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Cent ans depuis Balfour: les élites britanniques savaient bien quelles en seraient les conséquences

Avec les bouleversements des révoltes arabes, la question palestinienne a disparu du radar des politiques occidentales.
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Des Palestiniens ont participé à une manifestation contre la déclaration de Balfour, à Gaza, le 2 novembre dernier.
Mohammed Salem / Reuters
Des Palestiniens ont participé à une manifestation contre la déclaration de Balfour, à Gaza, le 2 novembre dernier.

Au début de la Première Guerre mondiale, le projet d'établir un État juif en Palestine, formulé en 1897 par Theodor Herzl, n'était pas encore très populaire auprès des communautés juives européennes. Alors que l'Empire ottoman, dont la Palestine faisait encore partie, était en voie d'effondrement, Lord Balfour adresse le 2 novembre 1917 une lettre à Lord Rothschild, à l'intention de la Fédération sioniste, qui dit ceci :

Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui peut porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays.

Ce document promet des droits politiques aux Juifs en favorisant l'établissement d'un foyer national, mais pas aux Palestiniens dont seuls les droits civiques et religieux sont reconnus. De plus, il les réduit à des « collectivités », désignées par la négative – « non juives ». Mais « Rien dans la Déclaration Balfour ne traitait de l'État juif, de l'immigration, de l'achat de terres, ou des frontières de la Palestine », dit l'historien Martin Gilbert. (Martin Gilbert : "An Overwhelmingly Jewish State" - From the Balfour Declaration to the Palestine Mandate, Jerusalem Center for Public Affairs, 2011, p. 23.) Cette « lacune » allait être comblée par le Mandat sur la Palestine donné par la Société des Nations à la Grande-Bretagne en 1922, fondée explicitement sur les objectifs de la Déclaration Balfour. Ce Mandat précisait les mesures politiques, administratives, économiques et institutionnelles qu'il fallait prendre pour « assurer l'établissement du foyer national pour le peuple juif ». L'Agence juive est nommée comme interlocuteur privilégié de l'administration mandataire. Aucune institution représentant les habitants de la Palestine ne jouit de tels privilèges. De plus, le Mandat inclut l'encouragement à « l'établissement intensif des Juifs sur les terres du pays, y compris les domaines de l'État [...] ». En somme, les dispositions du Mandat permettront à la communauté juive immigrée en Palestine d'accueillir, dans les 25 années suivantes, une masse critique d'immigrants juifs européens qui, éventuellement, se constitueront en État, au détriment des habitants de la Palestine dont les deux tiers seront chassés de chez eux.

Le débat à la Chambre des Lords de 1922

Les élites politiques britanniques étaient-elles vraiment conscientes des conséquences de leur politique ? On peut répondre Oui avec certitude. En effet, une résolution débattue et votée à la Chambre des Lords le 21 juin 1922 affirmait que « le Mandat pour la Palestine, dans sa forme présente, est inacceptable pour la Chambre, parce qu'il viole directement les engagements pris par le Gouvernement de Sa Majesté envers le peuple de la Palestine [...], et qu'il est, dans sa forme présente, contraire aux sentiments et aux vœux exprimés par la grande majorité de la population de la Palestine ».

Le proposeur de la résolution, Lord Islington, avait fait remarquer que le Mandat accordait à l'Agence juive un pouvoir de contrôle sur la construction et le fonctionnement de diverses infrastructures, mettant l'ensemble du territoire sous la tutelle du mouvement sioniste, alors que la population était « à 90 % non sioniste et non-juive ». Le débat de la Chambre des Lords contient des détails nombreux sur toutes les mesures politiques et économiques déjà mises en place sur le terrain ainsi que sur celles prévues dans le Mandat. Car le plus haut responsable de la politique britannique en Palestine, le Haut-Commissaire Herbert Samuel, membre du Congrès Sioniste d'Angleterre, avait déjà commencé à mettre en œuvre ces politiques depuis 1920 au nom de l'administration britannique. Le Mandat négocié par la Grande-Bretagne venait les officialiser et les étendre. Les membres de la Chambre des Lords avaient donc des informations précises sur ce qui se passait déjà et qui allait être légitimé par le Mandat. Ils étaient bien conscients que les droits de 90 % des habitants de la Palestine allaient être bafoués. La suite de l'histoire leur donnera raison.

La Chambre des Lords finit par voter pour le rejet du Mandat sur la Palestine proposé par la Société des Nations, à 60 voix contre 29. Mais deux semaines plus tard, à la suite de l'intervention de Churchill, le Parlement britannique vota pour l'acceptation du Mandat, avec 292 voix pour et 35 contre.

Cent ans plus tard, on se rend compte que la dépossession des Palestiniens de leur terre est un facteur majeur d'instabilité au Proche-Orient, et que les enjeux du conflit israélo-palestinien sont très présents dans tous les calculs stratégiques des grandes puissances dans la région.

Cent ans plus tard, on se rend compte que la dépossession des Palestiniens de leur terre est un facteur majeur d'instabilité au Proche-Orient, et que les enjeux du conflit israélo-palestinien sont très présents dans tous les calculs stratégiques des grandes puissances dans la région.

Et le Canada ?

La politique canadienne se situe encore, malheureusement, dans le prolongement de cette politique coloniale. Le Canada supplie Israël de bien vouloir donner un petit bout de territoire aux Palestiniens pour calmer le jeu, mais il continue à appuyer les politiques israéliennes de prise de contrôle du territoire, et il s'oppose aux pressions pacifiques – même symboliques – qui pourraient être exercées sur Israël pour que ce dernier se conforme à ses obligations en vertu du droit international.

Entretemps, guerre après guerre, les Palestiniens et les Palestiniennes souffrent et résistent. Avec les bouleversements des révoltes arabes, la question palestinienne a disparu du radar des politiques occidentales. Mais pas des consciences de ceux et celles qui demandent et continueront à demander que justice soit faite.

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