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Cher mari, je suis désolée que tu n'aies pas été capable de pleurer

Je suis désolée que quand tu t'es enfin senti autorisé à le faire, au début de ton premier séjour en hôpital psychiatrique, tes premiers mots ont été : «Ca faisait des années que je n'y arrivais plus».
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Lettre à mon mari qui était incapable de pleurer.

Je suis désolée que quand tu t'es enfin senti autorisé à le faire, au début de ton premier séjour en hôpital psychiatrique, tes premiers mots ont été : «Ca faisait des années que je n'y arrivais plus».

Je sais que tu prenais ça pour un signe de faiblesse, même si tu serrais dans tes bras tous ceux qui venaient pleurer sur ton épaule. Je sais que tu avais le sentiment que tes émotions allaient te submerger et que les larmes t'empêcheraient de t'en libérer.

Je me rappelle t'avoir dit, tandis que nous prenions le thé dans l'enceinte de l'hôpital, que pleurer était une bonne chose. Mais aussi que tu m'as répondu que si tu te laissais aller aux larmes, tu avais peur de ne plus pouvoir t'arrêter.

Et, ce qui ne te ressemblait pas, tu m'as confié certaines des raisons qui t'attristaient.

Tu avais peur de ne pas être un bon père, que tes problèmes psychiatriques t'empêchent d'être père un jour.

Tu avais peur de ne pas trouver un travail, de ne pas pouvoir payer tes factures, peur d'avoir coupé les ponts avec trop de monde parce que la dépression et l'addiction t'avaient rendu instable, d'autant que tu avais voulu faire comme si de rien n'était.

Je sais que tu pensais être indigne d'être aimé (ce qui était évidemment absurde) et que tu n'étais pas sûr de réussir un jour à sortir de ce cercle vicieux dans lequel tu t'autodétruisais.

Tu t'étais débattu avec tout cela depuis l'enfance. Je suis désolée que d'autres garçons t'aient harcelé parce que tu étais moins fort qu'eux, désolée que ça t'ait pesé si longtemps.

Tu as appris à être un homme en te faisant tabasser, et tu as fini par croire le plus grand des mensonges que l'on raconte aux garçons : que souffrir en silence fait d'eux des hommes, des vrais.

Je suis heureuse de voir que tu ne t'es pas laissé définir par ce mensonge. Que tu as conservé ta douceur, ta gentillesse, ton empathie, toutes ces facettes de toi que je trouve tellement admirables.

Heureuse de savoir que tes parents, tes tantes, tes amis, tous ceux qui t'aiment, t'ont aidé à devenir l'homme que tu étais : intelligent, curieux, amoureux de la nature, bon cuisinier, un homme qui traitait les femmes avec respect et n'oubliait jamais de baisser le siège des toilettes.

Heureuse d'avoir aimé quelqu'un comme toi, qui m'as appris que les hommes sont compliqués, merveilleux et remarquables.

Mais je suis aussi désolée, mon cher mari.

Désolée que tu aies cru que tu n'avais pas le droit de montrer tes émotions. Je ne parle pas du bonheur, de l'amour ou de la générosité, mais de ces émotions qui nous emplissent de désespoir : la tristesse, la solitude, l'inquiétude.

Tu as tout occulté pendant des années. Tout ça pour quoi? De qui espérais-tu satisfaire les attentes? J'aurais tant voulu que tu saches que l'objectif que tu t'étais fixé était impossible à atteindre même si, pour survivre dans ce monde quand on est un homme, il faut tout faire, tout être, et ne jamais pleurer dans l'adversité.

Je suis désolée que tu te sois tenu à cette ligne de conduite pendant si longtemps, que tu aies cru que tu n'avais pas le droit de parler de ta souffrance jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Que tu aies pensé que je ne te prendrais pas dans mes bras si je te voyais pleurer.

Je suis désolée que tu te sois dit que la seule manière de faire disparaître cette souffrance, c'était de mettre fin à tes jours.

Il ne se passe pas un jour, une heure ou une minute sans que j'aie envie de te faire revenir, de t'embrasser, de te toucher, et de te répéter inlassablement que les choses vont s'améliorer. Qu'être un homme ne se limite pas à la force physique ou la capacité à faire carrière. Que si tu avais parlé de tes problèmes à tes amis, ils t'auraient écouté avec bienveillance.

Et qu'on a le droit de pleurer. Qu'il est d'ailleurs indispensable que les hommes pleurent parce qu'aucun être humain ne peut rester stoïque face aux aléas de l'existence.

Je suis désolée que tu sois mort d'avoir été un homme. Et que tant d'autres perdent la vie à cause de cela.

Chase the Rainbow, le premier roman de Poorna Bell, sortira le 4 mai 2017 en Grande-Bretagne chez Simon & Schuster.

Le HuffPost britannique publie ce mois-ci une série d'articles sur les défis auxquels les hommes sont confrontés en matière de perception de la masculinité, et pour susciter une prise de conscience autour de l'épidémie de suicides qui touche les hommes. La rubrique Building Modern Men présente des instantanés de la vie des hommes, des difficultés qu'ils ont à exprimer leurs émotions, à parler de ce qui les travaille, et pour questionner les concepts de virilité, d'identité LGBT, d'amitiés masculines et de santé mentale.

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Ce billet, publié à l'origine sur le Huffington Post britannique, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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