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Le retour du phénomène Herman Cain

Il y a un an, en novembre 2011, j'écrivais à propos du « phénomène Herman Cain ».Cain, qui n'avait jamais occupé de fonction d'élu à quelque palier de gouvernement que ce soit, trônait alors en tête des intentions de vote dans la course à l'investiture républicaine, et ce à la consternation de l'élite médiatique et politique.
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Le président Obama n'avait pas encore livré son discours de victoire dans la nuit de mardi à mercredi dernier que déjà, des commentateurs prétendaient pouvoir expliquer ce qui avait mené à sa réélection. En l'espace d'à peine quelques heures, chaînes télévisées, blogues, journaux et magazines chantaient le même refrain : les changements démographiques aux États-Unis se trouvaient à l'origine du résultat électoral. Il n'en fallait pas plus que pour les analystes des deux côtés du spectre politique brandissent la menace d'extinction que confrontait le Parti républicain si ce dernier n'appuyait pas une série de positions plus clémentes à l'endroit de l'immigration illégale.

Il n'est pas difficile de retracer la source de ces déclarations. Les sondages préliminaires menés auprès des gens ayant voté (« exit polls ») révélaient que, pour la première fois de l'histoire, la proportion de l'électorat blanc avait chuté à 72% (elle était de 75% en 2008) et que celle de l'électorat hispanique avait atteint le plateau des 10%. La portion de l'électorat noir, évidemment gonflée tout comme il y a quatre ans par la présence du premier candidat présidentiel afro-américain, s'était maintenue à 13%. Barack Obama s'étant attiré la faveur de près de 80% des membres des minorités ethniques, la victoire de sa coalition arc-en-ciel était due à un nouveau paysage démographique, porteur de succès électoraux pour les Démocrates.

Il s'agit d'une explication qui semble se tenir... jusqu'à ce que l'on examine de plus près.

Un nombre qui en dit long

De tous les milliers de statistiques reliées à l'élection présidentielle, une devrait ressortir du lot : 60 millions. C'est le nombre de votes que le candidat républicain Mitt Romney a récoltés à l'échelle nationale. Cela signifie qu'il a reçu moins de voix que George W. Bush en 2004 et, de façon encore plus remarquable, essentiellement autant que John McCain en 2008. Il n'est pas ici question de proportion, mais de nombre brut. Considérant comment les Républicains étaient démotivés il y a quatre ans par un parti qui avait touché le fond du baril et par une candidature McCain qui ne les emballait guère, cette donnée est saisissante.

Ainsi, même avec un pourcentage du vote populaire plus élevé que McCain et avec plus d'électeurs blancs éligibles à voter au sein de la population, Romney n'a remporté plus de votes cette année. Pourquoi cette observation importe-t-elle ? Parce qu'elle démontre la faiblesse de l'argument démographique. Selon ce dernier, les minorités ethniques gagnent à un point tel en nombre que les électeurs blancs, groupe racial le plus fidèle au Parti républicain, ne suffisent plus à le porter à la victoire. En d'autres termes, les Républicains ont beau « faire le plein » des votes des Blancs, ils se retrouvent dorénavant inondés par une marée montante de votes provenant des minorités raciales.

Or, ce n'est pas ce qui s'est produit mardi dernier. Ce « plein » de votes n'a dans les faits pas été effectué, une quantité importante d'électeurs caucasiens ayant plutôt opté de ne pas voter.

Le phénomène Herman Cain

Il y a un an, en novembre 2011, j'écrivais à propos du « phénomène Herman Cain ». Cain, qui n'avait jamais occupé de fonction d'élu à quelque palier de gouvernement que ce soit, trônait alors en tête des intentions de vote dans la course à l'investiture républicaine, et ce à la consternation de l'élite médiatique et politique. Cette dernière s'expliquait mal l'engouement rattaché à la candidature d'un non-politicien aussi peu conventionnel et croyait plutôt que Romney représentait le choix logique pour les Républicains.

La passion soulevée par Cain n'avait pourtant rien de trop sorcier : il incarnait un homme simple avec qui plusieurs gens ordinaires pouvaient s'identifier. Afro-américain ayant grandi dans le Sud ségrégationniste, il avait gravi les échelons de l'entreprise Godfather's Pizza, débutant dans les cuisines avant d'ultimement en devenir le président. Confronté à un cancer du côlon et à des chances de survie estimées à 30%, il s'était accroché et l'avait vaincu, les larmes lui venant spontanément aux yeux lorsque venait pour lui le temps d'en parler. Alors que la grogne populaire à l'endroit de Washington et de Wall Street était palpable, Cain, l'outsider ultime, offrait d'apporter une dose de « gros bon sens » à la capitale nationale.

J'écrivais que peu importe ce qui adviendrait de sa candidature improbable, les sentiments auxquels elle donnait écho dans la population demeureraient quant à eux bien présents. Il s'agissait de sentiments auxquels non seulement Barack Obama et Mitt Romney ne répondaient pas, mais à plusieurs égards contribuaient à exacerber - et une élection générale entre ces deux hommes constituerait un choix peu attrayant pour bon nombre d'Américains.

De deux maux... on en choisit aucun

Qu'ont en commun l'Iowa, le Michigan, l'Ohio, la Pennsylvanie et le Wisconsin ? Ces cinq voisins géographiques du Midwest ont tous, sans exception, élu des assemblées législatives et des gouverneurs républicains en 2010... et ils ont tous, aussi sans exception, rejeté Romney en 2012. Même en concédant à Obama le Colorado, le Nevada et la Floride, où habitent des populations plus diverses, les États du Midwest, à très forte majorité blanche, auraient ensemble suffi à Romney pour accéder à la présidence. Plusieurs régions industrielles de ces États sont en déclin depuis des années et, dans certains cas, des décennies. Ils constituent le foyer de millions d'Américains laissés pour compte qui, insatisfaits du statu quo, étaient à la base ouverts à voter pour une alternative au président Obama.

Or, leurs emplois manufacturiers ayant quitté au profit du cheap labor outre-mer, on leur a présenté un candidat républicain qui avait fait fortune dans le monde du capital investissement, notamment grâce à la fermeture d'usines aux États-Unis. Leurs emplois actuels dans l'industrie du charbon menacés par les réglementations fédérales de l'administration Obama, on leur a donné un prétendant qui avait mis la clé sous la porte d'une usine de charbon au Massachusetts lorsqu'il y était gouverneur, déclarant qu'elle tuait les gens. Devant une réforme massive du système de santé face à laquelle ils étaient hostiles, on leur a refilé le parrain intellectuel de cette réforme, qui avait entériné comme gouverneur ce qui a par la suite servi de modèle à « Obamacare ». Leurs taxes et leurs impôts ayant été utilisés, à coups de milliards de dollars, pour sauver les banquiers de Wall Street qui dans bien des cas étaient responsables de la crise financière de 2008 les affligeant, on leur a présenté un requin de la finance qui avait publiquement appuyé le plan de sauvetage des banques. Devant la seule intervention fédérale récente majeure qu'ils percevaient positivement, soit l'aide fournie à l'industrie automobile, l'un des moteurs économiques principaux de la région, on leur a servi un politicien qui s'y était publiquement opposé. Leurs vies généralement caractérisées par la modestie, on leur a offert un homme facilement caricaturé comme un richissime froid et déconnecté.

Lorsque la campagne Obama a judicieusement associé le slogan « pas l'un de nous » à Mitt Romney en Ohio, ce n'était pas des mots choisis au hasard. Lorsque l'on constate aujourd'hui que Romney a récolté moins de votes que McCain dans plusieurs comtés de l'est de l'Ohio, de l'ouest de la Pennsylvanie et du nord de la Virginie-Occidentale - pourtant à la base des bastions anti-Obama, où règne l'industrie du charbon - il ne s'agit pas non plus d'une coïncidence... Et ce n'est certainement pas lié à une soudaine explosion de la population portoricaine dans la vallée des Appalaches.

Un jour viendra peut-être où les changements démographiques aux États-Unis parviendront à pratiquement assurer la présidence à un ou l'autre des partis politiques. Nous n'en sommes toutefois pas là. Le phénomène auquel nous avons assisté cette année a sans doute été le mieux vulgarisé par Mike Murphy, ancien conseiller de Romney : Barack Obama représentait le deuxième choix de millions d'Américains ; le problème pour Romney est qu'il représentait leur troisième. La première option, privilégiée au final par plusieurs le 6 novembre, était tout simplement de rester à la maison.

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