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Femmes dans la musique électronique: le changement, c'est pour quand?

Vouloir se lancer en tant que dj lorsque l'on est une femme, c'est se confronter à un long parcours du combattant.
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Aujourd'hui, les hommes n'ont plus le monopole de la platine. Mais alors que l'audience de la musique électronique ne cesse de prendre de l'ampleur et son public de se diversifier, force est de constater que son industrie est encore sous l'hégémonie masculine. Les femmes souffrent d'un cruel manque de visibilité: elles sont souvent reléguées au bas de l'affiche des festivals - quand elles y figurent -, voire délaissées par les programmateurs de clubs.

Pourtant, elles sont nombreuses (si,si), programmatrices, techniciennes du spectacle, artistes ou productrices, à se faire actrices du changement pour davantage de parité et de diversité. Ces femmes se battent tous les jours pour imposer leurs décisions et leurs idées. Dj et programmatrice des soirées du collectif Barbi(e)turix depuis déjà plusieurs années, j'ai appris à dépasser le sexisme d'un milieu où l'entre-soi masculin régit les échanges et les contrats. Comment? En étant autoditacte et en imposant mes programmations.

Vouloir se lancer en tant que dj lorsque l'on est une femme, c'est d'abord se confronter à un long parcours du combattant: les vendeurs qui vous négligent dans les magasins de matériel, les techniciens son qui se permettent de faire «quelques réglages» avant votre set alors qu'ils n'oseraient pas toucher aux platines d'un dj masculin, les commentaires graveleux sur le physique au détour d'un backstage, les minutes de set volées par les précédents artistes, les moqueries sexistes («tu sais comment ça marche?», «pas mal ton set pour une nana», etc.) Qu'est-ce qu'on rigole.

Betty en dj set à la Machine du Moulin Rouge - Marie Rouge pour BBX

Dans les magazines, les plus talentueux sont toujours des hommes

Vous pensiez que les mentalités avaient changé? Il y a pas moins de deux ans, en novembre 2013, un magazine spécialiste des musiques électroniques publiait une photo sur ses réseaux sociaux présentant la nouvelle garde française. Les djs les plus talentueux, les plus influents. Une sorte de photo de classe. Sur cette photo apparaissaient 67 hommes et 2 femmes. Et sous le post se succédaient quelques 250 commentaires de lectrices choquées par l'absence notoire de parité, mais surtout de lecteurs criants à la fausse polémique: «Ouin ouin ouin, ça chiale chez les meufs», «Si même dans l'art, il faut commencer à mettre des quotas, ça devient flippant», «Rhooo le vieux débat sans fin qui redémarre...»

PHOTO DE CLASSE ! PARIS 2013-2014TRAX 169 // De haut en bas, de gauche à droite : Zaltan (Antinote), Stanislas Aron...

Posted by Trax Magazine on Tuesday, November 19, 2013

Ça pique...

Un vieux débat qui revient effectivement chaque année, en particulier à l'occasion de la sortie du Top 100 des lecteurs de DJ mag. Dans leur shortlist publiée fin 2015, elles n'étaient que trois. Les femmes sont décidément une espèce rare...

Louisahhh, dj signée sur le label Bromance réagissait sur son blogue: «Quand on a posé la question de la sous-représentation des femmes à Dj Frontlier, en 73e position de ce classement, il a répondu que c'était "peut-être parce qu'elles passaient trop de temps chez Sephora et pas assez sur leurs productions»

Bravo champion !

Mais les femmes dj sont avant tout des... dj! Car pour certains, pour qui le genre l'emporte encore sur les compétences, elles sont d'abord des femmes. Il est donc d'usage de réduire leur talent à leurs attributs physiques. Ainsi, quand Trax Magazine dédie un numéro à la scène féminine en 2010, c'est un visuel de femme nue, un bouton de platines à la place du téton, qui apparaît en couverture. Et quand la dj Nina Kraviz donne une interview au très réputé magazine en ligne Resident Advisor, c'est nue dans un bain de mousse. Je me plais à penser qu'elle y voyait vaguement un moyen de prendre ces journalistes à leur propre jeu.

Même combat qu'Angoulême

Si les médias font le jeu d'un sexisme primaire (notons quand même une certaine amélioration, bientôt l'heure de la prise de conscience?), les promoteurs de clubs et programmateurs jouent eux aussi un rôle fondamental dans l'exclusion des artistes femmes. L'industrie de la musique électronique marche essentiellement par réseau: échange de bon plans, connivences, pistons et copinage. Et cet entre-soi masculin exclut les femmes, sans même s'en rendre compte ...

La problématique est finalement la même qu'au festival de bande dessinée d'Angoulême. Les dessinatrices représentent 15% des auteurs de BD, mais le festival, dirigé par des hommes, les ignore et les exclut de sa sélection au Grand Prix 2016.

Si toute la presse a crié au scandale, personne ou presque ne s'émeut de voir des grands festivals de musique électronique, comme les Nuits Sonores ou le Weather Festival, ne proposer qu'une poignée d'artistes féminines sur un plateau de plus de 150 artistes. Certains médias et autres tumblr s'en sont même amusés avec délectation.

Quelles solutions avons-nous dès lors pour nous imposer? Celle que j'ai privilégiée, dans un souci d'empowerment et de visibilité, c'est d'opter pour des lineups quasi exclusivement féminins. Les soirées que je programme, les WET FOR ME, s'adressent surtout à un public lesbien et gay, mais aussi à toutes les clubbeuses qui souhaitent bénéficier d'un espace safe pour faire la fête. Implantées à la Machine du Moulin Rouge, elles réunissent quelque 1 500 personnes à chaque édition, et est organisée par une équipe, elle aussi, très majoritairement féminine, regroupé sous le nom de collectif Barbi(e)turix.

Vouloir mettre en lumière des artistes féminines en inversant la tendance peut paraître cynique, mais c'est en réalité encore la meilleure option pour, d'une part, professionnaliser et accompagner des artistes talentueuses, d'autre part faire découvrir au public des djs qui manquent de visibilité. C'est également le pari qu'a fait le label Kill The Dj, qui signe essentiellement des femmes depuis plusieurs années, ou le festival Les Femmes s'en mêlent, qui signe tous les ans une programmation 100% féminine.

Wet For Me à La Machine du Moulin Rouge - Marie Rouge pour BBX

Invitée par la Gaîté lyrique cette année, dans le cadre du Paris Musique Club, un festival dédié à la jeune scène électronique, Barbi(e)turix a voulu trancher avec l'univers nocturne parisien en proposant une carte blanche axée sur la visibilité des femmes. Une exposition, tout d'abord, dédiée à six femmes qui œuvrent à leur manière pour s'imposer dans un milieu d'hommes, une conférence autour du sujet, mais aussi des concerts, une projection, un workshop dj pour montrer aux filles que la technique et l'usage des machines est plus que largement à leur portée!

De quoi, je l'espère, sensibiliser et inspirer certains de mes confrères.

Carte Blanche Barbi(e)turix Paris Musique Club à la Gaîté lyrique

Du jeudi 21 au dimanche 24 janvier 2016.

Toute la programmation ici

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