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Les pistes pour respecter l'Accord de Paris (et où trouver l'argent)

Aujourd’hui s'amorce le One Planet Summit, sommet international sur la finance climatique initié par Emmanuel Macron. Quel peut être le rôle de la finance dans l'Accord de Paris?
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JOHN MACDOUGALL via Getty Images

Les observateurs du climat pensaient tenir une bonne nouvelle: un tassement des émissions mondiales de CO était observé depuis trois ans. Peut-être était-ce le signe avant-coureur d'un pic précoce des émissions, si important pour espérer tenir l'objectif de 2°C? Mais la dernière évaluation des émissions, qui vient de paraître, est très claire: les émissions vont connaître une hausse soutenue sur l'année 2017.

Une action rapide pour limiter les émissions est cruciale pour la suite des événements: tout retard compromet la faisabilité de trajectoires d'émissions compatibles avec l'objectif 2°C, et continue de nous enfermer dans un système énergétique dominé par les combustibles fossiles. Les trois années à venir seront donc essentielles. En 2018, un «dialogue facilitateur» mondial est prévu, dans le cadre de l'Accord de Paris, pour préparer la nécessaire révision à la hausse des engagements d'ici à 2020; reste à savoir à quelle décision opérationnelle il peut conduire.

Les grands axes de décarbonation

Les grands leviers d'actions pour réduire les émissions sont aujourd'hui connus. On peut en distinguer trois principaux:

  1. La décarbonation de l'électricité, avec notamment le déploiement des énergies renouvelables;
  2. L'efficacité énergétique, avec l'isolation des bâtiments et l'amélioration des véhicules;
  3. L'agriculture et la foresterie, ce qui inclut la reforestation, les changements des pratiques agricoles, la réduction du gaspillage alimentaire et de la consommation de viande rouge.

Potentiels de réduction d'émissions d'ici à 2030 par rapport à un scénario tendanciel

Source: graphique réalisé à partir de l'Emission Gap Report 2017 de l'UNEP

Des solutions existent donc, mais leur application nécessite une dynamique de transformation sans précédent. En 2016, les énergies fossiles ont représenté plus de 85% de la consommation mondiale d'énergie primaire. Sortir des énergies carbonées implique donc de repenser intégralement le système énergétique mondial. Cette transformation touche tous les secteurs économiques mais aussi tous les acteurs, des industries aux collectivités et aux particuliers.

Et la transition doit être rapide: pour espérer rester en-dessous de 2°C, il faut non seulement stopper la hausse continue des émissions, mais aussi entamer une diminution rapide dans la décennie à venir. Cet objectif ne peut être atteint qu'en actionnant sans délai tous les leviers, technologiques et comportementaux, de réduction d'émissions.

Réorienter l'investissement

L'an dernier, 1700 milliards de dollars ont été investis dans les énergies fossiles. Pour réussir la transition énergétique, l'enjeu n'est pas de trouver des financements «supplémentaires», mais bien de réorienter ces flux vers les secteur bas carbone. Ce sujet a d'ailleurs été mis en exergue dans l'Accord de Paris, qui indique, dès son article 2, l'objectif de rendre «les flux financiers compatibles avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre».

Un besoin de rupture par rapport au tendanciel

Sources : Emission Gap Report 2017 du Programme des Nations unies pour l'Environnement et scénarios SSP utilisés dans le cinquième rapport du GIEC.

Rediriger ces flux financiers est cependant une tâche complexe. En effet, il faut non seulement réussir à intégrer le coût du dommage environnemental (le réchauffement climatique) dans les décisions des entreprises, mais aussi inciter ces dernières à investir dans des secteurs nécessitant des investissements initiaux importants dont les bénéfices ne deviennent tangibles qu'à long terme.

Vers une rupture dans les comportements d'investissements

Plusieurs mécanismes existent déjà pour «guider la main du marché» et rendre les secteurs bas carbone plus attractifs pour les investisseurs. Il y a la tarification explicite du carbone, via une taxe carbone ou le marché de quotas d'émissions. La réglementation est également mobilisée, en particulier dans les secteurs du bâtiment (bâtiments à énergie positive en France) et du transport (normes d'émission pour les véhicules). On peut aussi mentionner les tarifs d'achat garantis, qui ont été utilisés pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables électriques.

Ces divers instruments ont commencé à porter leurs fruits, mais ils présentent plusieurs limites. A moins d'être insérés dans une réforme globale de la fiscalité, ils entraînent une hausse du prix de l'énergie qui grève le budget des ménages et érode la compétitivité internationale des entreprises. Et surtout, les mécanismes actuels ne traitent pas la question du risque, obstacle majeur à une évolution des comportements d'investissement. Si certains acteurs financiers se détournent aujourd'hui du charbon, c'est bien par crainte de voir ces actifs se déprécier rapidement.

La force publique peut ici agir en créant une incitation positive, par exemple au moyen de garanties publiques pour les projets de réduction d'émissions. L'idée de ces garanties est de générer un effet démultiplicateur: puisqu'une garantie ne s'exerce qu'en cas de faillite des projets, chaque euro avancé par l'Etat peut mettre en garantie près de cinq fois ce montant, et ainsi lever des investissements d'un montant encore supérieur. Cet effet d'entraînement permet de limiter la pression sur le contribuable, tout en baissant le risque pour les investissements dans la transition énergétique. Cela permettrait l'émergence de produits financiers attractifs pour les ménages, les fonds de pension et les assurances, afin de réorienter une fraction des 100.000 milliards de dollars qu'ils détiennent.

Pour garantir leur efficacité et leur transparence, de telles initiatives nécessitent de s'accorder sur une valeur des émissions évitées et de mettre en place des procédures communes. Ces négociations seraient difficiles à mener avec l'ensemble des 196 pays de l'Accord de Paris, mais des coalitions ou «clubs de pays» volontaires pourraient progresser plus rapidement. Les garanties pourraient d'ailleurs être utilisées dans le cadre de coopérations Nord-Sud, afin d'aider les pays en développement à éviter le piège d'une dépendance aux énergies fossiles. Elles pourraient, à l'échelle européenne, permettre d'utiliser les potentialités d'une réforme de la politique de la Banque Centrale Européenne à laquelle appellent Pierre Larrouturou et Jean Jouzel pour une émission de monnaie fléchée sur la transition bas carbone.

Mardi 12 décembre, pour le deuxième anniversaire de l'Accord de Paris, le Président Macron organise un sommet international sur la finance verte. Alors que les engagements des Etats sont encore loin de l'objectif des 2°C, il sera intéressant d'observer les propositions qui seront faites pour réorienter les investissements en faveur de la transition bas carbone.

Cette tribune est également signée par Olivier Boucher et Jean-Charles Hourcade.

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