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La servitude volontaire...

Le titreest un clin d'œil aud'Étienne de La Boétie dans lequel il tente de comprendre et d'expliquer pourquoi des sociétés tout entières en viennent à obéir à un tyran ou à un régime tyrannique.
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Ce billet de blogue est un texte tiré de l'essai Je veux être un esclave!, publié aux éditions Poètes de brousse.

Malgré son titre, c'est pourtant bien de liberté qu'il sera question dans ce recueil de textes : liberté de penser, d'agir, de critiquer, de remettre en question les modes, les idéologies et les façons de faire qui semblent souvent aller de soi pour la plupart des gens tellement elles leur ont été enfoncées dans la gorge, dans le cerveau et jusque dans le cervelet !

En fait, le titre Je veux être un esclave ! est un clin d'œil au Discours de la servitude volontaire d'Étienne de La Boétie dans lequel ce dernier tente de comprendre et d'expliquer pourquoi des milliers d'individus et même des sociétés tout entières en viennent à obéir à un tyran ou à un régime tyrannique.

Après réflexion, La Boétie en arrive à la conclusion que cette servitude est «volontaire», que c'est le peuple lui-même qui s'asservit, qui «ayant le choix ou d'être serf ou d'être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse» . Reste à savoir maintenant comment l'être humain a bien pu en arriver là, comment s'est ainsi enracinée chez lui «cette opiniâtre volonté de servir, qu'il semble maintenant que l'amour même de la liberté ne soit pas si naturelle» .

Pour La Boétie, la force et la lâcheté n'arrivent pas à expliquer cette attitude de soumission. Non, il faut aller plus loin, creuser plus profondément. Si tant d'individus finissent béatement par se comporter comme de véritables «esclaves», c'est bien à cause de la force de l'habitude et de l'influence de la culture dans laquelle ils ont été élevés ou «nourris», pour reprendre son expression. Pour La Boétie, on ne naît pas esclave, on le devient. Ainsi, «la première raison de la servitude volontaire, c'est la coutume» , conclut-il.

À notre époque, il y a différentes façons de se comporter volontairement en esclave ou de vouloir en devenir un. Dans les textes qui suivent, j'en présente quelques-unes.

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L'élément déclencheur de cette réflexion : le congrès de l'aile jeunesse du Parti libéral qui se tenait à l'Université Bishop's de Sherbrooke en août 2014. Fiers d'eux-mêmes et proprement cravatés, les jeunes libéraux ne proposaient rien de moins à l'époque que d'abolir les cégeps. La raison évoquée? Ces établissements, selon eux, étaient dépassés du fait qu'ils ne répondaient pas aux besoins du marché du travail et à ceux des employeurs en matière de formation, d'où la nécessité d'un «virage utilitaire» de notre système d'éducation. Le mot d'ordre : s'adapter à tout prix à la nouvelle réalité. Pour y arriver, quoi de mieux qu'une formation strictement technique qui fait l'économie de toutes ces disciplines inutiles que représentent la philosophie, la littérature et la poésie. Soyons concrets, pratico-pratiques, pragmatiques, utilitaristes, en somme, servons à quelque chose, devenons même des serviteurs quitte à perdre son âme et à devenir des outils vivants.

Officiellement, cette proposition n'a pas été retenue par le gouvernement et en particulier par Philippe Couillard, le Premier ministre du Québec. Comme ça, d'instinct, on aurait pu s'attendre à ce qu'il rejette cette proposition d'abolir les cégeps en expliquant à son aile de jeunes révolutionnaires en herbe que la formation générale est essentielle pour le développement de l'être humain, des citoyens et des futurs travailleurs. Pourtant, l'argument évoqué par Philippe Couillard à cette occasion en a été un de nature strictement économique : il faut conserver les cégeps puisque leur existence est importante pour le développement économique régional.

Si j'évoque ainsi la proposition des jeunes libéraux qui militaient en faveur d'une formation orientée vers ce qui est utile en éducation, c'est que cet événement n'a rien d'anecdotique. Il s'agit là d'un exemple, d'un symptôme, d'une tendance de fond de plus en plus puissante que l'on retrouve à tous les niveaux dans notre système d'éducation, d'une croyance de plus en plus enracinée dans la tête de ceux qui nous gouvernent, qui dirigent nos institutions d'enseignement ou même qui enseignent dans celles-ci.

En juin 2016, un élève de 15 ans du Collège Héritage de Châteauguay a fait circuler une pétition dans son école afin que certaines matières enseignées soient remplacées par des cours plus utiles pour le citoyen. La liste d'épicerie était longue : cours de premiers soins, d'autodéfense de base, de mécanique, cours pour apprendre à faire un budget, ses impôts, pour comprendre le fonctionnement du gouvernement et le rôle des politiciens... Comme il fallait s'y attendre, sur 600 élèves, 450 ont signé sa pétition qu'il entendait bien déposer à l'Assemblée nationale par la suite.

Évidemment, personne, moi le premier, n'irait condamner l'initiative de ce jeune élève dont la pensée, après tout, est encore en formation. Toutefois, suite à l'affichage de cet article sur un site Facebook très connu dans le monde de l'éducation, j'ai été abasourdi de constater que plusieurs enseignants se montraient tout à fait en accord avec cette proposition. Toujours cet empressement à répondre aux désirs de l'élève, comme s'il pouvait savoir à son âge ce qui est bon pour lui, pour son éducation, pour son avenir. «J'ai aimé l'école parce qu'elle n'a jamais répondu à mes attentes» , affirme Fanny Capel qui s'insurge contre une telle approche. Suite à la réforme de l'éducation, on a tellement répété à ces enseignants qu'il fallait développer les compétences de l'«apprenant», au mépris des savoirs fondamentaux, et que leur approche pédagogique se devait d'être centrée sur celui-ci au détriment d'une méthode qui privilégie un enseignement direct et explicite, que plusieurs sont prêts à consentir aux moindres demandes et attentes de leurs élèves. Ils n'hésitent pas à s'adapter, à remettre en question leur méthode pédagogique, leur façon de faire, allant parfois jusqu'à modifier, pour ne pas dire alléger, le contenu enseigné afin de satisfaire le «client» qu'ils ont devant eux, lui qui, comme tout le monde le sait, a toujours raison.

Je ne suis pas tendre à l'endroit de certains enseignants dans plusieurs des textes qui suivent. Je les accuse d'être les complices de leur propre esclavage, de démissionner, de lancer la serviette, de se mettre au service d'un système qui fait pourtant tout pour les rabaisser, les discréditer dans ce qui constitue le cœur même de leur profession : être cette étincelle qui mettra le feu à tous ces savoirs qu'ils ont à transmettre afin qu'ils deviennent comestibles pour leurs étudiants. Enseigner, c'est transmettre des savoirs, une culture, et non pas les compétences du jour qui demain seront dépassées.

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