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Du Brexit au Brexodus: le précipité de la démocratie directe

Les Anglais arriveront à s'en sortir à long terme, car il s'agit d'une nation à la fois pragmatique et dynamique mais il est clair que David Cameron est le responsable de la plus grande bourde politique du XXIe siècle.
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Le Brexit a eu l'effet d'une bombe sur l'anglophile et le résident de Londres que je suis. Comme de nombreux Londoniens ou Écossais, je ressens une colère contre les mensonges politiques de Boris Johnson, Michael Gove et Nigel Farage. Depuis le 24 juin, nous vivons une tragi-comédie ou une farce sur l'échiquier politique britannique où s'étripent les deux plus grands partis politiques: aucun plan B pour rassurer le peuple et les marchés financiers.

Rappelons que la Grande-Bretagne demeure le pays européen le plus ouvert à la mondialisation et il est possible qu'elle en paie très cher le prix avec ce nouvel isolationnisme qui prétendait le contraire; les Brexiters croyaient qu'en se débarrassant du dinosaure bruxellois, le pays serait plus dynamique et libre enfin dans ses choix de traités de libre-échange avec le reste du globe. Le vote anglais et gallois pour le Leave semble paradoxal parce qu'il est à la fois un rejet de cette mondialisation brutale, un refus net du multiculturalisme et une alliance entre une élite conservatrice eurosceptique et les électeurs de l'ancienne gauche qui leur ont apporté un appui décisif dans le Brexit.

Le cauchemar financier post-Brexit interroge aussi sur le principe de la démocratie directe dans un pays qui a si longtemps prospéré grâce à un régime parlementaire efficace et responsable. La démocratie directe a peut-être réussi à la Suisse et au Lichtenstein - notons toutefois que ces deux pays furent les deux derniers sur le Vieux Continent à accorder le droit de vote aux femmes - mais est-elle vraiment justifiée dans des pays très peuplés? Au Royaume-Uni, les classes populaires et moyennes ont été constamment bombardées d'absurdités sur l'Union européenne depuis plus de trente ans par une presse arrogante et réactionnaire, le Daily Mail, le Sun et le Daily Express en tête.

De plus, c'est toute la paix en Europe occidentale qui pourrait être menacée par le Brexit. L'Espagne, qui espérait du moins un vote en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l'UE, s'est montrée très dure au sujet de Gibraltar et de l'Écosse. Le ministre des Affaires étrangères, Jose Manuel Garcia, n'a pas fait dans la dentelle en déclarant au lendemain du referendum que le drapeau espagnol se rapprochait du rocher. Plus grave encore, c'est toute la paix fragile en Irlande du Nord qui est menacée par un départ du Royaume-Uni. Il serait inconcevable pour la grande majorité des Irlandais de revoir une frontière douanière entre le Nord et le Sud si l'Ulster devait quitter le marché unique européen.

«Les Anglais arriveront à s'en sortir à long terme, car il s'agit d'une nation à la fois pragmatique et dynamique mais il est clair que David Cameron est le responsable de la plus grande bourde politique du XXIe siècle.»

Une autre difficulté pour les libéraux ou les gens de gauche est de voir le Royaume-Uni condamné à un perpétuel régime conservateur. Même si la droite anglaise peut donner une image moderne avec ses deux candidates, Theresa May et Andrea Leadsom - oublions la petite blague sexiste qui circule sur la toile: «cela prend une femme pour faire le ménage» - deux femmes qui appartiennent à la droite pure et dure. Comment s'imaginer qu'une Écosse nationaliste et socialiste, visant le modèle scandinave, puisse rester les bras croisés dans une union britannique où sa volonté serait serait bafouée par la nouvelle Première ministre May?

Vu de France, ce Brexit ne serait pas un choix regrettable, car l'Union verrait ainsi partir son membre le plus à droite et le plus favorable à une mondialisation à outrance. Ce départ rééquilibrerait en sa faveur le clivage culturel Europe germanique versus Europe latine. Beaucoup en France verraient d'un bon œil une Europe plus sociale et plus protectionniste. La classe politique française, grâce au Brexit, pourrait prouver que le populisme de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon est une utopie menant à la dérive économique; elle pourrait aussi réorienter une Europe vers une structure à la fois plus fédérale et plus respectueuse des nations. Le Brexit pourrait mettre un frein à cette politique d'expansion continue chère aux Anglais, car plus l'Europe est grande, plus elle est inefficace et bureaucratique. Quand l'Allemagne a convoqué les six membres fondateurs du projet européen au lendemain du referendum britannique, excluant de fait la Pologne et l'Espagne, cela ne fut pas sans arrière-pensées politiques. Les objectifs des Britanniques étaient de créer un espace de libre échange gigantesque et de tuer dans l'oeuf toute initiative de fédéralisation européenne, ce qui explique en grande partie l'impuissance de cette Union européenne face aux nombreux défis des trois dernières années, les gouvernements nationaux étant trop jaloux de leurs prérogatives.

Les Anglais arriveront à s'en sortir à long terme, car il s'agit d'une nation à la fois pragmatique et dynamique mais il est clair que David Cameron est le responsable de la plus grande bourde politique du XXIe siècle.

Entre temps, le Brexit se dirige inexorablement vers un Brexodus, et je ne parle pas ici uniquement de la fuite des capitaux, je me réfère aussi au départ des travailleurs étrangers qui refuseront de vivre dans une Grande-Bretagne réduite à une petite Angleterre où la presse alimentera de façon exponentielle la xénophobie face à l'intransigeance d'une Europe à 27 sur le droit fondamental de la libre circulation des travailleurs.

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