout de couches successives de matière. En cela, elle est une rupture fondamentale dans nos modes de fabrication. Henri Bergson a écrit : «Dans des milliers d'années, (...) nos guerres et nos révolutions compteront pour peu de chose, (...); mais de la machine à vapeur, (...), on parlera peut-être comme nous parlons du bronze ou de la pierre taillée ; elle servira à définir un âge». Et c'est bien de cela dont il s'agit : un nouvel âge, l'Âge du faire.

La fabrication additive est la fille d'internet en tant que matérialisation concrète de la phase de numérisation du monde que nous venons de vivre. Lorsque les outils numériques sont apparus, nous avons numérisé notre environnement. Nous avons digitalisé l'écriture les images, le son, ceux-ci sont devenus des octets : des 0 et des 1. Et lorsque la révolution du mp3 a permis de faire rentrer les grandes quantités de données de la musique dans les tous petits tuyaux de l'internet, nous avons inexorablement enclenché la mise au pas de l'ensemble des supports et des médias qui faisaient notre univers d'alors. Quand il fallait une bobine et un projecteur pour voir un film, nous avons eu un fichier .avi et un ordinateur. Quand il fallait une platine vinyle et des amplis, il suffisait d'un fichier mp3 et d'un ordinateur.

Et maintenant que nous ne numérisons plus notre travail, c'est-à-dire que nous travaillons directement dans un monde digital grâce à nos logiciels, il faut refaire le chemin inverse et rendre tangible ce qui est réel dans nos machines. Il faut rendre analogique ce qui est digital. C'est d'ailleurs ce que nous faisons en imprimant des plans, ou en rencontrant des entreprises, des personnes qui possèdent un savoir-faire qui leur est propre et complémentaire du nôtre, afin de rendre réalisable nos travaux.

Avec la fabrication additive une autre voie s'ouvre : celle de l'autonomie du concepteur, une voie ou celui-ci exécute l'ensemble des actes de la fabrication ; de la conception à la production. Mais ce qui est possible pour le créateur l'est aussi pour l'amateur. Au même titre que pour la musique ou le cinéma, l'aspect collaboratif et en réseau d'internet modifie ce rapport à la fabrication qui nous est propre pour l'instant.

Avec l'impression 3D nos créations, ne sont plus à l'abri du piratage. Il n'est plus besoin d'une extrême intensité de capital pour fabriquer et vendre, l'économie d'échelle n'est plus utile comme au 20eme siècle.

La fabrication additive, c'est l'outil du 21 siècle, celui de la micro fabrication, et les sources comme nos fichiers 3D pourront demain subir le même sort que ceux de la musique et du cinéma. Cet épistème qu'est l'impression 3D rend possible l'éclatement de la production. Le consommateur peut, s'il dispose d'une machine de fabrication additive, devenir aussi un producteur. Nous devenons tous potentiellement des «prosommateurs», selon l'expression de Jeremy Rifkin. Mais cet individu est un hacker ou un maker et son credo est celui de la gratuité et du partage. Or, Il n'y a d'échange que si chacun pense y gagner.

Actuellement, les objets qui sont offerts sur les plateformes de type Thingiverse sont soit inutiles, soit mal conçus. Mais les créateurs, qui manipulent la matière, comprennent un process et transforment la matière et les machines en émotions peuvent prendre à bras-le-corps cette nouvelle technologie. Les créateurs et designers ne peuvent pas rater cette révolution du mode de fabrication

Comment utiliser les œuvres bien réelles cachées au sein virtuel de nos disques durs? Comment exporter dans la matière les émotions que nous avons conçues avec nos machines? Et, enfin, comment nous libérer de la médiation des mains de l'autre sans perdre la richesse de la collaboration?

Ces questions sont bien les enjeux de cette révolution du faire, qui au-delà de la technologie et des nouveaux outils, doit proposer d'accompagner les créateurs dans la production de valeurs partagées.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Yamamoto

20 cafés 3D de Kazuki Yamamoto

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.