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Le blackface et les valeurs québécoises

La polémique qui suit le gag de Mario Jean au Gala Les Olivier n'a pas fini de faire couler de l'encre. Le, pratique par laquelle un comédien de race blanche peint son visage en noir avant de se moquer de(s) personne(s) de race noire, est une formule de spectacle bien enracinée dans l'histoire de l'Amérique du Nord. Avec le temps, les mœurs ont évolué, la coutume injurieuse s'est estompée presque partout. C'est avec stupéfaction et déception qu'on constate que le phénomène renait de ces cendres - même sur les ondes de la télé publique francophone du Canada.
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La polémique qui suit le gag de Mario Jean au Gala Les Olivier n'a pas fini de faire couler de l'encre. Le blackface, pratique par laquelle un comédien de race blanche peint son visage en noir avant de se moquer de(s) personne(s) de race noire, est une formule de spectacle bien enracinée dans l'histoire de l'Amérique du Nord. Avec le temps, les mœurs ont évolué, la coutume injurieuse s'est estompée presque partout. C'est avec stupéfaction et déception qu'on constate que le phénomène renait de ces cendres -- même sur les ondes de la télé publique francophone du Canada. Une Québécoise courageuse a osé dire tout haut les conversations auparavant internes à la collectivité noire: le symbole qui fait encore frémir toute une communauté n'a pas sa place dans une société moderne.

A suivi une pluie de démagogies de la part d'analphabètes de l'histoire sur Twitter. Oui, le blackface a existé au Canada, et le Québec n'y était pas à l'abri. Quoique les chapitres historiques de l'esclavage et des discriminations raciales et religieuse au Québec soient éclipsés par les annales de différends linguistiques, ils demeurent ancrés dans de la mémoire collective des descendants de la traite négrière. Le "Je me souviens" prend un sens unique à tout un chacun.

Une fausseté récurrente: «Le maquillage noir, c'est comme porter une perruque blonde pour imiter un personnage aux cheveux dorés». Euh, non. La perruque ne s'insère pas dans 400 ans de brutale exploitation folliculaire. La comparaison servant à étouffer le désarroi ne tient pas la route.

Autre excuse classique, «le racisme, c'est pareil ou pire dans d'autres juridictions». Ce sont les lâches qui évoquent les "plus pires" pour justifier l'acceptation du statu quo et barrer le progrès collectif. Étant la province la plus avant-garde, le Québec, qui fait chef de file sur plusieurs plans, peut viser plus haut.

D'autres intervenants font semblant que le sketch de Mario Jean «n'est pas du blackface, c'est un homme blanc qui met du maquillage noir pour imiter un homme de race noire dans un gag». Come on! Allez-vous nous faire à croire que quatre trente-sous ne valent pas une piastre? En s'embarquant dans des infimes sémantiques, ils espèrent alléger la lourdeur du symbole choquant. répugnant. Le grincement de dents ne s'efface pas autant.

Le blackface fait partie d'une courte liste d'images qui évoquent un profond dérangement chez une part des citoyens pour qui la lutte contre la discrimination raciale n'est pas encore achevée. À l'heure où les afroquébécois peuvent se faire arrêter par la police en conduisant une voiture jugée trop luxueuse pour leur teint de peau, où un logement annoncé est soudainement loué quant un postulant noir se présente au propriétaire, où la peau basanée rend plus pénible l'octroi d'emploi, il reste du chemin à faire.

Un jour, on pourra tous se tordre de rire avec les symboles qui auront perdu leur tonalité raciste d'antan. Aujourd'hui, on n'est pas rendu là. Le sketch de Mario Jean a blessé une foule de membres de la grande famille canadienne-francophone. Cà, personne ne peut le nier.

Certains font fi des «éternelles victimes vexées» qui «ne savent pas comment rigoler». Après le détournement des symboles dans l'histoire des Noirs, la désappropriation de leurs sentiments -- comme si ce privilège humain ne nous est point accordé. À quel titre ils se donnent le droit d'imposer aux blessés leur aveuglement socioculturel? En déshumanisant une communauté, ils facilitent la continuité du pied de nez racial. Inutile de se cacher derrière un exceptionnel «mouton noir» pour justifier la gifle.

Avec le dernier cas de blackface aux ondes de Radio-Canada, les communautés les plus concernées se prononcent de plus en plus ouvertement. Quoique l'intention ne fût pas de verser du vinaigre sur les plaies ouvertes de la discrimination, le mal est fait.

« Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui. »

- Martin Luther King

La vraie question à poser, c'est: qu'est-ce qu'on fait une fois renseigné et sensibilisé au malaise? Devant ce choix de société, il y a deux camps.

Le premier, c'est le camp de ceux qui feront l'autruche, qui vont danser sur les pots cassés, qui ont décidé que les profonds sentiments d'une communauté n'ont aucune importance, ni valeur. Sous le chapiteau de la comédie facile, ils plongeront dans la grande noirceur qu'est l'indifférence.

« Ce qui m'effraie, ce n'est pas l'oppression des méchants; c'est l'indifférence des bons.»

- Martin Luther King

Le deuxième camp, c'est celui de l'éveil interculturel, du rassemblement, et de la maturité socioculturelle. Ils ont pris conscience de la signification des gestes, saisi leurs contrecoups, et prendront soin de ne pas récidiver. Par respect pour leurs frères et sœurs de la grande famille québécoise, ils choisiront d'autres gags pour plaire à l'audience plurielle, et aideront à bâtir un pays où tous jouissent d'un minimum de respect et de civilité.

À vous de choisir.

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